Faim et climat, une même urgence

Publié le 27.10.2015| Mis à jour le 08.12.2021

Alors que le dérèglement climatique perturbe fortement l’agriculture des pays pauvres, les organisations de solidarité internationale bataillent depuis des mois pour que l’accord prévu au sommet COP 21 de Paris inclue l’enjeu de la sécurité alimentaire des populations.


Au début des années 1970, Ibrahima Coulibaly mettait parfois un vêtement de laine le matin quand il allait à l’école, pendant la saison des pluies au Sahel. « Aujourd’hui, ce n’est plus utile, cette saison froide a disparu de nos contrées », racontait le vice-président du Roppa, réseau paysan d’Afrique de l’Ouest, lors de la récente conférence « La faim : l’autre visage du changement climatique »[[Organisée à Paris le 26 mai 2015 par Action Contre la Faim, Acting for life, Care, CCFD-Terre Solidaire, Réseau climat et développement, Secours Catholique et Unicef-France]]..
« Le dérèglement climatique, nous le vivons au jour le jour. » En 2014, on n’a récolté, dans sa région, que 500 kilos de maïs par hectare. « Les gens coupent leurs arbres pour en faire du charbon et le vendre pour vivre. Tous les jeunes veulent fuir en Espagne ! »
Sur les trois dernières décennies, le rendement du blé en zone tempérée a baissé de 5 à 10 %, indique Laurent Bopp, directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et l’environnement (LSCE). « Avec une augmentation de 3 °C des températures moyennes planétaires à l’horizon du siècle, tous les modèles concluent à un impact négatif pour les céréales. »

Le dérèglement devrait aussi augmenter la fréquence des événements climatiques violents

En mars 2015, l’ouragan Pam, « la plus importante catastrophe de l’histoire de Vanuatu, rappelle Isabelle Austin (Unicef, bureau Pacifique), a détruit 90 % des cultures vivrières et affecté plus de la moitié de la population.
Plus de 40 % des pays de la zone Pacifique sont exposés au risque climatique : dévastations, montée du niveau de la mer, salinisation des eaux douces, etc. »

De son côté, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) a fait des projections très préoccupantes : à l’horizon 2080, le dérèglement pourrait voir 600 millions de personnes supplémentaires souffrir de la faim, qui s’ajouteraient aux 805 millions actuelles. Réduisant ainsi à néant « tous les progrès accomplis jusqu’alors dans la lutte contre la faim au cours de ce siècle », avertit Stéphanie Rivoal, présidente d’Action Contre la Faim (ACF).

La sécurité alimentaire, quasi-absente des négociations

Alors que Paris accueille en décembre prochain la grande conférence COP 21, qui ambitionne un accord planétaire sur la limitation de l’effet de serre et l’adaptation aux impacts du dérèglement climatique, l’inquiétude des organisations de solidarité internationale monte.
En effet, plus de deux décennies après la naissance de la Convention climat de Rio (1992), qui a lancé le cycle des COP [[ Conference of parties, qui réunit chaque année les pays signataires.]], il n’a été fait jusqu’au début 2015 aucune mention de la sécurité alimentaire dans les négociations.
Tout au plus, dans les textes préparatoires à l’accord de Paris, les négociateurs s’inquiètent-ils de préserver la production agricole, c’est-à-dire l’augmentation des rendements par des moyens industriels.
« Et même quand l’agriculture est mentionnée, c’est de manière très vague, appuie Hilal Elver, rapporteur spéciale des Nations unies sur l’alimentation. Cette question n’est pas dans la tête des négociateurs, leur objectif premier reste la décroissance des émissions de gaz à effet de serre… » .

