La jeunesse, un atout pour l’Afrique
L’Afrique a la population la plus jeune de la planète. Opportunité majeure pour la prospérité, le poids démographique de la jeunesse pourrait bien se transformer en cauchemar si rien n’est fait rapidement pour répondre à ses besoins et aspirations.
Les évolutions démographiques avancent au galop en Afrique. Sa population croît plus vite que celle de n’importe quelle autre région du monde. Elle compte 70 millions d’enfants de plus qu’il y a dix ans et les projections prévoient 76 millions de jeunes de moins de 14 ans pour la décennie à venir. Un profil démographique unique qui aura de profondes conséquences. En effet, avec 40 % de la population âgée de moins de 15 ans – alors que la proportion des plus de 60 ans se limite à 5,5 % –, le continent bénéficie d’une opportunité formidable pour assurer son développement. Le « miracle économique » de l’Asie de l’Est il y a trente ans, est l’exemple le plus frappant de l’impact potentiel de cette « révolution démographique » qui stimule la croissance économique.
L’opportunité historique du « dividende démographique »
Désormais, la plupart des pays africains rassemblent davantage d’adultes en âge de travailler (les 15-64 ans) que d’enfants à charge et de personnes âgées. En clair, il y a moins de personnes à faire vivre avec la même quantité de revenus et de personnes actives. Cela représente une occasion d’économiser sur les services de santé et les services sociaux, d’améliorer la qualité de l’éducation, d’assurer la productivité économique, de renforcer les investissements dans la technologie et les compétences et de créer la richesse nécessaire pour faire face au vieillissement futur de la population qui, lui aussi, sera très rapide.
Les économistes appellent ce phénomène le « dividende démographique ». Ce « bonus » finira par se tarir avec le vieillissement de la population active, mais cette période peut durer encore plusieurs décennies. Alors que la fécondité diminue dans les grandes villes africaines et dans les milieux instruits, les démographes constatent que le continent n’a toujours pas atteint le niveau maximal de sa population jeune. Cela s’explique par un taux de fécondité qui demeure le plus élevé au monde (les femmes ont chacune, en moyenne, 5,5 enfants). Par ailleurs, exception faite des pays comme le Lesotho, le Swaziland ou le Botswana, l’épidémie de sida n’a pas eu un effet majeur sur le volume total de la population ou sur sa structure d’âge [[Selon l’Onusida, les décès liés au sida ont diminué de plus de 25 % dans le monde entre 2005 et 2011 et le nombre de nouvelles infections au VIH a été réduit de façon spectaculaire depuis 2001, notamment en Afrique subsaharienne de 70 % ; au Malawi et au Botswana, 68 % en Namibie, 58 % en Zambie, 50 % au Zimbabwe et 41 % en Afrique du Sud et au Swaziland.]].
» Les économies subsahariennes devraient poursuivre sur leur lancée, les estimations tablent sur une moyenne de 5 % de croissance annuelle pour les deux années à venir. «
Cependant, le changement démographique n’est pas le seul facteur qui forgera le développement de l’Afrique. Si l’on se fonde sur l’expérience asiatique, le boom économique a été rendu possible grâce à des politiques volontaristes et à la conjugaison de divers facteurs : une amélioration des taux de scolarisation associée à la qualité de l’éducation, un système de santé robuste, des conditions économiques propices à la croissance et l’emploi, mais aussi une disponibilité généralisée de la planification familiale et son acceptation sociale.
Les jeunes de 15-24 ans sont quelque 200 millions, un chiffre qui devrait doubler d’ici 2045. Or, environ 60 % des chômeurs africains se situent dans cette même tranche d’âge, dont plus de la moitié sont des femmes qui ont abandonné toute recherche d’emploi. « L’Afrique fait l’expérience d’une augmentation du chômage des jeunes. C’est une réalité inacceptable pour un continent qui a une telle ressource de jeunesse, de talent et de créativité », a déclaré Lamin Barrow, représentant à Addis Abeba de la Banque africaine de développement, lors de la présentation publique de l’édition 2012 des « Perspectives économiques de l’Afrique ». Consacré, cette année, à la « Promotion de l’emploi des jeunes » [[Perspectives économiques en Afrique. Rapport 2012 : Promotion de l’emploi des jeunes, www.afdb.org/en/
knowledge/publications/african-economic-outlook/]], le rapport enjoint les gouvernements africains à changer de perspectives sur le secteur informel et les zones rurales. Autrement dit : renforcer le secteur formel, accroître les compétences et créer des emplois à la campagne.
