Guatemala : le théâtre pour surmonter les violences sexuelles
Au Guatemala, l’ONG Actrices du changement, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, accompagne des femmes mayas victimes de violences sexuelles à travers la création d’œuvres théâtrales.
Hermancia Lopez a été violée par son oncle à l’âge de 13 ans. « Pendant des années, je me suis sentie coupable de ce qui m’était arrivé », explique cette indigène maya du peuple Mam, au Guatemala. Pressée par sa mère – la sœur du violeur – de ne rien dire « pour sauver l’honneur de la famille », Hermancia, aujourd’hui âgée de 24 ans, a longtemps vécu avec cette blessure chevillée au corps et à l’âme. « J’étais amère et dépressive. Je pensais que ma vie ne valait pas la peine d’être vécue et j’éprouvais une haine profonde pour les hommes. »
Jusqu’au jour où une amie lui propose d’intégrer un groupe de théâtre de femmes mayas. « L’idée était d’abord d’écouter des témoignages de femmes ayant subi des violences sexuelles. Puis de leur raconter ce que j’avais moi-même enduré. Avant de transformer toutes nos histoires en une pièce de théâtre et de l’interpréter devant un public. »
Actrices du changement a été créée en 2004, « pour rompre le silence qui entoure les violences faites aux femmes mayas pendant le conflit armé qui a secoué le Guatemala entre 1960 et 1996 », explique la psychologue Liduvina Mendez Garcia, l’une des fondatrices de cette ONG, partenaire du CCFD-Terre Solidaire. « Grâce à cette méthodologie de création théâtrale, agrémentée de peinture, de chants et de danse, nous cherchons à développer un processus de conscientisation chez celles qui ont survécu à ces violences. »
Le projet aide aussi à la reconstruction de la mémoire historique à travers la reconnaissance par la société guatémaltèque de ces violences. « Au-delà de la capacité à surmonter ces traumatismes et à retrouver leur dignité, assure Liduvina Mendez Garcia, l’objectif est également de prévenir ces violences encore très présentes aujourd’hui, et soutenir les organisations collectives de femmes pour que ces dernières vivent mieux. »
La Femme Montagne
Elsa Rabanales, 28 ans, Maya du peuple Mam, a intégré Actrices du changement à 16 ans, en suivant les traces de sa mère, membre de l’association. « Un jour, elle m’a dit :“j’ose parler des violences sexuelles subies pendant la guerre pour que mes filles et mes petites-filles ne passent pas par ces mêmes souffrances”. » Elsa, devenue responsable nationale de l’accompagnement des réseaux de femmes victimes de violences sexuelles durant la guerre, explique : « En écoutant ma mère et d’autres femmes parler sans peur de ce passé, moi qui ai été battue par mon père, j’ai compris qu’il existait une communauté de destins, mais aussi des passerelles entre les générations de femmes violées ou maltraitées. Et que nous pouvions nous unir pour exprimer ces traumatismes à travers une démarche artistique. »
Comme avec la création de la pièce La Femme Montagne, qui raconte l’histoire de femmes qui se réunissent régulièrement dans la montagne. Chacune cherche à fuir son passé douloureux sans vraiment y parvenir. Un jour, elles rencontrent une petite fille qui les guide jusqu’à une grotte sacrée dans laquelle elles vont tomber. « Ce qu’elles vont y découvrir, assure la plaquette de présentation, transformera leur vie à tout jamais ».
« Le processus de création a duré cinq années et a regroupé seize participantes de 24 à 60 ans », explique Elsa. Le temps nécessaire pour passer de la difficile expression des souffrances à l’envie de les dépasser en les interprétant devant un public, accompagnées par une metteuse en scène professionnelle. « Nous avons dû nous approprier notre corps et accepter qu’il puisse nous donner de bonnes sensations. Au point de jouer avec lui et même de danser, sourit-elle. Nous avons d’ailleurs intégré des chorégraphies pour rythmer ce spectacle. » Une démarche artistique qui permet de « guérir » les corps et les âmes.
Larmes d’une mère
« L’art corporel a un pouvoir de transformation exceptionnel, assure Liduvina Mendez Garcia, transformation individuelle, collective, mais aussi sociale. Car le spectateur modifie sa vision de l’autre en l’écoutant et en le regardant se mouvoir. »
Elsa Rabanales estime de son côté que l’art facilite l’apprentissage du féminisme, du respect de la femme, et contribue à une cohabitation plus harmonieuse avec les hommes. « À travers les débats organisés après les représentations, on sent que la vision des hommes évolue… doucement ! Beaucoup pensent qu’en incitant les femmes à réfléchir sur leurs conditions de vie et leur besoin d’émancipation, nous représentons une menace pour leur couple .» Certains hommes dans les communautés considèrent même que ce n’est pas aux femmes de parler des violences sexuelles. « Mais, s’insurge Elsa, si nous n’en parlons pas, qui va le faire ? »
Hermancia Lopez, violée à l’âge de 13 ans, a fini par réussir à s’exprimer. « Il m’a fallu plus d’un an et demi pour y arriver, et cela a été douloureux », souffle-t-elle. Le jour de la première représentation, elle est montée sur scène devant sa communauté . « Il devait y avoir une centaine de personnes dans le public. J’ai raconté mon histoire d’une voix assurée. Tout est sorti. La douleur du viol et la honte. Et surtout le sentiment terrible d’abandon de ma mère qui m’avait demandé de me taire. »
Hermancia ne se souvient pas vraiment des applaudissements du public. En revanche, elle revoit distinctement les larmes de sa maman, assise dans les premiers rangs. « Elle est venue me voir après le spectacle et m’a demandé pardon. Aujourd’hui, elle fait également partie d’Actrices du changement ». Elle y raconte comment, durant le conflit armé, elle aussi a été victime de violences sexuelles.
Par Jean Claude Gerez
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