La séquestration du carbone dans les terres agricoles, miracle ou alibi ? (Rapport)
L’agriculture est tour à tour considérée comme responsable ou victime des dérèglements climatiques. Certains voient en elle des solutions pour lutter contre le réchauffement de la planète en transformant les terres agricoles en puits de carbone… Vraie ou fausse solution ? Ne faut-il pas avant tout questionner nos systèmes agro-industriels ?
Toutefois, la réalité est plus nuancée.
Pour commencer, il est difficile de mesurer l’efficacité réelle de la séquestration du carbone dans les sols cultivés. Il est par exemple extrêmement difficile d’en assurer sa permanence. Le processus n’est ni éternel, ni irréversible. Par ailleurs, il n’existe pas de méthode standardisée pour calculer la teneur en carbone des sols. Difficile dans ces conditions de mesurer l’impact réel de la séquestration. Surtout, les scientifiques s’accordent pour dire que, quelle que soit la méthode de calcul utilisée, cette technique ne sera jamais aussi efficace qu’une réduction effective des émissions de gaz à effet de serre. Un rapport de 2002 évaluant la situation en France établit ainsi que le carbone séquestré ne pourra jamais représenter plus de 1 ou 2 % du total des émissions françaises. Une goutte d’eau dans l’océan. En vérité, la problématique de la séquestration du carbone dans les terres agricoles ne serait-elle pas un moyen d’éviter le cœur du sujet ?Car si l’agriculture est bien l’une des activités humaines qui génère le plus d’émissions de gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone est très loin d’être le seul responsable des émissions dues à l’agriculture.En 2005, l’agriculture générait, en effet,
- 50 % des émissions mondiales de méthane
- 60 % des émissions de protoxyde d’azote
- Le dioxyde de carbone, quant à lui, ne compte que pour moins de 1 % des émissions directes du secteur agricole (au sens des terres cultivées). L’atténuation des émissions liées à la gestion des terres cultivées doit donc viser principalement la réduction permanente du méthane et du protoxyde d’azote.
La séquestration de carbone dans les sols : une solution aux conséquences potentiellement néfastes
Historiquement, la Convention Climat [[Convention Cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC)]] s’est avant tout intéressée au dioxyde de carbone dans la lutte contre les changements climatiques, car il constituait le gaz émis en plus grande quantité par les pays industrialisés. Peu à peu, à l’instar des forêts, les sols agricoles ont été perçus comme pouvant jouer un rôle pour compenser les émissions industrielles. Et comme pour les forêts, il existe un risque non négligeable d’une ouverture aux marchés carbone, fondée sur une logique marchande inadaptée. Dès lors, on se retrouve confronté au même danger d’une approche financiarisée de la nature, au détriment des paysans et des besoins des populations. Au sein de la Convention Climat, les Etats peinent à traiter des problèmes liés à l’agriculture et optent pour la politique des petits pas. Ils laissent ainsi le champ libre à de nombreuses initiatives parallèles à la gouvernance onusienne qui fleurissent ces dernières années. C’est le cas de l’Alliance pour une agriculture intelligente face au climat (GACSA) ou encore de l’Initiative pour l’adaptation de l’agriculture africaine (AAA). Ces initiatives ne manquent pas de mettre en avant le potentiel de séquestration du carbone dans les sols. Elles allient Etats, institutions financières, centres de recherche et certaines ONG mais aussi et surtout les géants de l’agro-alimentaire. Et en particulier le secteur industriel des semences et des intrants de synthèse : Monsanto, Bayer, Syngenta…Vers la financiarisation du carbone dans les sols
A l’abri de tout encadrement, des projets issus de partenariats public/privé voient ainsi le jour aujourd’hui avec, au menu : la financiarisation du carbone dans les sols dans l’espoir d’échanger les crédits générés sur les marchés carbone et la promotion des acteurs économiques dominants de l’industrie agricole, principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre du secteur. La séquestration du carbone devient pour les géants de l’agroalimentaire un prétexte pour faire perdurer leurs pratiques. Un simple verdissement du système agro-alimentaire industriel ne fera que transformer les terres en objet de spéculation et entraînera des risques d’accaparement supplémentaires.L’approche holistique : repenser les systèmes agro-alimentaires dans leur ensemble
La séquestration du carbone n’est pas la solution miracle pour répondre au problème des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture. Il s’agirait plutôt d’avoir le courage politique de transformer en profondeur l’ensemble de nos systèmes agro-alimentaires. Le secteur agricole doit en effet relever trois défis majeurs : – S’adapter aux dérèglements climatiques – Atténuer sa contribution aux émissions de gaz à effet de serre (CO2, mais surtout méthane et protoxyde d’azote) – Préserver, voire accroître les stocks de carbone contenus dans les sols Ces trois enjeux ne peuvent pas être traités séparément. Or, les Etats n’ont que trop longtemps privilégié une approche en silo. Financiariser les terres pour séquestrer le carbone au détriment des communautés paysannes est un non-sens. Il est au contraire urgent d’investir dans les petites exploitations et les agricultures familiales, qui représentent près de 90 % du secteur agricole mondial et 80 % de la production totale de nourriture. Ces mêmes populations productrices de nourriture sont les plus menacées par l’insécurité alimentaire et les dérèglements climatiques. Elles sont pourtant beaucoup moins responsables des émissions de gaz à effet de serre tout en étant les plus à même d’identifier des solutions. Il essentiel d’inverser le paradigme et de replacer l’humain et les ressources vivantes au cœur de l’action climatique. La crise climatique impose de faire des choix radicaux pour limiter le réchauffement de la planète à une augmentation de 1,5°C. Si les Etats refusent de prendre les mesures politiques qui s’imposent, le recours à la séquestration de carbone dans les sols agricoles continuera à servir d’alibi, conduisant à des pressions sans commune mesure sur les terres. Consulter notre Rapport « Nos terres valent plus que du carbone » : Lire aussi l’appel signé par 50 organisations internationales : Nos terres valent plus que du carboneDocuments joints
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