Éducation-formation-emploi : un triptyque incontournable
Le rapport cite le cas de l’Ouganda où l’augmentation de 13 % entre 2003 et 2006 de l’emploi salarié a absorbé moins d’un cinquième des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Au Nigeria, au Mozambique et au Burundi, plus de 60 % des jeunes gagnent moins d’1,25 dollar par jour.
Les experts de l’Africa Progress Panel [[Africa Progress Panel, Rapport sur les progrès en Afrique 2012 : Emploi, justice et équité – Les opportunités à saisir en période de bouleversements, www.africaprogresspanel.org/apr2012]] insistent eux aussi sur l’urgence d’agir en faveur de l’emploi des jeunes estimant que les 15-24 ans seront 246 millions d’ici 2020 (contre 133 millions au début du siècle). Il faudrait donc créer 74 millions d’emplois, et ce, uniquement pour contenir la croissance du chômage des jeunes. Le défi est immense, mais les indicateurs économiques prêtent à l’optimisme (voir hors-texte). Labélisé en 2000 « Continent l’hebdomadaire néolibéral estime aujourd’hui que « le soleil brille », notant l’impressionnante croissance des économies subsahariennes.
De fait, dans cette partie de l’Afrique, certains pays (comme la Gambie, la Zambie, le Mozambique, le Ghana) enregistrent des taux de croissance avoisinant les 8 %, et ce, malgré les répercussions du « Printemps arabe » et la crise de l’Eurozone. Les économies subsahariennes devraient poursuivre sur leur lancée, les estimations tablent sur une moyenne de 5 % de croissance annuelle pour les deux années à venir.
Pourtant, le continent reste la lanterne rouge du classement de l’Indice de développement humain (IDH), même s’il arrive deuxième pour la rapidité de progression sur la période 2000-2011.
En effet, les pays africains s’enrichissent, mais toute une partie de leurs citoyens
demeurent les laissés-pour-compte de la croissance. Le fossé se creuse entre les plus riches et les plus pauvres et l’émergence d’une classe moyenne reste encore
fragile. Si elles persistent, l’inégalité des chances et l’injustice sociale saperont les progrès réalisés.
Une partie de la crise du chômage des jeunes vient de l’inadéquation entre les formations dispensées – systèmes éducatifs trop théoriques, magistraux et désuets – et les compétences exigées par les employeurs. Certes, les jeunes sont de plus en plus nombreux à recevoir une éducation secondaire et la tendance s’affirmera : 59 % des 20-24 ans en bénéficieront d’ici 2030, contre 42 % actuellement, estiment les experts des « Perspectives économiques de l’Afrique ».
Mais pour l’heure, 39 % des hommes âgés de 17 à 22 ans ont suivi moins de deux années d’études en Éthiopie (60 % des fi lles), 43 % au Sénégal (57 % des fi lles) et 7 % au Kenya (9 % des fi lles), rappelle l’Unesco. L’accès à l’éducation n’est pas seul en jeu. Les inégalités fl agrantes entre villes et campagnes, entre garçons et fi lles, entre sédentaires et nomades, se conjuguent avec des disparités entre la qualité de l’enseignement public et celle du privé. Des sociétés à deux vitesses sont en train de se former via l’école, notamment. Or, l’accroissement des inégalités et la marginalisation des jeunes de la vie publique, économique et politique, rendront les pays plus vulnérables à l’instabilité sociale et politique. Le phénomène d’urbanisation rapide du continent se chargera d’amplifier ces effets.
Le renversement des gouvernements tunisiens et égyptiens rappelle que la force déstabilisatrice d’une jeunesse frustrée, oubliée et manipulable reste une réalité.
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