La directive sur la transparence fiscale vidée de sa substance [Tribune]

Publié le 12.11.2021| Mis à jour le 05.01.2022

Les député-es européen-nes vont adopter une directive sur la transparence fiscale des grandes entreprises multinationales, dont le contenu a été tellement affaibli qu’elle ne permettra pas de répondre à son objectif : faire apparaître les montages d’évasion fiscale.

C’est une immense déception pour nos organisations engagées pour la justice fiscale. Plus encore, c’est une véritable occasion manquée pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale des grands groupes, qui privent les Etats de ressources cruciales pour lutter contre les inégalités et les dérèglements climatiques. La France a une forte responsabilité dans cet échec, en adoptant sans nuance les positions des lobbys du secteur privé.

La transparence fiscale des multinationales, grâce au « reporting pays-par-pays public », est pourtant une mesure simple et indispensable pour lutter contre l’évasion fiscale. En obligeant les grands groupes à publier des informations de base sur leurs activités et les impôts qu’elles payent dans chacun des pays où elles opèrent, comme le font déjà les banques, cette mesure doit permettre de vérifier que les impôts payés correspondent à des activités réelles et d’identifier les montages d’évasion fiscale.

« Plus des trois-quarts des pays du monde ne seront pas couverts »

Malheureusement, la directive en cours d’adoption prévoit que les entreprises devront uniquement déclarer leurs activités au sein des pays de l’Union européenne et des pays listés comme paradis fiscaux. Cette restriction géographique anéantit complètement la mesure : plus des trois-quarts des pays du monde ne seront pas couverts. Ceci, alors qu’une seule filiale dans un paradis fiscal suffit pour faire de l’évasion fiscale, et que la liste européenne de paradis fiscaux est défaillante. Les multinationales pourront donc continuer et adapter leurs montages en toute opacité pour échapper à l’impôt. Les citoyens et citoyennes, en particulier des pays en développement qui sont davantage victimes de l’évasion fiscale des multinationales étrangères, n’auront toujours pas d’accès aux informations.

En outre, poursuivant le détricotage de cette directive qui n’a de “reporting pays-par-pays public” que le nom, les négociateurs ont ajouté une faille qui permettra aux entreprises de ne pas divulguer des informations pendant cinq ans si elles les considèrent comme “commercialement sensibles”.

Une fois de plus, la protection de la « compétitivité des multinationales » a pris le pas sur une mesure d’intérêt général

Les informations publiées dans le cadre du reporting public ne sont pas des informations sensibles : les très grandes entreprises, celles concernées par la directive, disposent déjà de ces informations sur leurs concurrents. Un tel recul, au nom de la compétitivité – argument ressassé et éculé par certaines entreprises multinationales pourtant mises en cause dans les scandales d’évasion fiscale successifs, est inacceptable.

Alors que les négociations entre les Etats Membres et le Parlement auraient pu permettre d’améliorer la directive, la France a empêché tout progrès en diffusant ses lignes rouges sur la base d’un document rédigé directement par le MEDEF, sans nuance et avec des arguments erronés. Une fois de plus, la protection de la « compétitivité des multinationales » a pris le pas sur une mesure d’intérêt général et la France a été hélas l’artisane d’un recul majeur.

Le combat pour une véritable transparence fiscale va continuer puisque les Etats devront ensuite transposer cette directive dans leur législation nationale. Alors que la présidence française du conseil de l’Union européenne est sur le point de débuter, la France pourrait alors choisir de reprendre une position de championne de la transparence fiscale ! Nous sommes plus que jamais mobilisé-e-s pour que l’on puisse enfin savoir si les multinationales paient leur juste part d’impôt.

Signatures :
Nadège Buquet, déléguée générale, Transparency International France
Chantal Cutajar, Présidente, OCTFI
Manuèle Derolez, déléguée générale, CCFD-Terre Solidaire
Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France
Franceline Lepany, Présidente de Sherpa
Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac France
Elise Van Beneden, présidente d’Anticor

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