La crise financière et le développement des pays pauvres.

Publié le 19.01.2009| Mis à jour le 08.12.2021
Jeudi 15 janvier 2009, Antoine Malafosse, délégué général du Comité catholique contre la faim et pour le développement, est intervenu devant le Comité directeur de la CIDSE*. Voici son analyse des répercussions de la crise financière. Jusqu’à très récemment, la grande majorité de l’opinion publique européenne ne voyait aucun lien entre la « croissance » des pays riches, c’est-à-dire leur développement économique, et le « développement » des pays pauvres. Je me souviens d’un dessin de Plantu (célèbre caricaturiste français du journal « Le Monde »), il y a de cela plusieurs années, où l’on voyait un hémisphère, celui du sud, pauvre, taper au plancher de l’hémisphère, nord, où des gens festoyaient de façon indécente. Les organisations membres de la CIDSE avec d’autres ONG ont été les premières à dénoncer l’injustice d’un système mondial qui favorise les nations riches au détriment des nations pauvres. Les analyses sur la dette, les campagnes de plaidoyer sur ce thème à travers l’Europe en sont un bon exemple. Aujourd’hui, le monde n’est plus coupé aussi clairement entre sud et nord : les crises actuelles, alimentaire, énergétique, climatique et financière se posent toutes à l’échelle internationale. Nous en avons déjà discuté hier avec la campagne de la CIDSE pour le changement climatique : les pays « émergents » comme l’Inde et la Chine qui émettent d’ores et déjà une partie importante des gaz à effet de serre peuvent-ils être encore qualifiés de « pays du sud » ou « pays pauvre », en les opposant à « pays riche » ou « pays développé » ? Notre vision des relations Nord-Sud est ainsi questionnée. Il nous faut penser autrement ; nous parlons d’ailleurs de crise financière globale ; celle-ci donne une visibilité accrue aux thèses que nos organisations membres défendent, et que, plus généralement l’Eglise Catholique, sur la base de sa doctrine sociale, promeut. Je renvoie ici au dernier texte qu’a publié le conseil pontifical Justice et Paix, « note du Saint-Siège sur finance et développement présentée dans le cadre de la conférence de Doha », en novembre dernier . Autre élément que je livre à votre réflexion, la crise financière peut être expliquée comme une crise de la dette. Les salaires et la rémunération du travail sont réduits depuis trente ans, il a donc fallu endetter les ménages pour stimuler la demande. Même les plus pauvres dans nos pays riches ont été poussés à l’endettement (subprimes). C’est ce système qui s’effondre aujourd’hui et qui repose la question de la dette dans le système économique. La « législation » biblique préconisait des prêts sans intérêt, voyant dans la dette un facteur clé de pauvreté et d’asservissement. Aujourd’hui, la CIDSE et l’Eglise peuvent donc s’exprimer sur la régulation de l’endettement, à la fois au niveau des particuliers et au niveau des Etats. Les principales critiques et analyses que nous portons sur le système international sont les suivantes : •    La mauvaise gouvernance mondiale Les institutions financières internationales, FMI et Banque mondiale sont gouvernées par les pays riches. Ainsi, par exemple, au FMI,  les 48 pays d’Afrique n’ont aujourd’hui que 5% des droits de vote. Il y a une sorte de schizophrénie mondiale : on ne peut se prononcer en juin 2008 au sommet de la FAO en faveur du développement d’une agriculture familiale durable et, en juillet à l’OMC, réaffirmer la volonté de favoriser encore et toujours plus le commerce international. Plus récemment, le sommet du G20 a éclipsé le sommet de Doha qui aurait dû être le lieu de concertation mondiale sur les enjeux de la crise actuelle. Les Nations-Unies peinent et devraient être plus efficaces. •    Une architecture financière qui elle-aussi favorise les plus riches Le système financier international a oublié « combien la dimension éthique de l’économie et de la finance n’est pas une chose accessoire, mais essentielle » . Nous sommes dans une logique d’accumulation financière et matérielle, qui amène les acteurs économiques à contourner les lois ou à les instrumentaliser à leur profit. Les exemples sont nombreux, mais je n’en prendrai qu’un : celui des paradis fiscaux. Une quasi-absence de régulation de la circulation de capitaux, une taxation nulle ou très basse, un manque de transparence ont encouragé le développement de circuits financiers très complexes avec pour seul objectif de masquer les risques er d’éviter l’imposition. On estime aujourd’hui que plusieurs centaines de milliards de dollars en provenance des pays pauvres circulent dans ces paradis fiscaux chaque année. Par le biais d’impôts ou de taxes non perçus, cela représente un manque à