Gaza, un retrait en trompe l’œil

Publié le 13.07.2006

13 juillet 2006 « Information Clearing House » … Quel que soit le sort réservé au soldat captif Gilad Shalit, la vaste offensive militaire lancée par l’armée israélienne n’a pas pour principal objectif sa libération. En effet, selon Alex Fishman, analyste senior des affaires de [dont les articles sont publiés dans le quotidien Yediot Aharonot, Ndlr], cela faisait des mois que l’armée se préparait à provoquer des attaques qui justifieraient la destruction des infrastructures du Hamas et le renversement de son gouvernement.

Le 8 juin, l’armée israélienne déclencha une escalade lorsqu’elle causa la mort d’Abu Samhadana, haut responsable du ministère palestinien et chef des Comités de résistance populaire, et intensifia le pilonnage et les bombardements de zones d’habitation civiles dans la Bande de Gaza. Le gouvernement avait déjà donné son autorisation le 12 juin pour entamer les hostilités sur une plus grande échelle. Cette décision fut, cenpendant, remise à plus tard à la suite du vif émoi suscité par le massacre de civils, bombardés le jour suivant. Mais l’enlèvement du soldat israélien a retiré le cran de sûreté, et l’opération fut lancée le 28 juin, avec pour objectifs la destruction des infrastructures dans Gaza, et l’arrestation massive de dirigeants du Hamas en Cisjordanie, une arrestation planifiée des semaines à l’avance.

Pour contrôler la Cisjordanie, Israël doit continuer à occuper Gaza.
Selon le discours tenu par l’État israélien, ce dernier mit fin à l’occupation dans la Bande de Gaza lorsqu’il ordonna l’évacuation des colons juifs. Et les Palestiniens, par leur comportement, font preuves d’ingratitude. Mais cette description est loin de coller à la réalité. À vrai dire, tel que « le plan de Désengagement » le stipulait déjà, Gaza demeura sous le contrôle total de l’armée israélienne, qui continuait d’opérer de l’extérieur. En effet, l’État israélien enlevait à la Bande de Gaza toute chance de devenir économiquement indépendante. De plus, depuis le début du processus, Israel n’a appliqué aucune des clauses inscrites dans l’accord sur les passages frontaliers de Gaza, signé en novembre 2005. En fait, Israël a tout simplement substitué l’occupation coûteuse de Gaza par une occupation bon marché, qui, du point de vue israélien, le dispense de trois points : le maintien d’une stabilité dans la Bande, la préoccupation du bien-être des habitants, et la protection des vies d’un million et demi de résidents, comme il est stipulé dans la quatrième Convention de Genève.

En réalité Israël n’a nul besoin de ce morceau de terre, une des zones de populations les plus denses sur terre, et privée de toutes ressources naturelles. Le problème est qu’on ne peut laisser Gaza libre si on veut garder la Cisjordanie. Un tiers des Palestiniens occupés vit dans la Bande de Gaza. Dès lors, si l’État israélien leur octroyait la liberté, ils deviendraient le centre de la lutte palestinienne pour la libération, ayant libre accès au monde occidental et arabe. Pour contrôler la Cisjordanie, Israël doit continuer à occuper Gaza. Ainsi le nouveau modèle d’occupation qu’Israël a développé consiste à transformer la Bande tout entière en une énorme prison, complètement coupée du monde extérieur.

« La paix pour tous, ou la peur pour tous »
Sans aucun espoir, ni aucune autre alternative de lutte politique, les Palestiniens assiégés chercheront toujours de nouvelles méthodes pour lutter contre leur opresseur. Ainsi, les prisonniers palestiniens de Gaza ont trouvé le moyen de chambouler la vie des Israéliens vivant à proximité de la Bande. Il consiste à lancer des roquettes artisanales Qassam par dessus le mur de Gaza, sur des localités juives qui bordent la Bande de Gaza. Ces roquettes rudimentaires sont envoyées complètement au hasard, et ont rarement fait des victimes israéliennes. Par contre, elles peuvent causer des dommages physiques et psychologiques, et perturber sérieusement l’existence des Israéliens vivant dans les villes ciblées. Aux yeux de beaucoup de Palestiniens, les Qassams constituent une riposte à la guerre qu’a déclenchée l’État israélien. Comme l’a déclaré un étudiant de Gaza dans le journal américain, le New York Times : « Pourquoi serions-nous les seuls à vivre dans la peur ? Grâce à ces roquettes, les Israéliens craignent également pour leur vie. C’est la paix pour tout le monde, ou rien. »

