Israël-Palestine
Un mur contre la paix
Le gouvernement israélien a entrepris d’ériger un énorme dispositif de sécurité pour se séparer des Palestiniens et protéger sa population des attentats-suicides.
Mais une séparation unilatérale peut-elle remplacer une négociation politique pour résoudre le conflit ? La construction du premier tronçon, achevée fin juillet, lèse des dizaines de milliers de Palestiniens et aggrave encore la situation
économique en Cisjordanie. Le tracé complet envisagé pour la « barrière de sécurité » relève d’une politique du fait accompli, pour pérenniser la présence des principales colonies juives dans les territoires occupés et le contrôle de la vallée du Jourdain.
Et même fixer les limites des territoires laissés à un futur État palestinien. Dans ces conditions, le « mur » pourrait bien faire obstacle à la paix.
«Les bonnes clôtures font les bons voisins ». Dans cet adage de bon sens, la majorité des Israéliens a vu la seule solution raisonnable au conflit avec les Palestiniens. Puisque rien ne semble pouvoir mettre fin au cauchemar des attentats suicides, puisque les désaccords sur Jérusalem et les réfugiés semblent insurmontables, puisque la logique de coopération du processus d’Oslo a fait place à la défiance, voire à la haine. Autant mettre chacun de part et d’autre d’une bonne barrière. Un mur pour sortir de l’impasse en quelque sorte, pour avoir la paix, à défaut de pouvoir la faire. Les Israéliens y gagneront le sentiment de sécurité et les Palestiniens n’auront plus à supporter les représailles militaires. D’éventuelles négociations définitives pourront alors se dérouler dans un contexte plus serein.
Quand les travaillistes ont avancé l’idée, ils avaient à l’esprit une séparation longeant la Ligne verte, l’ancienne frontière israélo-jordanienne (de 1949 à 1967) qui délimite la Cisjordanie. Non seulement, il s’agissait d’empêcher l’entrée en Israël de porteurs de bombes palestiniens, mais, reconnaît l’un des promoteurs de l’idée : « L’un des objectifs stratégiques était de délégitimer les colonies isolées (pas les blocs de colonies) qui se trouvent au-delà. » Peu soutenues par l’opinion israélienne, elles mettent en péril la vie des soldats chargés de protéger des implantations où ne vivent parfois que quelques dizaines de radicaux, constituent un motif de ressentiment palestinien pour un profit illusoire et obligent à maintenir ouvert sur Israël, un territoire dangereux.
Une Floride méditerranéenne
Plutôt que la répression à outrance et l’annexion à tout prix des territoires occupés depuis 1967, un mur semblait une solution réaliste et libérale. La séparation était une idée de la gauche, contre une droite toujours habitée par le rêve du Grand Israël, de la mer au Jourdain. On a ainsi « vendu » à l’opinion israélienne bien décidée à ne plus avoir à frémir d’effroi aux bruits des bombes et du ballet des sirènes d’ambulances, désespérée de ne pouvoir s’entendre avec les Arabes, une « barrière de sécurité » (« security fence ») grâce à laquelle on pourrait enfin réaliser le rêve d’une sorte de Floride méditerranéenne, oubliée des médias, où le football, les affaires et les sorties seraient à nouveau les principaux sujets de conversation. Protégée de ce monde oriental inconnu, turbulent, hostile.
Les partisans de la séparation invoquent l’exemple de la bande de Gaza, close de toute part, d’où quasiment aucune action terroriste n’a été perpétrée depuis le début de l’Intifada. Convaincant d’un point de vue israélien, mais qu’est devenue la bande de Gaza dans cet enfermement ? Un concentré de misère, un foyer de radicalisme, une prison à ciel ouvert pour plus d’un million de personnes, dont l’économie est totalement dépendante des autorisations d’exportation et des permis de travail délivrés par les autorités israéliennes, d’ailleurs quasiment supprimés depuis octobre 2000.
Moins de capacité à comprendre l’autre
Les Israéliens connaissent très mal leurs voisins palestiniens qu’ils n’ont guère d’occasion de voir qu’en balayeurs, ou en ouvriers du bâtiment, ou comme ennemis potentiels durant leurs périodes militaires dans les territoires occupés. De même, les Palestiniens de Cisjordanie, comme leurs concitoyens de Gaza, auront de moins en moins l’occasion de voir les Israéliens autrement qu’en uniforme, armés et menaçants. Plus de séparation signifie moins d’humanité, moins de capacité à comprendre l’autre. Est-ce sur ces bases que l’on pourra fonder la paix ? Une question que l’on ne se pose guère en Israël, où le besoin de sécurité immédiate règne en maître sur les esprits.
