Fiscalité internationale : les pistes de l’OCDE insuffisantes pour la société civile

Publié le 18.12.2019| Mis à jour le 08.12.2021

Comment créer un système de taxation des multinationales adapté au 21ème siècle qui permette de lutter contre les paradis fiscaux et les inégalités ?
Les pistes présentées par l’OCDE ne modifieront pas la donne, selon des économistes et des acteurs de la société civile qui entendent poursuivre leur combat.


Halte à l’évasion fiscale ! La succession des scandales, des LuxLeaks aux Paradise Papers, comme le bras de fer entre la Commission européenne et Apple ou Google ont démontré les lacunes du système fiscal international et les techniques sophistiquées utilisées par les investisseurs pour se soustraire à l’impôt, notamment grâce à l’optimisation fiscale.

40 % des profits des multinationales, dont les deux tiers proviennent de pratiques plus ou moins autorisées, se retrouveraient ainsi dans les paradis fiscaux, selon l’économiste Gabriel Zucman, membre de l’ICRICT (Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés). Cette coalition d’économistes créée à l’initiative des ONG fait des propositions alternatives.
Le montant de ces détournements estimés entre 100 et 200 milliards de dollars par an par l’OCDE, soit entre 4 % et 10 % de l’impôt sur les bénéfices des sociétés à l’échelle mondiale, a de quoi susciter une crise de confiance.

L’importance de ces sommes a d’ailleurs conduit la communauté internationale à prendre des mesures pour s’attaquer à ces pratiques. Objectif : en finir avec ces trous noirs de la finance, en révisant notamment les règles du système fiscal et s’attaquer aux paradis fiscaux.

Grand oublié de ces propositions au grand dam des ONG : la lutte contre les inégalités grandissantes entre les pays du Nord et ceux du Sud. Dans ces derniers pays, davantage tributaires des recettes de l’impôt sur les sociétés, les impacts sont importants.
En Afrique, par exemple, l’impôt sur les sociétés représente 15 % des recettes fiscales contre 9 % dans les pays de l’OCDE.

De nouvelles taxes pour les entreprises numériques

C’est pour cette raison que le G20 a décidé en 2013 de mandater l’OCDE pour travailler sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices dans les paradis fiscaux.
Ce projet, baptisé BEPS, a débouché en 2015 sur un certain nombre de constats partagés par les États. Ils recommandent la définition d’un nouveau cadre.

Une nouvelle phase de ce chantier est en cours après les propositions présentées par l’OCDE en octobre. Et les ministres des Finances du G20 ont apporté leur soutien aux travaux. Parmi ces préconisations qui vont faire l’objet de négociations durant plusieurs mois : la création d’une taxe sur les activités digitales de multinationales qui échappent majoritairement à l’impôt.
Car, dans de nombreux pays, seules les entreprises présentes physiquement sur le territoire sont imposées. De plus, les règles actuelles ne prennent pas en compte la valeur ajoutée apportée à ces entreprises par les clients et les utilisateurs numériques.

Il s’agit donc de créer de nouvelles taxes en allouant une partie des bénéfices de ces multinationales aux pays dans lesquels elles opèrent en fonction des ventes qu’elles y ont réalisées ou du nombre d’utilisateurs, par exemple.

Parallèlement, l’organisation internationale souhaite introduire un taux d’imposition minimum, quel que soit le pays. Ce taux devrait décourager les entreprises de recourir aux paradis fiscaux, et mettre donc un terme à la concurrence fiscale entre les pays.

Manque d’ambition

Quelques jours avant la divulgation des propositions de l’OCDE, l’ICRICT, lors d’une conférence organisée à Paris, avait clairement fustigé « l’absence d’ambition » de ces propositions à l’aune des premières informations disponibles.

Saluant la volonté de l’organisation internationale d’adapter le système fiscal international au 21ème siècle, Joseph Stiglitz, membre de l’ICRICT, n’en a pas moins critiqué les effets limités à attendre des nouvelles règles. D’abord, elles ne s’appliqueraient qu’à une partie des profits, dits profits « résiduels », très limités. Les profits tirés des activités classiques, comme la production de biens et de services, continueraient d’être taxés comme aujourd’hui.

Pour une large partie de leurs activités, les entreprises pourraient ainsi persister à utiliser les failles du système pour déclarer les bénéfices là où elles le souhaitent. Les activités des secteurs extractifs et certainement financiers ne seront pas concernées. Des incertitudes demeurent également sur le taux d’imposition unique retenu.

Certains experts évoquent des taux compris entre 13 % et 15 %. Mais l’ICRICT estime que seule une taxation autour de 25 % permettrait réellement de dégager des revenus suffisants. À condition – et c’est le troisième bémol – de trouver des règles de répartition équitable qui permettraient aux pays du Sud de récupérer plus que des miettes. La prise en compte des ventes sur place, comme le préconise l’OCDE, favorise les pays les plus riches qui consomment davantage et désavantagerait les pays dont les marchés sont restreints.

« Il faut s’appuyer sur une multitude de facteurs en incluant par exemple l’emploi pour que les pays en développement en bénéficient également », a estimé pour sa part Thomas Piketty, autre membre de l’ICRICT, pour qui les propositions de l’OCDE font courir « le grand risque de s’apercevoir au bout du compte que les problèmes sont toujours présents ».

L’ICRICT sera-t-il entendu ? Il est trop tôt encore pour répondre. Le document de l’OCDE va maintenant alimenter de nombreux débats auxquels participeront des ONG, dont le CCFD-Terre Solidaire. Avec, à terme, l’ambition de parvenir à un accord soumis au sommet du G20 entre les chefs d’États et de gouvernements à l’été prochain.

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