Batailler pour un accord contraignant

Alors que des pays comme les États-Unis et la Chine refusent que les engagements nationaux aient un caractère contraignant, les organisations de solidarité internationale bataillent pour que la sécurité alimentaire des populations soit prise en compte à Paris au nom des droits humains, cadre fort qui a fait une timide apparition dans les négociations climatiques depuis 2011.
À moins de deux mois de l’ouverture de la COP 21, le thème restait pourtant relégué dans les négociations, déplorait mi-septembre Maureen Jorand, chargée de plaidoyer souveraineté alimentaire au CCFD-Terre Solidaire. « Mais bonne nouvelle, notre revendication, jusque-là portée par des pays isolés, l’est désormais aussi par des groupes : l’Union européenne, quelques pays d’Afrique derrière l’Angola, ou d’Amérique centrale représentés par le Salvador. »

Les dangers de l’agriculture climato-compatibles

Cependant, ces appuis restent minoritaires, ce qui laisse le champ libre à la « Climate smart agriculture » (CSA, agriculture « climato-compatible »). Ce concept très flou (par exemple, il n’exclut pas les OGM, les pesticides ou les engrais chimiques), taillé sur-mesure pour les grandes firmes agroalimentaires adeptes du productivisme, s’est constitué en une « alliance mondiale » (Gacsa) à géométrie variable qui vise à imposer son standard sur la planète [[Voir Faim et Développement]].
Une déclaration signée par plus de 350 ONG (250 de plus qu’en 2014) appelle à rejeter cette initiative mortifère pour une petite agriculture convertie à l’agroécologie, en mesure de produire plus de 70 % de l’alimentation des populations en zones rurales.

« Les gouvernements prétendent que la Gacsa ne sera qu’une inoffensive plateforme d’échange des pratiques agricoles respectueuses du climat, rapporte Maureen Jorand. Pourtant, on y réfléchit à des investissements, et le coordonateur de l’initiative m’a clairement indiqué qu’il visait son inclusion dans l’accord climatique ! » Ce qui l’adouberait définitivement comme référence mondiale pour les actions menées dans le domaine de l’agriculture face au dérèglement.
D’ailleurs, le ver est déjà dans le fruit, relève Maureen Jorand : un groupe de paysans d’Afrique de l’Ouest, qui présentait récemment un projet basé sur l’agroécologie à un bailleur européen, s’est vu répondre qu’il ne serait approuvé qu’à condition d’être estampillé CSA.
Autre signe d’une imprégnation rampante : le Fonds vert pour le climat, destiné à aider les pays du Sud à s’adapter au dérèglement climatique [[Les pays riches se sont mis d’accord pour abonder ce Fonds vert pour le climat à hauteur de 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020.]], est à ce jour fortement sollicité par des projets CSA, comme si nombre d’opérateurs considérait désormais l’estampille comme la norme.

Face à cette offensive, la France, hôte de la COP 21, joue un jeu ambigu estiment les organisations de solidarité internationale : elle refuse de se retirer de la Gacsa, arguant qu’il est plus efficace de l’influencer de l’intérieur.
Paris présente une autre initiative intitulée 4 ‰ : « Sur 1 000 grammes de matière carbonée élaborée par la photosynthèse, si nous parvenons à en capter 4 grammes pour les séquestrer dans le sol, nous résoudrons le problème de l’excédent de CO2 atmosphérique, tout en restructurant des sols dégradés par l’érosion », s’enthousiasmait Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture [[ Lors de la conférence « La faim : l’autre visage du changement climatique.]]

Pas clair du tout, décrypte Maureen Jorand. « Cette captation du CO2 à grande échelle serait pratiquée sur de grandes étendues au Sud, dont les ressources seraient une fois de plus sollicitées pour compenser les turpitudes du Nord. Et puis ce mécanisme pourrait vite conduire à un accaparement de terres au détriment des petits paysans. Par ailleurs, dans les sources de financement, on pourrait voir apparaître des fonds de pension spéculateurs… »

Les organisations de solidarité internationale misent désormais sur la réunion de Bonn mi-octobre, dernière rencontre préparatoire à la COP 21, pour tenter d’imposer la sécurité alimentaire au sein de l’accord de Paris.

Ce décryptage est extrait du dossier : Les atouts de l’agriculture paysanne face au dérèglement climatique du magazine Faim et Développement d’octobre 2015. Vous pourrez aussi y lire les articles suivants :

Reportage/Indonésie : Les Dayaks résistent contre la palme
Focus/Guinée : La patate chaude des paysans guinéens

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