Côté palestinien, on dénonce sur le principe une décision unilatérale, permettant d’ajourner tout règlement politique négocié. La construction du premier tronçon du dispositif de sécurité, qui couvre le quart nord-ouest de la Cisjordanie, a surtout montré que loin d’une clôture anodine, le dispositif israélien pénalise lourdement les populations des villages situés sur son tracé.
Les détracteurs palestiniens de la séparation parlent d’un « mur ». Sur neuf kilomètres au total (sur les 140 construits) à ce jour, là où la ligne de séparation longe une autoroute israélienne, elle prend la forme d’un mur de béton de huit mètres de haut. Pour le reste, la « barrière » aligne rouleaux de barbelés, tranchée, piste de patrouille, clôture électrifiée, zone de sable sensible, deuxième piste de patrouille. Le tout sur une largeur de 80 mètres. Une véritable autoroute, dont chaque kilomètre coûte 2,5 millions d’euros, pour laquelle on a rasé des collines, arasé des milliers d’hectares de terre, arraché près de 90 000 oliviers, éventré les champs d’une des régions les plus fertiles de Cisjordanie. Moins symbolique qu’un mur, mais largement plus dommageable qu’une simple construction de béton. Bien moins réversible aussi.
Un choc pour la Palestine rurale
L’impact sur l’agriculture palestinienne est d’autant plus lourd que le tracé ne suit pas la Ligne verte, s’enfonce souvent de plusieurs kilomètres vers l’Est, contourne des villages au plus près des habitations, les coupe de leurs terres les plus productives et des puits qui les alimentent. Trente-six villages sont coupés de leurs terres et de leur ressource en eau. Des permis seront délivrés aux paysans pour franchir des passages agricoles, une trentaine en théorie, bien moins en pratique, dont les horaires d’ouverture sont inadaptés au travail de la terre et que les autorités militaires peuvent fermer à leur convenance pour exercer des pressions.
La ligne de séparation s’enfonçant en territoire palestinien, une douzaine de villages et près de 12 000 personnes vont également se trouver piégés entre la clôture, leur empêchant l’accès à la Cisjordanie, et la frontière avec Israël où il leur est interdit d’entrer. Enfin, pour protéger des colonies juives qui se trouvent incluses derrière la ligne de séparation, une deuxième « barrière en profondeur » est en construction, prenant au piège dix-neuf villages et 128 000 Palestiniens.
Un nouveau choc pour la Palestine rurale déjà radicalement transformée par l’occupation en 1967 et la concurrence avec une agriculture israélienne moderne et, depuis, largement dépendante du travail en Israël de la jeune génération. Le bouclage des territoires occupés puis la suppression des permis de travail pour les Palestiniens après le début de l’Intifada ont fait exploser les chiffres du chômage. L’appauvrissement est tel qu’il a fallu mettre en place, dans des régions pourtant fertiles, un système d’échange de travail contre nourriture. Avec les confiscations de terre, la création d’enclaves, l’impossibilité d’accéder aux marchés, aux services élémentaires de santé ou d’éducation, la pauvreté va encore s’accroître. Selon la Banque mondiale, plus de 200 000 personnes vont être directement affectées par la construction du « mur ».
Des cantons palestiniens
La suite de la construction s’annonce plus désastreuse encore. Si la droite israélienne, et en particulier les colons, était au départ opposée à l’idée de la séparation, elle s’est aujourd’hui totalement réapproprié l’entreprise. Entre temps, le tracé n’a cessé d’être modifié de telle manière que la clôture est devenue un moyen de conquête territoriale. Selon le tracé approuvé pour la suite du chantier, la ligne de séparation doit s’enfoncer en plusieurs endroits jusqu’à vingt kilomètres à l’intérieur de la Cisjordanie pour placer des colonies côté israélien. Ariel Sharon et l’armée ont évoqué très clairement le projet d’un mur oriental, privant la Cisjordanie de la vallée du Jourdain. Dans la partie au Sud de Jérusalem, la logique sera la même et Jéricho serait entourée par une clôture. Le résultat n’a plus rien à voir avec la logique de sécurité, mais définit bel et bien le territoire palestinien, constitué de cantons séparés les uns des autres, couvrant moins de la moitié de la Cisjordanie, sur lequel le Premier ministre envisage de laisser se constituer un « État » palestinien.
C’est aussi une réponse à l’obsession démographique. Le Pr Arnon Sofer, surnommé en Israël « le compteur d’Arabes », a bien reconnu dans cette version de la séparation la solution qu’il préconise « face à un voisin malade et suicidaire et pour échapper à une majorité arabe et sauver l’État juif ». Ce n’est pas par hasard qu’Ariel Sharon lui a demandé de lui apporter ses cartes, le soir-même de son élection en février 2001.
