En Irak, les mobilisations citoyennes sous pression après l’assassinat de Ghassem Soleimani
Depuis début octobre, des dizaines de milliers de jeunes manifestent en Irak. Leurs demandes ? Des services aussi basiques que l’accès à l’eau ou l’électricité.
Ils dénoncent la corruption de leurs dirigeants dans ce pays redevenu l’un des principaux producteur de pétrole.
L’assassinat par les américains du général iranien Ghassem Soleimani sur le sol irakien coince la société civile entre le marteau et l’enclume
Pourquoi des mobilisations ?
A Bassorah, la deuxième ville du pays, capitale de la province la plus riche d’Irak, la mobilisation citoyenne a commencé au printemps 2018 : la population réclamait du travail, mais aussi le ramassage des ordures et de l’eau potable.
Les infrastructures de base sont dans un état déplorable : l’éducation, la santé, l’électricité, l’eau, la voirie, aucun service n’est rendu à la population.
Les activistes des mobilisations citoyennes veulent un Etat digne de ce nom.
Les activistes réclament un Etat pour tous les citoyens et non qui profite à quelques-uns. La « révolution d’octobre » a commencé par des manifestations de jeunes diplômés sans travail.
La corruption est endémique et elle empêche le développement du pays. Depuis la chute de Saddam Hussein, la corruption a englouti au moins 410 milliards d’euros, soit deux fois le PIB du pays et quatre fois le budget de l’Etat. L’Irak est classé au 12e rang des pays les plus corrompus par l’ONG Transparency International.
Pour en savoir plus sur les mobilisations citoyennes en Irak, voir le site de l’Iraqi Civil Society Solidarity Initiative
Depuis octobre , les protestataires remettent en cause l’influence iranienne en Irak.
Beaucoup de manifestants sont chiites mais ils demandent le départ de l’élite, chiite elle aussi, qu’ils jugent prédatrice et corrompue.
Ils ne veulent plus du régime politique confessionnel imaginé par les Etats-Unis en 2004 qui privilégie la majorité chiite, opprimée sous Saddam Hussein.
Ils accusent les chiites au pouvoir d’être affiliés à Téhéran et de négliger les intérêts de l’ensemble de la population irakienne.
La lutte contre l’Etat islamique a permis de renforcer l’emprise de l’Iran sur l’Irak
L’emprise de l’Iran s’est encore renforcée avec la lutte contre l’Etat islamique. Devant le danger, un appel a été lancé en 2014 aux jeunes chiites pour aller combattre.
Ces milices ont été regroupées dans une armée parallèle : la Mobilisation Populaire. Ses forces sont estimées aujourd’hui à 145 000 hommes, partiellement intégrés à l’armée nationale. Elles sont accusées de protéger les intérêts iraniens et les intérêts privés des hommes politiques liés à l’Iran.
Beaucoup de manifestants ne veulent pas mentionner leur confession
Les jeunes manifestants, eux, refusent d’être assignés à une identité en fonction de leur religion.
L’immense majorité de ceux qui campent sur les places aujourd’hui sont chiites mais ils ne se reconnaissent qu’une seule identité : Irakiens.
Beaucoup ne veulent pas donner leur confession quand on les interroge.
Ils intègrent à leur mobilisation leurs concitoyens chrétiens, kurdes et sunnites. Mais ces derniers ne peuvent pas se montrer : ils sont tout de suite accusés par le gouvernement d’appartenir à l’Etat islamique ou de le soutenir. C’est pour cela que les provinces sunnites comme Anbar ou Ninive ne se sont pas soulevées.
Les jeunes ne veulent pas se faire voler leur Révolution.
Ils ont déjà montré leur courage et leur persévérance. On estime le bilan depuis octobre dernier à plus de 600 morts et plus de 25 000 blessés.
La répression est menée par les forces de sécurité liées à l’Etat et par les milices. Elle prend la forme d’attaques massives et brutales contre les manifestants, à balles réelles, grenades lacrymogènes mortelles à tirs tendus, mais aussi d’assassinats ciblés des activistes les plus en vue, d’enlèvements, de disparitions.
Mais cette génération qui n’a connu que la guerre veut se construire un avenir, comme celles du Liban, d’Algérie ou du Soudan.
Qui est le général Ghassan Soleimani et comment a-t-il été assassiné ?
Le 3 janvier, le général iranien Ghassan Soleimani, chef du corps d’élite des Gardiens de la Révolution iraniens (les Pasdaran) chargé des opérations extérieures, a été tué par un drone américain. Il venait d’atterrir à Bagdad. Il était avec le numéro 2 de la Mobilisation Populaire, ce groupements de milices chiites irakiennes liées à l’Iran et accusée de participer à la répression contre les manifestants qui a également été assassiné.
Les conséquences de l’assassinat pour la mobilisation citoyenne.
Les manifestants se retrouvent sommés de montrer leur adhésion et leur ferveur envers le général Ghassem Soleimani, élevé au rang de héros national non seulement iranien mais aussi irakien.
En refusant, ils se retrouvent accusés de soutenir l’ennemi américain ; Pourtant les protestataires rejettent aussi les ingérences des Etats-Unis.
Les manifestants renvoient les Etats-Unis et l’Iran dos à dos
Sur les réseaux sociaux, un hashtag est vite apparu, qui dit :
« L’Irak ne sera pas votre champ de bataille, laissez-nous en dehors de vos conflits ».
Une vidéo diffusée le 7 janvier montre une jeune fille tenant trois feuilles : sur la première est écrit « Dehors l’Iran », sur la deuxième « Et l’Amérique », et sur la dernière « Nous voulons une patrie ».
Ils appellent aussi à de grandes manifestations pour demander la dissolution du Parlement irakien.
Celui-ci, en votant le 5 janvier le départ de toutes les forces étrangères du territoire irakien – donc surtout les forces américaines – s’est rangé aux ordres de l’Iran, jugent-ils.
Les mobilisations citoyennes se poursuivent, mais la violence augmente.
Les activistes sont donc toujours sur les places des villes du sud de l’Irak, et place Tahrir à Bagdad, là où s’est déployée la mobilisation citoyenne.
Mais depuis lundi 6 janvier, des attaques d’hommes armés non identifiés sont signalés à Nassiriya et à Bassorah.
Dans les deux villes, les jeunes ont refusé d’organiser à l’endroit des sit-in des funérailles symboliques pour Ghassem Soleimani et pour Abou Mahdi al-Mohandes, le numéro 2 de la Mobilisation Populaire.
Gwenaelle Lenoir
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