Huile de palme, quelle contribution au développement ?

Publié le 10.01.2014| Mis à jour le 08.12.2021

Premier producteur d’huile de palme au Cameroun, la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm) est soutenue par Proparco, la filiale de l’Agence française de développement (AFD). Pourtant discutable en termes de contribution au développement, cet exemple montre que les agences de développement doivent impérativement renforcer leurs exigences en matière de responsabilité sociale et environnementale des investisseurs privés qu’elles financent.


Proparco, la filiale de l’Agence française de développement, finance des projets de développement mis en œuvre par des entreprises privées. Au Cameroun, elle a participé à l’augmentation du capital de la Socapalm [[Le plus gros producteur d’huile de palme au Cameroun avec 42 % du marché de l’huile brute.]], pour un montant de 1,5 milliard de FCFA (environ 2,3 millions d’euros), lors de son entrée à la bourse de Douala en 2009.
En soutenant le plus gros producteur d’huile de palme du pays, l’objectif de Proparco
était certes louable : doter l’entreprise de fonds supplémentaires pour accélérer le rajeunissement des plantations et augmenter ses capacités de transformation afin de répondre aux besoins de la population, grande consommatrice de cette huile. L’augmentation de la demande des pays émergents et l’utilisation de l’huile de palme pour fabriquer des agrocarburants a entraîné une flambée des prix sur les marchés mondiaux. Dans un pays très dépendant des importations, cette montée des prix pèse de plus en plus lourd sur le budget de l’État camerounais et menace à terme la sécurité alimentaire du pays.
Dans les faits, la situation s’est avérée bien moins idyllique… En 2010, deux associations camerounaises – le Centre pour le développement et l’environnement et la Fondation camerounaise d’actions rationalisées et de formation sur l’environnement – et deux ONG européennes – Sherpa et Misereor (ONG catholique
allemande) – publient, au terme de trois années d’enquête, un rapport accablant sur les pratiques de la Socapalm [[« L’impact de la privatisation de la Socapalm sur les communautés et l’environnement au Cameroun », rapport Sherpa et Misereor. Décembre 2010.]]. Loin de contribuer au développement du pays, les bénéfices de la société seraient rapatriés vers deux holdings luxembourgeoises pour échapper à l’impôt. L’accroissement des surfaces cultivées aurait entraîné une pression sur le foncier, grignotant les jardins privés des villageois à proximité des plantations et rendant les conditions de vie des populations pygmées Bagyéli, originaires de la région et en voie de sédentarisation, de plus en plus précaires.

Des risques de violation des droits économiques et sociaux

Les créations d’emplois mises en avant par l’entreprise lors de sa privatisation en 2000 (sous l’impulsion de la Banque mondiale), auraient essentiellement profité à des travailleurs venus de pays voisins. Privées de leurs moyens de subsistance, les populations locales auraient en outre dû faire face à des déversements anarchiques d’huiles usagées provenant des usines de transformation et à la contamination des cours d’eau dans lesquels les salariés de la Socapalm nettoyaient le matériel utilisé pour disperser les engrais et les pesticides.
« Proparco ne pouvait pas ne pas être au courant. Les tensions récurrentes autour des plantations de la Socapalm ont fait l’objet de nombreux articles de la presse française et camerounaise. En outre, les quatre associations ont déposé fi n 2010, sur la base de leur enquête, une plainte devant les Points de contact nationaux belge, français et luxembourgeois pour non-respect des Principes directeurs de l’OCDE. Ces instances sont chargées de faire respecter les règles internationales en matière de responsabilité des entreprises multinationales », indiquent Samuel Pommeret, chargé d’étude et Maureen Jorand, chargée de mission Plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire. Comment les agences de financement du développement ont-elles pris en compte ces éléments, et ont-elles appliqué leur poli tique de gestion des risques ? C’est ce que le CCFD cherche à comprendre.
Lors d’une mission au Cameroun, le CCFDTerre Solidaire a rencontré le représentant local de l’Agence française de développement. L’association souhaite engager un dialogue avec l’AFD (et sa filiale Proparco), espérant des réponses précises sur la prise en compte des risques sociaux et environnementaux des projets que soutient l’agence, afin de chercher avec elle des solutions.
Après deux ans de retards accumulés, le Point de contact français de l’Organisation de coopération et de développement économiques (PCN) a rendu son verdict en juillet. Son rapport « relate clairement les violations aux principes directeurs de l’OCDE. En outre, et ceci est aussi nouveau par rapport aux précédents communiqués du PCN français, ce rapport reprend les allégations des plaignants en statuant sur les manquements de chaque disposition des principes directeurs évoquée dans la saisine », souligne l’ONG Sherpa dans un communiqué de presse.
La démarche de Proparco sur ce projet interroge sur ses méthodes de travail. « Quel suivi Proparco effectue-t-il sur les impacts sociaux et environnementaux des projets qu’elle soutient, y compris ceux de sa filiale Proparco ? Et surtout, quelle cohérence de la politique française en matière de développement. Dans le cas de la Socapalm, l’investissement a été fait au détriment des populations les plus vulnérables, et donc du développement », pointe Maureen Jorand.
Et la chargée de mission de mettre en cause le poids des grandes entreprises du Cac 40, majoritaires au Conseil d’administration de Proparco.
L’AFD mise aujourd’hui de plus en plus sur les investissements privés pour accélérer le décollage des pays les plus pauvres de la planète. Or, la puissance publique ne peut pas cautionner des comportements répondant à de seuls intérêts privés. « Nous espérons que les nouvelles orientations données à l’AFD par le ministre du Développement Pascal Canfin – lutte contre l’accaparement des terres et des
richesses, mise en avant de la responsabilité sociale des entreprises –, permettront de faire avancer les choses », lance Samuel Pommeret. Le CCFD-Terre Solidaire a rencontré (en novembre), la nouvelle directrice générale de l’AFD, Anne Paugam, nommée en mai dernier, pour lui faire part de ses points d’attention et de ses propositions.

Des investissements à encadrer

Reste que le groupe AFD n’est pas la seule agence de développement à agir de la sorte. « Toutes les institutions de financement du développement internationales (Banque mondiale, Banque européenne de développement) ou nationales adoptent le même soutien quasi inconditionnel aux investissements privés pour le développement », souligne Samuel Pommeret. Et les gouvernements poursuivent cette approche dans les espaces comme le G8 ou le G20. « Il ne s’agit en aucun cas de nier l’importance des investissements, mais de rappeler qu’ils ne peuvent pas aller à l’encontre de l’intérêt général et qu’il faut des cadres et des règles stricts, continue-t-il. Or, sous le couvert du développement, les richesses et les ressources risquent d’être accaparées par un petit nombre de multinationales. Il est évident qu’on ne peut pas leur signer un chèque en blanc ! », conclut-il. Le CCFD-Terre Solidaire demande, à travers sa campagne « Investissements Hors-jeu », aux États et aux institutions de financement du développement de renforcer leurs exigences envers les investisseurs privés quand ils soutiennent leurs projets afin qu’ils favorisent réellement le développement.

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