Une fois de plus, les partisans de l’expansion territoriale ont mis à profit la stratégie des groupes armés palestiniens d’attaques contre les civils et le besoin de sécurité pour faire progresser leurs conceptions idéologiques d’un sionisme conquérant. En ce sens, cette nouvelle phase de confrontation avec les Palestiniens était bien, comme l’avait déclaré Ariel Sharon, la poursuite de la guerre de 1948, une guerre de « conquête défensive ».
Gain territorial
L’administration américaine s’est prononcée explicitement contre cette transformation de la logique de séparation et a même menacé Israël de sanctions financières si le tracé n’était pas ramené sur la Ligne verte. Mais dans un contexte de reprise des attentats, on peut douter que l’armée et le gouvernement israéliens renoncent au gain territorial et politique engrangé après ce qui constitue bien l’échec de l’Intifada.
Pour que les bonnes clôtures fassent de bons voisins, encore faut-il que les voisins aient les mêmes droits. Mais si la clôture n’enferme que l’un des deux et que l’autre a la clé, s’il peut construire à sa guise sur le terrain qui ne lui appartient pas et modifier le tracé de la clôture, s’agit-il encore de bon voisinage ? Faute de n’avoir résolu aucun des problèmes politiques posés par l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, de prendre en considération les torts causés aux Palestiniens à l’occasion de la création de l’État d’Israël, le dispositif le plus sophistiqué qui soit peut-il garantir durablement la sécurité ?
Dans un Proche-Orient confronté depuis des siècles au défi de son pluralisme, l’État israélien n’envisage sa pérennité comme État juif que dans l’instauration d’un système de séparation inégale et de domination militaire. Ce modèle pourra-t-il garantir la paix et contribuer à la démocratisation du Proche-Orient ? Rien n’est moins sûr.>
Thierry Brésillon
Comment Qalqiliya est devenue un ghetto
La ville de Qalqilya est encerclée par un mur et une clôture. Conséquence, l’économie s’effondre et les habitants s’enfoncent dans la perception obsédante de leur enfermement.
Qalqilya est une ville d’environ 50 000 habitants, avancée comme un promontoire dans la plaine de Tel-Aviv, épargnée d’une tentative de nettoyage ethnique en 1967 grâce à la conscience d’un officier israélien qui a refusé d’obéir aux ordres d’en expulser de force les habitants. Aujourd’hui, Qalqilya est entourée de toute part par le dispositif de séparation, qui prend, vers l’Ouest la forme désormais emblématique de ce mur de huit mètres de haut devenu l’horizon obsédant de toute une ville.
Dans les plans initiaux, l’enfermement n’était pas aussi radical. La clôture devait suivre davantage la Ligne verte, plaçant la colonie d’Alfei Menashe du même côté que Qalqilya. Une perspective refusée par ses habitants qui ont obtenu que le mur fasse le tour de la colonie, la séparant de la ville palestinienne. Mais pour que la colonie soit connectée au territoire israélien sans avoir à traverser des villages palestiniens, il fallait construire une nouvelle route sur les terres d’une bourgade israélienne, Matan. Pas question pour Matan de voir son environnement dégradé par une route. Grâce à leurs appuis politiques, les habitants de Matan et d’Alfei Menashe ont obtenu que le tracé du mur s’écarte de la Ligne verte et coupe Qalqilya des villages environnants. Le « mur » entoure donc Qalqilya, laisse la colonie connectée à Israël par la route principale existante, la contourne et va enfermer les villages, autrefois aux abords de Qalqilya, dans une autre boucle. Pour le confort de deux localités israéliennes, dont une colonie, on a donc enclavé des villages désormais privés de l’accès à tous les services de la ville et transformé Qalqilya en ghetto.
Un check-point tenu par une demi-douzaine de gardes-frontières contrôle donc une ville de 50 000 habitants dont ils ne peuvent sortir sans autorisation, où les Palestiniens de moins de trente-cinq ans non résidents de Qalqilya n’ont pas le droit de rentrer, où les autres peuvent entrer, mais ne sont pas sûrs d’être autorisés à ressortir. Les marchandises ne sont admises que munies d’autorisations délivrées au coup par coup et selon un calendrier (un jour pour le béton, un jour pour la farine…) que l’armée peut modifier à tout moment. Le chômage y dépasse les 70 %, le commerce s’est effondré et la ville, autrefois dynamique, prend des allures de ville-fantôme.
« Quand j’étais enfant, se souvient un jeune habitant de Qalqilya, il me fallait une demi-heure de vélo pour aller à la plage. » L’idée même de plage est désormais inconcevable et vu de Qalqilya, le reste du monde a disparu. Le check-point est le seul lien avec l’extérieur. Un lieu d’arbitraire et d’humiliation où l’on a pu voir, mi-mai, un garde-frontière jouer avec une sorte de fouet bricolé, face aux Palestiniens alignés en attendant d’être autorisés à passer.
Th. B.
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