France : le droit sur les semences en débat

Publié le 05.11.2012

En août, un collectif d’une vingtaine d’associations et syndicats paysans, dont Chrétiens dans le monde rural (CMR), publiait une lettre ouverte aux élus du Parlement européen pour s’alarmer des projets d’appropriation des semences et des animaux de ferme, par le biais de dépôts de brevets. Les points de vue de Christiane Lambert, première vice-présidente de la FNSEA, principal syndicat d’agriculteurs français, et de Guy Kastler, délégué général du Réseau semences paysannes, l’une des organisations signataires de cette lettre.


Lettre ouverte aux Parlementaires Europeens

Christiane Lambert

FDM : Cette lettre ouverte critique les mécanismes de privatisation à l’œuvre dans le domaine des semences. Y adhérez-vous ?

Christiane Lambert : Nous sommes à 100 % en accord avec le principe qu’elle affiche : « Les droits des paysans de multiplier et d’échanger leurs semences et leurs animaux de ferme est le fondement de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la biodiversité agricole. Ils doivent rester inaliénables. » Cependant, nous relevons beaucoup d’approximations et de caricatures dans l’argumentation de cet appel, sur fond de bataille politico-syndicale.

Sur quels points ?

Ces organisations contestent le principe d’une redevance sur les semences. Pourtant, quand la recherche produit des variétés plus résistantes au stress hydrique ou dotées de meilleures qualités nutritionnelles, il est logique de contribuer à rémunérer ce travail.

En 2012, il n’existe plus de variété qui ne soit passée par les laboratoires. Je suis agricultrice dans le Maine-et-Loire. Dans les années 1960, les vaches de mes parents donnaient 3 000 litres de lait par an. En 2012, les volumes sont presque trois fois supérieurs, grâce à l’amélioration des races bovines. Depuis les années 1970, la recherche a permis de multiplier par deux la production à l’hectare du blé tendre, variété la plus cultivée en France.

Et, si le rendement était alors la préoccupation première, la recherche a depuis diversifié ses objectifs : qualité nutritionnelle, résistance aux maladies, réduction des besoins en produits phytosanitaires…

Le brevetage des variétés permet de rétribuer les obtenteurs de nouvelles variétés. Y êtes-vous favorables ?

Le brevet, c’est la logique industrielle à l’œuvre, et nous y sommes opposés. Il représente une menace d’appropriation totale sur les semences par des intérêts privés, obligeant les agriculteurs à de lourdes démarches pour obtenir l’autorisation de les utiliser contre versement de royalties. Le brevet, c’est une forme de hold-up au profit des multinationales ! Rappelons qu’en France, la recherche semencière est généralement menée par des coopératives ou de petites entreprises.

Nous défendons un autre mécanisme, celui des Certificats d’obtention végétale (Cov), adoptés par la loi de novembre 2011 : un titre de propriété attribué à l’obtenteur d’une variété, sans restriction d’utilisation par les agriculteurs. Ces derniers sont tenus de verser au propriétaire une redevance par hectare cultivé : de l’ordre de 3 euros pour le blé tendre. Et les exploitants qui sèment moins de 15 hectares en sont exemptés. Cette loi met la France en conformité avec un texte européen de 1991.

Mais les débats en cours à l’échelon européen semblent menacer cette voie…

La règlementation européenne prévoit des Cov, et nous ne distinguons pas de véritable menace sur ce mécanisme. Certes, les pays anglo-saxons et nordiques sont tentés par l’option « brevet ». Mais nous sommes équipés pour défendre les Cov. Les Pays-Bas, détenteurs d’une très grande diversité cultivée, en particulier pour les fleurs, sont sur la même ligne que la France. Par ailleurs, le Comité des organisations professionnelles agricoles (Copa), le plus important collectif du genre dans l’Union avec soixante et onze organisations syndicales adhérentes – dont la FNSEA –, défend cette vision auprès des instances bruxelloises.

Guy Kastler

FDM : Selon vous, l’Union européenne lorgnerait vers l’instauration de brevets sur les semences et races animales de ferme. N’est-ce pas forcer le trait ?

Guy Kastler : Nous observons actuellement que la stratégie d’investissement des industriels du secteur est massivement orientée vers le génie génétique. Et il ne s’agit plus d’obtenir des plantes entières, mais des séquences génétiques ou moléculaires, obtenues par mutation dirigée, fusion cellulaire… susceptibles d’être introduites dans n’importe quel organisme. Une technique destinée à conférer certaines propriétés aux plantes, plus rapidement et plus simplement que la transgenèse (OGM). Toutes ces méthodes sont bien sûr protégées par des brevets, comme c’est le cas, pour le gène Bt introduit dans le coton OGM pour qu’il produise son propre insecticide.

On n’en est plus au niveau de la recherche fondamentale, ces techniques en sont actuellement au stade du développement. Notre inquiétude vient d’un document de travail que Bruxelles a mis en débat en juillet dernier, et qui ouvrirait la porte à la commercialisation de plantes contenant des séquences génétiques brevetées : il n’y a pas de fumée sans feu !

La règlementation actuelle n’autorise l’accès au marché qu’à des semences de variétés homogènes et stables, et dont la propriété peut être protégée par un Cov.

La nouvelle piste proposée par la Commission revient à créer une deuxième procédure d’enregistrement, ouverte à des variétés non homogènes et non stables, et contenant des séquences génétiques brevetées. Les firmes biotechnologiques pourraient tirer plus rapidement profit de leurs innovations, sans avoir à en passer par les fastidieuses étapes de multiplication de lignées, susceptibles de conférer homogénéité et stabilité à leurs variétés. Si c’est possible…

Mais votre Réseau n’est-il pas favorable à la libre circulation des variétés non homogènes et non stables, qui caractérisent les semences de ferme et contribuent à la biodiversité cultivée ?

D’une certaine manière, cette reconnaissance nous est favorable.

En revanche, nous demandons que l’enregistrement soit formellement interdit pour de telles variétés si elles sont couvertes par des brevets. La déconvenue d’un obtenteur français illustre bien le piège tendu. Il a récemment obtenu une salade résistante aux pucerons par le biais de croisements classiques, avec des laitues traditionnelles bretonnes. Or, un obtenteur néerlandais est parvenu au même résultat grâce à un procédé de génie génétique, qu’il a fait breveter. Résultat : l’obtenteur français est tenu de lui payer des droits de licence, qui peuvent classiquement représenter la moitié du bénéfice des ventes !

Ainsi, risque-t-on de voir déferler des brevets portant sur des manipulations sur des gènes natifs, déjà existants. Bref, il n’est pas exagéré de voir à l’œuvre un début de brevetisation rampante et généralisée sur les semences. C’est une menace radicale pour les paysans traditionnels.

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