Foire aux questions sur les prix alimentaires, une analyse du CCFD-Terre Solidaire

Publié le 28.08.2012

Ce FAQ est construit sur la base du question/réponse élaboré par le programme alimentaire mondial


1. Quel est le niveau actuel de la hausse des prix alimentaires ?
L’Indice FAO des prix des produits alimentaires publié le 9 aout était de 213 points pour juillet 2012, soit 6% de plus qu’en juin. L’indice n’a pas encore atteint son record, établit à 238 points en février 2011.
C’est pour les céréales que la hausse est la plus importante : l’indice FAO des prix des céréales était de 260 points en moyenne pour juillet 2012, soit une hausse de 17% en un mois le rapprochant dangereusement de son record établit à 274 points en avril 2008.
Les indices de prix établis par la FAO sont tempérés, à la différence des cours des marchés internationaux, qui soulignent encore plus fortement la ruée vers ces matières premières. Ainsi depuis le mois de juin 2012, sur la bourse de Chicago, première place d’échanges pour les matières premières agricoles, la hausse avoisine les 50% pour le blé, et dans une moindre mesure le soja suit la même tendance (30%). Le prix du riz reste stable pour le moment, tout comme celui des viandes.
Même si seulement 15 à 20% de la production mondiale passe par les marchés internationaux (les ¾ des productions étant échangées directement sur les marchés domestiques), les bourses d’échange telles que Chicago donnent le pouls, la tendance, qui est ensuite répercutée au niveau régional et national.
Note sur le graphique : cette comparaison de l’indice depuis 2008 montre bien la volatilité constante que connaissent les prix des produits alimentaires avec plusieurs pics (2008, fin 2010-début 2011, et mi 2012) et de fortes baisses (fin 2008-début 2009).

2. Qu’est-ce qui a provoqué l’envolée des prix en juillet ?
Perspectives de récoltes mauvaises aux Etats-Unis ou en Europe de l’Est et incertitudes dans d’autres régions (Inde), hausse du prix du pétrole, baisse des quantités de céréales disponibles sur les marchés alimentaires en raison de leur utilisation pour la production d’agrocarburants, concentration croissante des filières et du commerce aux mains d’une poignée d’acteurs… Les éléments concourant à cette hausse sont multiples. La sécheresse record connue aux Etats Unis ne peut donc pas être pointée du doigt comme la cause unique. Les marchés agricoles connaissent une situation tendue depuis de nombreuses années, la moindre perspective négative faisant le jeu des spéculateurs.

3. Ce pic représente-t-il une nouvelle tendance à la hausse ?
C’est une fausse question : il faut cesser d’analyser les fortes hausses de prix alimentaires de manière cloisonnée. Avec la répétition d’épisodes régionaux ou internationaux s’accompagnant de hausse des prix alimentaires (crise alimentaire mondiale 2007-2008, pic des prix en février 2011, crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique et au Sahel,…), il semble en effet difficile de parler d’une nouvelle tendance. Nous sommes plutôt dans un phénomène qui s’installe – une volatilité accrue, inhérente au fonctionnement dérégulé et libéralisé de nos marchés.

4. Comment expliquer cette continuité de la volatilité des prix ?
La crise alimentaire de 2007-2008 et ses émeutes avaient bousculé le monde : déclarations enflammées de chefs d’Etats, mobilisations de capitaux supplémentaires, mobilisation du G20 avec un plan d’action spécifique,… La question de l’efficacité de ces approches se pose aujourd’hui alors que la situation se répète et cela de plus en plus fréquemment. Les aléas climatiques font partie de la donne depuis toujours en matière agricole (quasiment chaque année, une région connaît des épisodes climatiques impactant sa production alimentaire). Il revient aux Etats d’anticiper ces aléas et de mettre en place des politiques à même de prévenir les crises alimentaires.

