Indonésie, défendre la culture du peuple Dayak, pilier de sa survie
Immenses plantations de palmiers à huile, exploitations minières, industrie du bois : les Dayaks, peuple de Kalimantan, sont gravement menacés par la destruction des forêts, consubstantielles à leur existence.
« Sans la forêt, pas de Dayaks ; sans les Dayaks, pas de forêt. » Ce slogan concentre l’essence de la lutte de survie que mène ce peuple indonésien. Il parle de la forêt comme d’une entité spirituelle dont il fait partie intégrante, source de sa subsistance et de ses liens sociaux.
Les Dayaks se considèrent comme des jardiniers forestiers, garants de l’équilibre et du maintien des écosystèmes. Parfaits connaisseurs de la forêt de Kalimantan occidental, province de l’île de Bornéo où ils vivent, ils exploitent in situ des dizaines de variétés d’arbres fruitiers, et la saison des cueillettes est sources de plusieurs cérémonies traditionnelles.
Les communautés y protègent aussi, depuis des générations, des espèces productrices de matériaux pour la vannerie – une spécialité des femmes dayaks – de remèdes ou d’intérêt commercial. En particulier l’hévéa. Espèce robuste, peu exigeante et non invasive, elle joue un rôle particulier dans cette économie de vergers forestiers appelés dahas .
La collecte de la sève, vendue à des intermédiaires du marché du caoutchouc, constitue souvent l’unique source de revenus monétaires pour les Dayaks.
L’État indonésien a décidé, au début des années 2000, de devenir le premier producteur mondial d’huile de palme, la source végétale la plus rentable dans la fabrication d’agrocarburants de substitution du fioul, dont la demande s’est très fortement accrue dans le monde occidental.
En 2011, Jakarta a décidé d’intensifier l’exploitation industrielle d’un redoutable trio : minerais, bois, et palme bien sûr.
Avec Sumatra, Kalimantan est la première cible de cette politique. Selon les organisations dayaks et les ONG alliées, les palmeraies occuperaient déjà un tiers de Kalimantan occidental. Un choc frontal terrible pour les Dayaks, qui comptent pour un tiers des 4,4 millions d’habitants de la province.
Les solutions
Loin de la résignation, les Dayaks se sont organisés de longue date pour résister. L’Institut Dayakologi (ID) – partenaire du CCFD-Terre Solidaire – installé à Pontianak, capitale de la province, est le pivot d’un réseau articulé :
– Perkumpulan Pancur Kasih (PPK), dont l’une des tâches principales est de susciter des opérations de cartographie participative dans les villages afin de définir et protéger les territoires ancestraux des communautés de l’appétit des firmes ;
– Aliansi Masyarakat Adat-Jalai Kendawangan (AMA-JK) – alliance des peuples indigènes Jalai et Kendawangan, ethnies dayaks – axé sur la défense des droits spécifiques que la constitution indonésienne reconnaît aux populations indigènes telles que la propriété et jouissance des terres ancestrales, la gouvernance locale ;
– Credit Union Gemalaq Kemisiq (CUGK), réseau de caisses de crédit dédié au soutien des besoins des familles dayaks ;
– Ruai TV, une télévision en langue dayak.
Ces organisations se retrouvent sous une coupole, Gerakan Pemberdayaan Pancur Kasih (GPPK), dont la mission générale est l’autonomisation du peuple dayak ainsi que le renforcement de ses capacités de résistance et d’intervention.
Principe d’efficacité, « l’ensemble des unités qui compose le réseau possède un même niveau de compréhension de toutes les questions qui concernent notre lutte, explique Benyamin Efraim, directeur d’ID. Nos organisations partagent une même vision de l’unité de notre peuple et de la défense de ses droits. » Toutes contribuent à la planification globale d’actions et de programmes de travail.
Au cœur de cette stratégie partagée, la sauvegarde et la transmission des piliers de la culture dayak : la langue, les pratiques agroforestières collectives, la reconnaissance et la protection des territoires indigènes ancestraux.
Face au changement climatique et aux pressions des entreprises
L’ID, axé sur la préservation de la culture du peuple dayak et l’organisation d’actions de plaidoyer pour garantir sa sauvegarde, doit faire face à une nouvelle menace : le dérèglement climatique. « Il affecte significativement notre culture, intimement liée aux événements naturels, et donc nos cycles sociaux , souligne Krissusandi Gunuí, chargé du plaidoyer à l’ID. La perturbation de la saison des pluies conduit peu à peu les communautés à abandonner l’agriculture. »
Double peine pour les Dayaks, car la très forte progression de la palme est directement liée aux politiques occidentales de lutte contre le dérèglement climatique.