Alors que l’armée israélienne, la plus puissante du Moyen-Orient, est incapable de trouver une solution militaire pour riposter à ces roquettes artisanales, le Hamas en proposait une depuis le début : un cessez-le-feu général. Cet appel fut renouvelé par Haniyeh cette semaine. Le Hamas a déjà prouvé qu’il savait tenir parole. En effet, depuis que le Hamas a annoncé, 17 mois plus tôt, sa décision d’abandonner la lutte armée en faveur de la lutte politique, et déclaré un cessez-le-feu unilatéral (Tahdiya – calme), il n’a jamais pris part aux tirs de Qassams, sauf en cas de provocation violente israélienne. L’escalade de violence de juin en est un exemple. Cependant, le Hamas demeure attaché à la lutte politique pour mettre fin à l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie. Selon l’État israélien, les résultats des élections palestiniennes sont un désastre, car pour la première fois les Palestiniens ont élu un pouvoir qui privilégie les intérêts palestiniens à une collaboration aux revendications israéliennes.

Pas de vague de protestations mondiale
Puisque la fin de l’occupation est loin de faire partie des projets d’Israël, l’armée a décidé de se débarasser des Palestiniens en ayant recours à une violence dévastatrice et sanglante. Il faudrait les laisser mourir de faim, les bombarder, les terroriser avec des bangs supersoniques pendant des mois, et ce, jusqu’à ce qu’ils finissent par comprendre que toute rébellion est vaine, et acceptent que la prison à perpétuité soit leur seul espoir de rester en vie. Le système électoral, les institutions et services de police devraient être détruits. Pour Israël, Gaza devrait être dirigée par des bandes qui collaboreraient avec des gardiens de prisons.

L’armée israélienne est avide de guerre. Et ce ne sont pas les préoccupations pour un soldat captif qui se mettront en travers de son chemin. Depuis 2002 l’armée a affirmé qu’une opération, semblable à l’opération « Rempart » menée [en Cisjordanie], était également nécessaire à Gaza. Un an avant cela, le 15 juillet (avant le « plan de Désengagement »), l’armée concentra ses forces à la frontière de la Bande de Gaza pour lancer une offensive contre Gaza. Mais les États-Unis mirent leur veto. À la suite de quoi Condoleeza Rice se rendit de toute urgence à Israel. Et à l’issue de sa visite, décrite comme acrimonieuse et houleuse, l’armée battit en retraite. Aujourd’hui, le moment est enfin arrivé. En effet, il s’avère que les États-Unis sont finalement prêts à autoriser une telle opération. Seule condition à cette approbation est qu’Israel ne provoque pas une vague mondiale de protestations qui serait liée aux nombreuses attaques éventuelles contre des civils.

Nourrir les Palestiniens à Gaza pour pouvoir continuer à les tuer tranquillement
L’armée ne se préoccupe plus que de son image depuis que le feu vert a été donné pour lancer l’offensive. Fishman rapporta ce mardi que l’armée s’inquiète des répercussions que pourraient avoir les rapports concernant les crises humanitaires à Gaza qui, selon elle, anéantiraient tous les efforts militaires et diplomatiques. Du coup, l’armée s’engagerait à laisser entrer de la nourriture dans Gaza. Vu sous cet angle, il est alors absolument nécessaire de nourrir les Palestiniens à Gaza pour pouvoir continuer à les tuer tranquillement.

*Tanya Reinhart est professeur de linguistique à l’Université de Tel Aviv.
Elle est l’auteur de
Détruire la Palestine, La Fabrique, 2003 et de L’héritage de Sharon. Détruire la Palestine, suite. La Fabrique, 2006

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