Le CCFD-Terre Solidaire pointe du doigt trois manquements majeurs dans les réactions internationales à la volatilité des prix agricoles
– pas de renforcement du soutien aux petits agriculteurs qui produisent 70% de l’alimentation au niveau mondial mais au contraire une prédation de plus en plus forte des grands investisseurs privés, notamment sur les terres et les ressources ;
– le maintien des politiques d’incorporation d’agrocarburants et de soutien à la production concurrençant les productions alimentaires ;
– des marchés libéralisés aux mains des acteurs financiers, sans aucun mécanisme de régulation permettant de temporiser les variations de prix (faiblesse des autorités de marchés, absence de stocks de régulation).

5. Quid du plan d’action du G20 ?
Deux mécanismes avaient été mis en place par le G20 dans le cadre de son plan d’action fin 2011 (un système d’échange d’information, l’AMIS , et un forum de réponse rapide, le RRF ) et la situation actuelle va d’une certaine manière constituer un baptême du feu pour ces dispositifs. Cependant, à la veille d’une réunion téléphonique de certains Etats membres du G20 (Mexique, Etats-Unis, France) devant décider de leur déclenchement, leur pertinence est déjà remise en cause, certains craignant que l’activation du forum de réponse rapide n’envoie un signal négatif aux marchés, avec le risque d’accentuer les actions opportunistes de certains investisseurs.
Et la réaction de Glencore, une des premières sociétés de courtage de matières premières confirme que la hausse des cours que nous avons connu depuis cet été est considéré comme une aubaine par les acteurs financiers. « Concernant les perspectives pour le reste de l’année, l’environnement est bon : des prix élevés, une forte volatilité, beaucoup de troubles/cassures, beaucoup de possibilités d’arbitrage  » soulignait ainsi Chris Mahoney, directeur des produits agricoles à Glencore.

6. Quels sont les pays et les populations vulnérables à la hausse des prix alimentaires ?
Une hausse des cours qui provoque en particulier une hausse des prix alimentaires va tout d’abord impacter les pays dépendant des importations pour répondre aux besoins alimentaires de leurs populations et donc directement soumis aux cours internationaux (comme pour les pays africains qui importent en moyenne 25% de leur alimentation, ou encore le Mexique, la Chine, …). De même, dans certaines régions, l’alimentation peut représenter les ¾ du budget de la famille. L’augmentation des prix, en particulière des céréales, entraîne alors une restriction des achats. De manière plus générale, dans un contexte de crise internationale, les consommateurs tant au Nord qu’au Sud connaitront une hausse des prix alimentaires impactant le budget des ménages.
Cette hausse des prix va également avoir des conséquences sur l’aide alimentaire, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) ne pouvant pas acheter avec le même budget le même nombre de vivres. Dans le même temps, cette situation d’insécurité alimentaire entraine une augmentation des demandes d’aide alimentaire. Déjà en 2008, la hausse importante des cours de certaines denrées avait plongé le PAM dans d’importantes difficultés.

7. Quels sont les mécanismes d’adaptation adoptés par les personnes touchées ?
Les familles les plus pauvres vont se trouver dans l’obligation de procéder à des arbitrages (diminution des quantités achetées, compromis sur la qualité nutritive, restriction sur d’autres postes de dépense – scolarité, santé,…). La hausse des prix représente une réelle menace pour nombre de familles. Dans la plupart des pays en développement, les gens dépensent 60 à 80 % de leurs revenus en nourriture.
Les organisations locales vont intensifier leur action pour faire face aux urgences, tout en poursuivant des actions menées dans la durée afin de poser les bases d’une sécurité alimentaire durable : qu’il s’agisse d’associations de quartier ou villageoises, ou des syndicats paysans, leur mobilisation toute l’année est déterminante . Les banques de céréales et de semences, les bourses d’échanges de semences et de céréales, les greniers villageois et inter villageois, les systèmes de warrantage (récolte déposé dans un magasin général en gage d’un crédit pour financer par exemple le début du cycle de production), le renforcement des filières vivrières (augmentation de la production, renforcement des circuits de commercialisation) sont autant de solution mises en œuvre par les partenaires du CCFD-Terre Solidaire pour soutenir les populations au niveau local.

