Haïti, après le séisme

Publié le 12.01.2022

Le 14 août 2021, un séisme d’une magnitude de 7,2 sur l’échelle de Richter a frappé le sud d’Haïti, causant la mort de plus de 2 000 personnes et en blessant plus de 12 000. Le nombre d’habitations détruites par le tremblement de terre est estimé à 54 000 et celles qui sont endommagées à 83 000[1] . À ce terrible bilan s’ajoutent un nombre important de personnes disparues ainsi que des dégâts matériels considérables sur les infrastructures.

Ce n’est pas la première fois que l’île est touchée par une catastrophe de ce type. Elle avait déjà payé un lourd tribut lors du séisme qui avait touché la capitale, Port-au-Prince, en 2010. Puis, en 2016, l’ouragan Matthew s’était abattu sur ces régions du Sud qui viennent de subir le séisme. « À peine voit-on le bout du tunnel, qu’un autre s’ouvre devant nous », nous confie un de nos hôtes (voir encadré).

Cette nouvelle catastrophe naturelle survient à un moment critique de l’histoire politique d’Haïti. Jovenel Moïse, le président de la République, a été assassiné dans des circonstances pour le moins troubles au mois de juillet dernier. Sa disparition a fini de plonger la perle des Caraïbes dans une crise politique, sociale et, par ricochet, économique. L’État sans leader tâtonne, piétine, s’enlise alors que ses services sont largement déficitaires dans de nombreux départements de l’île et que la guerre des gangs fait rage, amplifiant considérablement les difficultés logistiques.

Mi-septembre, un mois après le séisme, la ville des Cayes a repris vie entre les gravats. Mais les plaies sont omniprésentes : tentes dressées sur les chaussées à la place des maisons détruites, camps de fortune sur le bord des voies, amas de décombres et ouvriers qui déblaient comme ils peuvent.

C’est dans ce contexte compliqué qu’Iteca (Institut de technologie et d’animation, organisation partenaire du CCFD-Terre Solidaire) poursuit son action dans les départements du Sud.

Au point de vue national, l’ONG haïtienne soutient depuis plus de 40 ans les organisations paysannes par le biais de formations autour de l’agronomie et du renforcement des compétences. Elle a dû s’adapter à ce contexte de crise, en s’appuyant sur l’expérience acquise lors du séisme de 2010. « Nous travaillons en partenariat avec les communautés : si elles traversent une crise, nous devons la traverser avec elles et adapter notre programme à la situation d’urgence », explique Elifaite Saint Pierre, coordinateur de programmes d’Iteca dans la région.

La sécurité alimentaire est aujourd’hui au cœur des préoccupations en Haïti alors que OCHA [2] estime qu’environ 980 000 personnes sur les 2 millions que compte la région du Grand Sud (départements des Nippes, de Grand’Anse, Sud et Sud-Est) connaîtront des niveaux aigus d’insécurité alimentaire d’ici à février 2022 et que 320 000 personnes ont un besoin urgent en nutrition.

Depuis le séisme, Elifaite, accompagné d’un de ses collaborateurs, se rend une fois par semaine dans les communautés partenaires d’Iteca pour les assister dans la gestion de la catastrophe et mettre en place des comités locaux de protection civile. Composés du maire ou du chef de section et de figures sociales fortes, comme le pasteur ou le prêtre et les instituteurs, ils prennent en charge la coordination et le pilotage des actions au plan local.

« Les premiers impliqués dans l’aide d’urgence, ce sont les locaux. C’est pourquoi ces comités sont importants et doivent être formés pour parer aux prochaines catastrophes ,souligne Elifaite. En effet, la majorité des personnes sorties des décombres l’ont été par les habitants, avant l’arrivée des secours. »

L’aide ne parvient jamais jusqu’à nous. Ici, nous sommes pauvres, et le séisme nous plonge plus encore dans la précarité.

Trodeth Clermicile – Auxiliaire infirmière du comité de protection civile

Depuis les Cayes, Elifaite se rend à Port-à-Piment, aux Chardonnières, puis aux Anglais. Si l’intérêt de ces comités dans la gestion des crises est reconnu, leur manque de moyens est criant : « Il nous faut au moins des outils, des pelles, des casques… », pointe un des membres du comité de Port-à-Piment. Elifaite note les doléances en espérant pouvoir y répondre en partie. Dans le village des Anglais, la mairesse, Rosemarie Pointdujour, dresse un sombre tableau. La plupart des infrastructures de la commune, située sur la côte Sud, ont été détruites.

