Il est temps de mettre fin au silence de la France au Niger (Tribune)

Publié le 25.06.2020| Mis à jour le 24.11.2021

Cent jours que la France se tait.

Cent jours que Moudi Moussa, Moukaila Halidou et Maïkoul Zodi, trois leaders de la société civile nigérienne, croupissent en prison dans l’indifférence honteuse de notre diplomatie.

Leurs crimes ? Promouvoir l’espace démocratique dans leur pays, le Niger, en demandant des comptes après que de graves allégations de détournements de fonds au sein du ministère de la Défense – des dizaines de millions d’euros alloués à la lutte contre les groupes armés – ont été rendues publiques en début d’année.

Le 15 mars dernier une manifestation organisée pour dénoncer cette situation et réclamer justice a été violemment réprimée par les autorités au prétexte de restrictions liées à la lutte contre la pandémie de COVID-19. Trois personnes sont mortes dans un incendie dans des circonstances non encore élucidées et une dizaine de militants ont été arrêtés. Aujourd’hui, on veut leur faire porter la responsabilité de cette tragédie en fabriquant de graves charges contre eux. Le prix pour ne pas avoir voulu se taire ?

Depuis le 30 avril, plusieurs d’entre eux ont été libérés et souvent placés en liberté provisoire mais ils restent sous la menace de condamnations. Moudi, Moukaila et Maïkoul demeurent quant à eux détenus dans des prisons éloignées de plusieurs centaines de kilomètres de la capitale. Les nombreux appels au ministre des affaires étrangères français pour intervenir en faveur de leur libération sont restés sans réponse. Pourtant récompensé en décembre 2018 par le prix des Droits de l’Homme de la République française, Maïkoul Zodi n’a même pas bénéficié de la protection de la France. Une obligation pourtant morale vis-à-vis de celui que notre République commémorait il y a encore quelques mois.

Cent jours que la France se tait.

Au-delà des cas de Moudi, Moukaila et Maïkoul, la France garde un silence coupable sur l’inquiétante dégradation des libertés publiques au Niger que nos organisations constatent et dénoncent depuis plusieurs années, et qui s’intensifie ces derniers mois. Le confinement imposé pour limiter la propagation de la pandémie de COVID-19 n’a malheureusement pas confiné la répression. Il semble au contraire avoir servi d’accélérateur à un rétrécissement toujours plus étroit de l’espace civique. Un signal inquiétant à quelques mois d’élections générales que s’apprête à organiser le pays dans un contexte sécuritaire et sanitaire déjà extrêmement tendu.

Ainsi, ces dernières semaines, des dizaines de militants anti-corruption, journalistes, enseignants, médecins et défenseurs des droits humains ont été arrêtés ou font l’objet de poursuites judiciaires. Plusieurs d’entre eux sont poursuivis sur la base de conversations privées tenues sur des réseaux sociaux, provoquant l’inquiétude quant à l’ingérence et au contrôle exercé par les autorités sur les individus et aux atteintes à la liberté d’expression. Inquiétude renforcée par l’adoption d’une nouvelle loi, ces dernières semaines, qui pourrait encore aggraver le contrôle abusif et ce sans les nécessaires garanties judiciaires.

L’arrestation le 10 juin dernier de la journaliste Samira Sabou, qui relayait des informations sur l’affaire des détournements au ministère de la Défense marque une nouvelle étape dans le harcèlement judiciaire à l’encontre des personnes engagées contre la corruption. Accusée de diffamation à l’encontre du directeur adjoint de cabinet et fils du président de la République, la diplomatie française n’a pas réagi là non plus.

Ce silence n’a que trop duré.

En 2018, nous alertions déjà sur le caractère de plus en plus répressif du gouvernement du président Mahamadou Issoufou. Comme la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la COVID-19 aujourd’hui semble servir de prétexte aux autorités nigériennes pour limiter dangereusement l’espace civique et les libertés publiques, y compris interdire des manifestations jugées trop critiques, museler une société civile légitimement revendicative et, bafouer la liberté d’expression.

Pourquoi la France reste-elle sourde à ces dérives ? La lutte contre les groupes armés au Sahel ne peut en aucun cas justifier le silence de la France. Ce serait d’ailleurs dangereusement ignorer la nécessaire prise en compte des enjeux sociétaux et politiques dans la résolution des conflits qui secouent la région, notamment à quelques mois d’élections décisives. Car sans une bonne gouvernance économique et politique, le respect des droits humains, la lutte contre l’impunité, une justice indépendante et le respect de la transparence dans la vie publique, l’espoir d’instaurer un état de droit durable et un Niger pacifié risque fort de n’être qu’un vœu pieux.

Cent jours que la France se tait. Il est grand temps de mettre fin à ce silence.

Signataires

Vincent DESTIVAL, Secours catholique Caritas France
Cécile DUFLOT, OXFAM France (en cours de validation)
Sylvie BUKHARI-de PONTUAL, CCFD-Terre Solidaire
Cécile COUDRIOU, Amnesty International France
Bernadette FORHAN, ACAT France
Elisa PETER, Publish What You Pay (PWYP)

Tribune publiée le 25 juin 2020 sur le site de libération.fr

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