8. La hausse des prix ne bénéficie-t-elle pas aux agriculteurs ?
La hausse des prix alimentaires peut être assimilée à une opportunité pour les producteurs, notamment dans les régions ne connaissant pas une baisse de leur production. On estime qu’en France, la récolte de blé sera très importante – la hausse du cours du blé bénéficiera ainsi plutôt aux grands céréaliers. D’un autre côté, d’autres maillons du système alimentaire risquent d’être impactés par cette hausse, et notamment les éleveurs. On note ainsi déjà une accélération des abattages afin de réduire le nombre d’animaux à nourrir.
De plus, de nombreux producteurs au Nord comme au Sud ont aujourd’hui recours aux contrats à terme, c’est-à-dire à la vente en amont de leur récolte à un tarif fixé à l’avance. Ces contrats ayant été passés il y a quelques mois, ils n’ont pas pris en compte la forte hausse du mois d’août. Les agriculteurs n’en bénéficieront donc pas.

9. Quelles perspectives pour les prochains mois ?
Les discours s’opposent ces dernières semaines : alors que certaines évoquent le risque de voir de nouvelles émeutes de la faim sévir, d’autres (comme le FMI ou la Banque Mondiale) estiment que cette hausse sera rapidement tempérée par des annonces de récoltes plus favorables dans d’autres régions évitant ainsi une nouvelle crise alimentaire.
La vérité est que personne ne peut prédire la situation des prochains mois, de la même manière que la sécheresse américaine – imprévisible- a surpris l’ensemble des analystes.
Ce qui est sûr c’est que le secteur agricole va être particulièrement suivi, et les prochaines annonces de récoltes du riz en Inde ou du blé et du maïs en Europe de l’Est joueront un grand rôle.
Dans tous les cas, les consommateurs les plus pauvres et les régions nécessitant un soutien en termes d’aide alimentaire (comme au Sahel ou dans la Corne de l’Afrique) vont d’ores-et-déjà commencer à être impactés.

10. Comment peut-on assurer un accès stable à la nourriture pour les plus vulnérables ?

1. Pas de décision unilatérale. Il faut veiller à ce que des réflexes égoïstes n’amplifient pas la situation actuelle. Ainsi, avec une quantité de céréales moins importante, il est à craindre que les grands pays producteurs touchés décident de restreindre leurs exportations. C’est ce qu’avait fait la Russie lors de la campagne 2010-2011, contribuant ainsi à renforcer les tensions sur les marchés. De la même manière, cette situation ne doit pas non plus se traduire par des achats massifs – de prévision- de pays importateurs nets ce qui ne fait que renforcer les déséquilibres. Le Mexique a ainsi depuis la mi-aout fortement augmenté ses achats de mais américain, concourant à renforcer la hausse des prix.

2. Optimiser la disponibilité des matières premières alimentaires, ce qui passera par une remise à plat de l’ensemble des politiques de soutien et d’incorporation d’agrocarburants. De nombreux appels de personnalités vont dans ce sens, comme en témoigne la demande formulée par José Graziano da Silva, directeur général de la FAO, auprès des Etats-Unis.

3. Réguler les marchés. A moyen-terme, cette énième alerte doit permettre de mettre en place un ensemble de règles et de mécanismes sur les marchés agricoles, avec des autorités de marchés renforcées, l’exclusion des acteurs hors secteur agricole et la mise en place de stocks tampons régionaux, seuls capables de lisser les prix en cas de fortes variations.

4. Soutenir les petits producteurs. Ils sont au cœur de notre système alimentaire et doivent à ce titre être soutenus. Les Etats doivent réinvestir dans leur agriculture et donner les moyens à la population de répondre à ses besoins. Les réponses aux crises alimentaires ne doivent plus être formulées sous le prisme unique d’un renforcement de la production via les investissements privés. Il faut cesser de déposséder les populations de leurs terres, de leur agriculture – la sécurité alimentaire passe par la souveraineté alimentaire.

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