Guerre ou paix ?
Plus de vingt ans après sa création, la Région autonome du Mindanao musulman – l’ARMM – reste le théâtre d’affrontements réguliers entre troupes gouvernementales et groupes musulmans partisans d’une plus grande autonomie, qui semblent avoir du mal à trouver un terrain d’entente pour résoudre ce conflit. Au grand dam des populations civiles, lasses de se retrouver au premier rang des victimes.
On pensait que la rencontre, à Tokyo, au Japon, le 4 août dernier, entre le chef d’État philippin, Benigno Aquino, et Al Hadj Murad Ibrahim, le président du Front Moro islamique de libération, le MILF (voir encadré), une première du genre, allait faire avancer les choses. Permettre à un processus de paix engagé en… 1997 et maintes fois dénoncé, malmené, rétabli, de se poser enfin sur de bons rails et de mettre fin à un conflit qui ensanglante depuis plus de quatre décennies cette région du sud-ouest de l’île de Mindanao où vit une forte majorité musulmane. Les événements qui se sont produits au cours de la seconde moitié d’octobre laissent à penser que rien n’est encore acquis.
Le 18 octobre en effet, plusieurs unités des forces spéciales philippines en mission dans l’île de Basilan se retrouvaient soudain face à un groupe armé du MILF. Résultat : une vingtaine de morts du côté gouvernemental et une demi-douzaine chez les rebelles. Qui a tiré le premier ? Personne ne peut encore le dire. Mais une chose est sûre, l’affrontement a entraîné des opérations de représailles jusque dans l’île de Mindanao où des bombardements menés par l’armée de l’air sur des zones censées abriter des responsables du MILF ont forcé plusieurs dizaines de milliers de civils à fuir leurs villages. Certes, depuis, les deux protagonistes ont réaffirmé leur désir de ne pas remettre en cause les pourparlers et de poursuivre les discussions, mais la paix reste fragile.
Des avancées vers la paix
Des progrès ont cependant été faits. « Le MILF ne demande plus l’indépendance, mais le droit pour le peuple Moro de se gouverner démocratiquement dans un « sous-État » placé sous la tutelle de la République des Philippines », souligne le professeur Abhoud Syed Mansour Lingga, président de l’Institut d’études Bangsamoro et membre extérieur du panel de paix du MILF. Les pouvoirs et les responsabilités seraient partagés entre les deux parties : « La Défense, les Affaires étrangères, la monnaie et les services postaux resteraient du ressort du gouvernement philippin et le “sous-État” se chargerait du reste », précise-t-il.
Et si le MILF a mis de l’eau dans son vin, le gouvernement central a, lui aussi, fait des efforts, en refusant de se lancer dans une « guerre totale », comme le prônaient certains, à la suite des événements du 18 octobre et en privilégiant le dialogue. Benigno Aquino a, de son côté, témoigné de son soutien au processus engagé. Quitte à s’attirer les foudres des faucons philippins, militaires ou hommes politiques. « Personne n’a rien à gagner dans une guerre », affirmait le président au lendemain de cette tragique confrontation.
Personne, et surtout pas les populations locales, comme le rappelle un rapport des Nations unies, publié en mai 2011, qui considère l’ARMM comme « la région la plus pauvre [des Philippines], avec un taux de pauvreté de 61,8 % ». À quelque trois heures de route de la « capitale », Cotabato, au bout d’un chemin caillouteux qui s’enfonce dans une zone marécageuse, Bagoinged en est un exemple frappant. Dans ce barangay (village), le travail de la terre, la pêche suffisent à peine à nourrir la population. « Ici, on ne mange que deux fois par jour, pas trois », avoue Sahra, institutrice volontaire dans l’école du village, sorte d’abri ouvert aux quatre vents protégé par un toit de feuilles de palmiers. L’eau ? Il faut aller la chercher au puits. L’électricité ? Elle est produite par des batteries d’automobiles bricolées. Quant aux soins, ils se résument à quelques herbes médicinales récoltées sur place et à des remèdes maison. « Les naissances sont assurées par la sage-femme au village. Il n’y a pas d’argent pour aller à l’hôpital », poursuit l’institutrice.
Et comme si cela ne suffisait pas, il y a aussi la guerre. Qui s’est brutalement invitée à plusieurs reprises à Bagoinged. Avec, à chaque fois, les mêmes scènes d’horreur. Les bombardements qui détruisent tout, l’évacuation précipitée des habitants, les morts et les blessés. Et toute une vie à rebâtir. « Pourquoi font-ils cela ? », interroge Sahra. « Ne sommes-nous pas, nous aussi, Philippins ? »
Les grands industriels ont accaparé les terres des indigènes
« Il faut que cessent toutes ces attaques militaires qui sont responsables de tant de souffrances parmi les populations civiles », plaide Janel Pesons, secrétaire générale du Mouvement populaire pour la paix à Mindanao, le MPPM. Cette ONG locale, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, cherche à rapprocher les communautés depuis maintenant une dizaine d’années. Mais, selon elle, cela ne pourra se faire tant que certaines vérités historiques ne seront pas rétablies. « Le problème n’est pas tant un problème religieux, comme certains voudraient le faire croire, qu’un problème foncier », précise la jeune femme. « Au nom du développement, une politique “impérialiste” menée par Manille au profit des grands industriels philippins s’est transformée, au fil du temps, en un vol plus ou moins légal des terres appartenant traditionnellement aux populations locales. »
Une réappropriation largement motivée par les richesses naturelles de l’île, notamment minérales et forestières et facilitée par le fait que le concept de propriété privée était inconnu des populations indigènes. « Il faut que soit enfin reconnue l’injustice qui est faite au peuple Moro et aux populations indigènes de Mindanao », préconise la responsable du MPPM.
Cela suffira-t-il à rétablir la paix ? Difficile à dire.
D’autant qu’à cette situation déjà très complexe s’ajoute une inconnue de taille : la présence dans l’ARMM de quelque 600 soldats américains : des éléments des Forces spéciales arrivés sur place en janvier 2002, dans le cadre de l’Opération Liberté immuable, lancée par le président George Bush au lendemain des attentats du 11 Septembre. Depuis, elles forment les militaires des Forces spéciales philippines à la lutte antiterroriste. Elles appuient également, grâce à un soutien technique et technologique – système de surveillance, utilisation de drones… – les soldats philippins dans leur chasse aux membres d’Abu Sayyaf, un groupuscule de militants musulmans Moros radicaux, considérés comme proches d’Al Qaïda, présents dans la région. De quoi compliquer encore plus la tâche des partisans de la paix.
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