En Indonésie, l’élection de Jokowi relance les espoirs de la société civile

Publié le 22.10.2014| Mis à jour le 15.01.2022

Le nouveau chef de l’Etat indonésien a suscité autour de lui un engouement sans précédent et ouvert des espoirs pour la société civile indonésienne. La réforme agraire occupant une place importante dans le programme de campagne du président, les organisations de la société civile comptent bien le lui rappeler.


Le 20 octobre 2014, un homme qui se veut incarner les espoirs de renouveau de la politique indonésienne prendra ses fonctions à la tête du quatrième pays le plus grand du monde. Elu en juillet dernier, Joko Widodo homme neuf sur l’échiquier politique, entend se différencier des différents apparatchiks qui se sont succédé à la tête de l’appareil d’état depuis la chute de Suharto. Ancien vendeur de meubles, il est devenu maire de Solo, dans la province de Java-Centre, avant d’être gouverneur de Jakarta.

Cette élection présidentielle est la cinquième depuis la chute de la dictature de Suharto en 1998, dans un pays où la défiance voire le désintérêt vis-à-vis des politiques est grandissante. Si les présidences de Gus Dur et de Megawati Sukarnoputri entre1998 et 2004, avaient permis l’épanouissement de la société civile et une avance notable des droits humains, les deux mandats de Susilo Bambang Yudhoyono ont ensuite marqué une période de régression. Cette période ultra-libérale a vu l’Indonésie devenir la première puissance d’Asie du Sud-Est avec une croissance moyenne de 6%. Mais pendant cette même période, les plaintes déposées auprès de la commission des droits humains KomNas sont passées de 4000 en 2008 à plus de 7300 en 2013 tandis que la question de l’accaparement des terres est devenue cruciale. Et même si la classe moyenne s’est développée, la majorité de la population qui vit dans une pauvreté chronique, n’a pas vu ses conditions de vie s’améliorer.
La corruption et le clientélisme sont restés endémiques, expliquant sans doute en partie pourquoi la population s’est désintéressée de la vie politique. Des hommes impliqués dans des détournements de plusieurs millions de dollars se sont retrouvés à des postes à haute responsabilité, laissant une partie des Indonésiens, et notamment les jeunes, sceptiques quant aux possibilités de renouvellement des responsables politiques.

Un engagement sans précédent sur la réforme agraire

Dans ce contexte, Jokowi s’est présenté comme un homme neuf. A la tête de la capitale du pays, il avait déjà voulu se démarquer de ces prédécesseurs. Visites impromptues dans les administrations, apparitions publiques auprès de ses concitoyens victimes des inondations, il a été peu à peu considéré comme un dirigeant honnête n’ayant trempé dans aucune affaire.
L’élection présidentielle a sembler réveiller la société indonésienne et a fait naître un débat intense et des espoirs dans plusieurs franges de la société civile. « Cette élection est un nouvel espoir en particulier en ce qui concerne l’application de la réforme agraire, la sécurité alimentaire et la résolution des conflits terriens », explique Iwan Nurdin, du KPA, le Consortium pour la réforme agraire.
Pendant sa campagne, Jokowi est ainsi allé à la rencontre de différentes organisations de la société civile, dont des partenaires du CCFD-Terre solidaire. Zainal Arifin Fuad du syndicat paysan (SPI), affilié à la Via Campesina, en témoigne : « Pendant sa campagne, Jokowi est venu au bureau du SPI et nous lui avons exposé notre vision de la souveraineté alimentaire. Nous lui avons rappelé que nous demandons la distribution de 9 millions d’hectares à 4, 5 millions d’agriculteurs. Il a ensuite repris notre vision de la sécurité alimentaire dans son programme.». Une équipe de soutien a même été mise lors de la campagne montrant la compatibilité entre le programme de Jokowi et les luttes traditionnelles de l’organisation paysanne.
Irwan Nurdin, du KPA, constate également que les organisations de la société civile ont réussi à influencer le programme de Jokowi. « Nous avons fait inscrire la réforme agraire comme priorité dans son plan d’action pour les cinq prochaines années », raconte-t-il. Cette élection est-elle pour autant le début d’une nouvelle ère pour la société civile et les droits humains ?

La nécessité d’une mobilisation permanente.

Si certaines ONG ne cachent pas les espoirs qu’elles placent en Jokowi, les élections ont provoqué une profonde division au sein de la société civile indonésienne.
Dianto Bachradi, de la commission pour les droits humains, KomNas Ham, rappelle que Jokowi s’est lui aussi rendu coupable de violations des droits humains quand il était gouverneur en déplaçant de force des populations de certains quartiers de Jakarta.
Afin de ne pas donner carte blanche aux leaders pendant la campagne, un groupe d’organisations de la société civile s’est formé autour d’une initiative commune : Bersih 2014. Pilotée par Kontras elle s’est donnée pour objectif d’étudier le passé et les actions de chaque candidat aux élections pour que les citoyens puissent voter en leur âme et conscience. « Depuis les élections législatives d’avril 2014, nous avons développé cette « coalition propre » permettant de juger l’intégrité, les capacités politiques et le passé de chaque candidat », explique Iwan Nurdin de KPA.
Une nouvelle génération de militants s’est retrouvée dans cette initiative, comme en témoigne les taux de fréquentation record du site pendant cette période.
Les attentes autour de l’élection de Jokowi ont été considérables, et sa gouvernance est attendu au tournant par les organisations de la société civile.
Les citoyens étant encore peu au fait de ce que réalisent ou ne réalisent pas leurs responsables politiques, les organisations de la société civile se sentent garantes, non seulement du respect des droits et des lois, mais aussi des engagements politiques.
« Nous allons veiller à ce qu’il ne repousse pas cette priorité de la réforme agraire une fois aux affaires. C’est d’ailleurs pour cela nous avons déjà mis en place au mois de septembre 2014 le Comité national de la réforme agraire pour pousser le gouvernement à la conserver comme une priorité sur dans son agenda. » poursuit Irwan Nurdin, du KPA. Bersih 2014 va maintenant s’attacher à veiller à ce que les promesses électorales soient tenues et maintenir la pression sur le nouveau chef de l’Etat.

Anne-Fleur DELAISTRE

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