Pour y faire face, l’Institut Dayakologi a adapté ses interventions à l’urgence de la situation. « Quand les plantations de palmiers et autres projets industriels sont très avancés, et qu’il n’y a plus d’espoir de restaurer les forêts détruites, nous nous battons pour la justice envers les communautés affectées », détaille Benyamin Efraim.
C’est le cas dans le village de Segumon, frontalier avec la province malaisienne du Sarawak, au nord de Kalimantan. Un petit groupe de résistants a fait appel à l’ID pour contrer le rouleau compresseur. La compagnie indonésienne MNHS [[Anciennement PT Sisu, dénomination qu’utilisent encore les villageois.]] aurait déjà convaincu 80 % des petits paysans de lui céder leurs terres ou de travailler dans ses plantations, en expansion rapide. « Ici, nous tentons de sauver ce qui peut l’être encore », explique Krissusandi Gunuí.
Cartographie collective du territoire dayak
Dans le but de renforcer les opposants, l’ID travaille à raviver la culture afin d’accroître sa capacité de résistance. Au programme : une radio villageoise en langue locale, des actions de sensibilisation des jeunes, une collaboration étroite avec les autorités coutumières.
Pour dissuader les paysans de céder leur terre à la plantation, l’ID promeut des activités rémunératrices, comme la culture du poivre, par exemple. Plus tard, si c’est pertinent, l’ONG envisage d’organiser une cartographie participative du territoire.
Ce type d’action trouve toute sa justification là où la pression des compagnies n’a pas encore démantelé le foncier. Il s’agit d’établir collectivement un document – carte, livrets descriptifs, notices – délimitant les terres ancestrales dayak, ainsi que tous les sites d’intérêt majeur : points d’eau, vergers forestiers, sépultures, champs.
« Cette cartographie, normée, a un caractère légal, elle est reconnue par l’administration, insiste Matheus Pilin, directeur de l’ONG Perkumpulan Pancur Kasih (PPK), fer de lance de ces opérations avec l’appui d’ID. Ce document peut être opposé à la prétention des compagnies qui allèguent des prérogatives sur le foncier local. »
Efficacité du modèle agroforestier
Les organisations dayaks ne font pas que de la résistance. Elles s’imposent aussi comme forces de proposition face au discours des firmes – largement soutenues par les autorités locales – et qui présentent l’agro-industrie comme une bienfaisante modernité.
Dans la continuité d’une tradition pluriséculaire qui a fait ses preuves, l’ID s’attache à rebours à démultiplier l’efficacité du modèle agroforestier basé sur le verger forestier (dahas).
À Tanjung, dans le district de Ketapang, au Sud, l’économie forestière des vingt hectares du dahas Batu Rayaq – durian, bois de fer, rambutan, langsat, pakanai, hévéa – complétée par de petits élevages fermiers de volailles, porcs, poissons, et la culture du riz – aliment de base – est présentée comme un modèle d’équilibre et de robustesse, non seulement face aux aléas du dérèglement climatique mais aussi de l’appétit des firmes.
« Nous avons repoussé leurs offres à plusieurs reprises. Aujourd’hui, on nous laisse en paix », témoigne Jakubus, référent des sept familles de la petite communauté propriétaire du dahas.
En 2009, l’ID a contribué à installer le dahas Pancing sur le territoire de Tanjung, centre pilote où des paysans dayak viennent se former à des techniques agricoles qu’ils implantent ensuite dans leur communauté. Un défi à la palme : les huit hectares sont encerclés par une immense plantation possédée par la firme étasunienne Cargill.
Pancing est aujourd’hui le pivot d’un groupe de onze dahas chacun spécialisé dans une activité économique complémentaire aux cultures traditionnelles.
L’ébauche d’un réseau, qu’ID veut muscler en lui adjoignant des circuits de vente afin d’en valoriser les productions commerciales.
« Le gouvernement indonésien soutient qu’il n’y a pas de meilleur débouché économique pour les populations locales que la palme, critique Benyamin Efraim. Nous démontrons que notre agriculture forestière, basée sur la biodiversité et radicalement opposée au système destructeur des vastes monocultures de palmiers à huile, est bien plus performante pour améliorer les conditions de vie des communautés. »
Patrick Piro
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