« C’était la veille de la fête de l’Assomption, l’église de la ville s’est écroulée alors que deux cents baptêmes se préparaient et que de nombreuses personnes étaient présentes, notamment des parents avec leurs enfants. 18 personnes sont décédées dans les décombres et 45 ont perdu la vie sur l’ensemble de la commune. Les blessés graves ont été transférés à l’hôpital des Cayes. Des personnes ont disparu dans des éboulements et des glissements de terrain. 876 maisons et 19 écoles ont été détruites. »

Dans cette commune très agricole, l’inquiétude est grande, explique Rosemarie : « On se demande comment on va subsister dans les mois qui viennent. Des champs, des jardins et du bétail ont été perdus. Heureusement, la solidarité entre voisins a été importante. Nous avons reçu des visites des représentants de l’État, mais aucune aide concrète. Ils ont noté nos doléances, mais n’ont rien fait. L’aide des ONG n’arrive pas non plus, la zone de la côte est très éloignée du centre du département, nous sommes les derniers à être pris en compte. Le seul appui que nous avons eu est celui de l’entreprise qui construit le pont à l’entrée de la ville. Elle nous a aidés à déblayer des décombres pour essayer de retrouver des survivants. J’en appelle à la solidarité internationale, notamment pour reconstruire les églises et les écoles détruites. »

980 000

personnes connaîtront des niveaux aigus d’insécurité alimentaire d’ici à février 2022

320 000

personnes ont un besoin urgent en nutrition

Près de 80 % des habitations détruites

La commune des Anglais n’est pourtant pas une des plus atteintes, et certaines zones, dans les communes de Camp-Perrin et de Maniche, comptabilisent près de 80 % d’habitations réduites à néant, ainsi que tous leurs circuits d’approvisionnement routier et en eau. Wilphana Rousseau est ingénieure agronome. Depuis plusieurs années, elle travaille pour Iteca comme personne-ressource sur la gestion des risques et des désastres.

Aujourd’hui, elle se rend à la section communale numéro deux de Maniche, où elle doit rencontrer les membres du groupe de protection civile. La zone est particulièrement touchée par le séisme avec 52 décès recensés et 1 657 maisons détruites. « L’aide ne parvient jamais jusqu’à nous », se plaint Trodeth Clermicile, auxiliaire infirmière du comité local, avant de préciser : « La vulnérabilité augmente de jour en jour. Beaucoup d’enfants n’ont pas à manger, n’ont plus de logement, il n’y a même plus d’écoles ni même de l’argent pour les fournitures scolaires. Ici, nous sommes pauvres, et le séisme nous plonge plus encore dans la précarité. »

Wilphana pointe : « Dans l’ensemble, les secours sont mieux organisés qu’en 2010, mais il y a encore beaucoup de
manques et d’inégalités entre les territoires. Un mois après la catastrophe, il reste des zones dans lesquelles personne ne s’est rendu. Les élections arrivent (les élections prévues en novembre ont été reportées
sin edie, fin
septembre), et chacun veut satisfaire ses électeurs, surtout en ville… Dans de nombreuses zones, nous sommes les
seuls interlocuteurs des communautés, c’est une grosse responsabilité. »
Alors qu’elle sillonne les sentiers de
Maniche, Wilphana s’arrête pour discuter avec des habitants ayant perdu leur maison qui viennent s’enquérir des possibilités d’action d’Iteca pour les aider. Wilphana repart de Maniche avec un lourd poids sur les épaules, sans savoir si elle pourra répondre aux doléances.

Une jeune fille se coiffe devant sa maison détruite par le séisme © Julien Masson / Hans Lucas.

Un mois après le tremblement de terre, alors que l’État brille toujours par son absence, Les camps de fortune se multiplient sur le bord des voies. Les populations se sentent lésées, seules et abandonnées. Les victimes espèrent un soutien, mais ne l’attendent pas. La vie a repris son cours « parce qu’on ne peut pas faire autrement, il faut bien que l’on avance ».

Wilphana et les membres d’Iteca vont poursuivre leur travail de fond, en intégrant la gestion systémique desrisques naturels, avec l’espoir que la crise politique finisse et laisse le pays respirer à nouveau.

Jérémie Lusseau et Julien Masson

UN RISQUE SISMIQUE ÉLEVÉ
Le séisme qui a secoué le sud d’Haïti en août rappelle la tragédie survenue en janvier 2010, lorsqu’un tremblement de terre a dévasté Port-au-Prince, faisant plus de 200 000 morts. La répétition de ces séismes s’explique par la situation d’Haïti encastrée dans un vaste système de failles géologiques, résultant du mouvement de la plaque caraïbe et de la plaque nord-américaine. Ce sont leurs déplacements qui entraînent les secousses dévastatrices.
Mais alors que dans les zones sismiques des pays industrialisés, les bâtiments sont construits sur des systèmes d’amortissement qui leur permettent de résister aux secousses, les structures en béton des constructions haïtiennes s’effondrent lorsqu’elles elles sont soumises à de telles pressions.

DES DONS POUR LES PARTENAIRES
Grâce aux 130 000 euros de dons reçus par le CCFD-Terre Solidaire, nos trois partenaires Iteca, la Commission épiscopale Justice et Paix (Jilap) et Tèt Kolé vont pouvoir poursuivre leur travail auprès des sinistrés : les aider à reconstruire leurs maisons, à réhabiliter leurs terres à reconstituer leurs cultures vivrières ou leurs cheptels…

[1] Source Handicap International

[2] Source Ocha : Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU

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