Haïti : Après le temps de l’urgence, celui du défi démocratique

Publié le 15.10.2013| Mis à jour le 02.01.2022

Accroché aux flancs de Morne l’Hôpital, à Pétion-Ville – une commune aisée de Port-au- Prince –, le bidonville Jalousie a pris des couleurs. Des habitants ont été embauchés pour peindre 1 010 maisons, un projet financé par le Trésor public à hauteur de 1,4 million de dollars US. Cette touche pittoresque attire l’œil sur ce Meccano de parpaings et de tôles escaladant la montagne où furent accueillis nombre de déplacés par le séisme du 12 janvier 2010.

Pour l’architecte du projet qui n’hésite pas à évoquer « les villes imaginaires » du peintre Préfète Duffaut[[Figure majeure de l’art naïf, Préfète Duffaut (1923-2012) a participé, avec d’autres artistes, à la réalisation des fresques de la cathédrale Sainte-Trinité à Port-au-Prince, partiellement détruites lors du tremblement de terre de janvier 2010. Influencé par la mythologie vaudoue, le peintre est célèbre pour ses
très nombreuses « villes imaginaires » [ndlr].]] : « Il ne s’agit pas d’une opération seulement cosmétique. » Mais de mauvaises langues insinuent que cette rénovation serait le prélude à l’expulsion d’une partie des habitants pour laisser place à des résidences de luxe. Car à Port-au-Prince, les hauteurs – où l’on respire mieux –, sont habituellement réservées aux plus nantis, selon une géographie sociale implacable.

Cette géographie opère de bas en haut mais aussi du centre vers la périphérie. Selon le dernier rapport de la Matrice de suivi des déplacements de l’Organisation internationale de la migration (OIM), trois ans et demi après le tremblement de terre qui fit 230 000 morts et 1,5 million de sans-abri, il y a encore 279 000 déplacés dans 352 camps. Les places et squares qu’ils occupaient dans la capitale ont été « vidés » et rénovés et les sites d’accueil se trouvent aujourd’hui à distance respectable. À l’exemple de camp Corail, à 20 kilomètres de Port-au-Prince, où 10 000 personnes (sans compter les nombreux squatters qui les ont rejointes) tentent de survivre dans l’indifférence générale.

Si la reconstruction prend ici son temps, surtout freinée par l’absence de cadastre et l’insécurité foncière, elle montre de meilleurs résultats hors de la capitale où ces obstacles juridiques trouvent plus aisément une solution. Ainsi, Iteca (ONG partenaire de CCFD-Terre Solidaire) mène un programme de construction de 1 700 maisons rurales sur la commune de Gressier, près de Léogâne, l’épicentre du séisme, où la plupart de l’habitat traditionnel a été détruit ou fortement endommagé. 750 maisons ont déjà été construites, avec la participation des bénéficiaires organisés en kombit (groupes solidaires).

Chaque maison est bâtie selon des normes antisismiques et anti-ouragans et équipée d’une citerne de récupération des eaux de pluie de 4 000 litres. Pour mener à bien ce programme, Iteca a créé, à Gressier, une usine de parpaings de qualité supérieure qui peut produire 10 000 blocs par jour et emploie 73 ouvriers. Concert’Action (également partenaire de CCFD-Terre Solidaire) a construit 300 maisons et en a réhabilité 800, selon ces mêmes principes de participation des habitants, développant aussi un programme de captation des eaux de sources pour l’amélioration de la couverture en eau potable.

Pour P. Jan Hanssens, missionnaire belge et ancien directeur de Justice et paix, ces réussites exemplaires restent insuffisantes. « Les Haïtiens, souligne-t-il, ont une capacité de résilience énorme. Le séisme a tapé dur, ses séquelles sont toujours là. Avec un courage admirable, ils continuent de se battre pour la vie. » Mais la situation serait meilleure si l’aide internationale avait été mieux utilisée. « Beaucoup est allé à l’aide humanitaire d’urgence, précise-t-il. C’était bien sûr nécessaire, mais les projets concrets pour aider le peuple à se relancer ont été peu nombreux. Et aujourd’hui, quelque chose a changé dans les mentalités. On a installé l’assistanat, un assistanat peu coordonné, où les vrais nécessiteux sont restés à l’écart car ils n’ont pas accès aux programmes d’aide. Les tentatives de coordination se faisant en anglais, les Haïtiens sont restés en marge, leur voix n’a pas été entendue. Il serait plus sain que l’assistance passe par les politiques publiques. »

Au pouvoir depuis deux ans et demi, le président Michel Martelly communique beaucoup, contrairement à son prédécesseur René Préval. « Ce gouvernement, dénonce P. Hanssens, essaie de montrer que le pays est en chantier, en utilisant massivement les médias et la publicité. Mais sans convaincre. Il donne l’impression non d’un gouvernement qui gouverne, mais d’une ONG qui fait des projets. Il n’y a pas de cohérence, de vision. »

Mauvaise gouvernance et corruption

« Haïti is open for business » : telle est la nouvelle devise. Suivant le credo libéral, priorité est donnée aux investissements étrangers dans le tourisme, et l’industrie textile. Ainsi, le Parc industriel de Caracol, dans la région Nord[[Une zone franche implantée sur 250 hectares de terres agricoles fertiles.]] a été inauguré en grandes pompes en octobre 2012. L’objectif proclamé est de faire d’Haïti un pays émergent d’ici 2030, la « Taïwan des Caraïbes »! Mais selon l’économiste Thomas Lalime[[Le Nouvelliste. 4 mars 2013.]], pour y parvenir : « Il faudrait réaliser un taux moyen de croissance d’au moins 8 % alors qu’il n’a été que d’à peine 1,2 % au cours des quatre dernières décennies. Les ennemis de la croissance économique sont connus : instabilité politique, mauvaise gouvernance, corruption, faiblesse institutionnelle, absence d’infrastructures. » Des maux dont Haïti mettra beaucoup de temps à guérir, faute de démocratisation réelle et de renforcement de l’État de droit.

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