gagner très important pour ces pays démunis qui ont cruellement besoin de revenus. En d’autres termes, les pauvres financent les riches : on estime qu’entre 3 et 10 euros sortent des pays pauvres vers les pays riches pour chaque euro d’Aide Publique au Développement engagé par ces mêmes pays riches. Il nous faut également rappeler l’impact direct de cette crise financière sur les pays pauvres. Elle a un impact catastrophique à plusieurs titres : •    une réduction tout d’abord des transferts financiers des diasporas à leurs pays d’origine. Ces transferts peuvent aller, dans un cas comme le Lesotho, jusqu’à compter pour 25% du RNB du pays. Ils sont donc essentiels ; •    la chute de la demande des pays riches et la baisse des cours de matières premières constituent également une réduction importante de revenus pour ces pays. Le prix du cuivre entre juillet et octobre 2008 a diminué de 54% ; •    la réduction des investissements privés étrangers est également d’ores et déjà constatée. Les investissements sont réduits et privilégient dans une telle période les pays les plus sûrs, c’est-à-dire les pays riches. •    enfin l’aide publique au développement des pays de l’OCDE subit elle-aussi des réductions drastiques. La France, par exemple, a annoncé une réduction pour 2009 de 55% de son aide bilatérale effectuée sous forme de dons à l’Afrique sub-saharienne. Les pays de l’OCDE se sont engagés à hauteur de 130 milliards de $ d’aide pour 2010, les prévisions actuelles réduisent ce montant à 115 milliards. Les solutions proposées par la CIDSE Pour contrer ce système financier véritablement injuste, le récent rapport de la CIDSE « Closing the gap: addressing imbalances in global finance » met en avant trois ensembles de propositions :
  • des systèmes fiscaux justes au niveau national ;
  • un combat déterminé contre la fraude fiscale à l’échelon international ;
  • la mise en place d’une fiscalité à l’échelle mondiale (taxe sur les transactions financières, taxes environnementales).
L’impact de la crise financière sur la CIDSE L’impact de la crise financière sur le travail des organisations membres de la CIDSE est donc important à deux titres : •    La crise a remis à l’ordre du jour des questions fondamentales : l’éthique dans l’économie et la finance, la gouvernance du système financier international, le financement du développement. Les analyses de la CIDSE et de ses organisations membres sur des sujets touchant à ces domaines (paradis fiscaux, financement du développement, dette, …) sont donc rendues plus visibles : il nous faut donc renforcer notre communication ici en Europe pour convaincre nos opinions publiques et nos dirigeants que le moment est venu de remettre la finance et la recherche de profit à leur juste place, derrière l’objectif premier du « développement de tout l’homme et de tous les hommes ». A titre d’exemple, une pétition a été lancée par plusieurs organisations catholiques en France , dont le CCFD-Terre solidaire pour appeler N. Sarkozy à mettre fin au scandale des paradis fiscaux que sont Monaco et Andorre. Cette pétition a été reprise par un journal à grande diffusion, « Le Pèlerin » et connaît un vif succès (plus de 30 000 signatures au 10 janvier). •    Nous avons aussi à renforcer notre soutien à nos partenaires des pays du sud ; ils sont déjà en première ligne face à cette crise qui, dans chaque pays, frappe les populations les plus démunies. La solidarité à leur égard ne doit pas être seulement financière, elle doit aussi exprimer le fait que l’action collective et la confiance sont des armes efficaces face aux enjeux. Conclusion Saint-Luc et Saint-Matthieu nous rappellent que l’on ne peut servir deux maîtres à la fois : Dieu et l’argent.  Remettre l’argent à sa place c’est reprendre le contrôle -instaurer une meilleure gouvernance mondiale-, et c’est aussi mieux répartir cet argent, par des mesures fiscales, prises au niveau international, par une meilleure « aide » en quantité et en qualité, par un souci de mieux rémunérer le travail par rapport au capital (en stabilisant les prix agricoles par exemple). L’Eglise et, en son sein, les organisations membres de la CIDSE en particulier, ont un parole forte à faire entendre sur ces sujets. N’ayons pas peur de prendre toute notre place dans les débats sur la refondation du système financier international. Je vous remercie de votre attention. Antoine Malafosse Délégué Général CCFD-Terre solidaire   *La CIDSE ou Coopération internationale pour la solidarité et le développement est une alliance de plusieurs ONG de développement catholiques d’Europe et d’Amérique  » La crise financière et le développement des pays pauvres  » par A. Malafosse

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