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La terre, enjeu d’une paix durable en Colombie

Publié le 05.02.2018| Mis à jour le 08.12.2021

Le problème foncier, déjà à l’origine de la guerre qui a déchiré une partie du territoire pendant plusieurs décennies, constitue toujours l’un des défis majeurs pour le processus de paix en Colombie. Des dizaines de milliers de paysans déplacés pendant le conflit tentent de retrouver leurs terres et le paient parfois de leur vie.


Avant d’ouvrir le lourd portail de bois, Adolfo Antonio Ramos balaie du regard la route de terre crevassée devant sa ferme. Cet homme de 56 ans au corps noueux explique :

« Depuis mon retour en mars 2014, je suis menacé de mort ».

De 1996 à 2012, il fuit les violences commises par les paramilitaires dans la région d’Urabá, au nord-ouest de la Colombie. En rentrant chez lui, il trouve un homme dans sa ferme :

« Il prétendait l’avoir acquise légalement. Comme je possédais le vrai titre de propriété, j’ai eu gain de cause. Mais il n’a jamais vraiment accepté la décision de justice et il m’en veut toujours ».

L’autre raison pour laquelle Adolfo est menacé – au point de se vêtir d’un gilet pare-balle – est encore plus préoccupante. En tant qu’élu du conseil communautaire du village Villa Eugenia, et vice-président de l’association Terre et paix, il accompagne les familles de paysans de la région dans leurs demandes de restitution de terres :

« Ces démarches s’appuient sur des textes de loi. Malgré les accords de paix, il est encore difficile de faire reconnaître le droit à la terre. »

Adolfo Antonio Ramos n’est pas le seul responsable communautaire menacé dans le pays. Depuis les accords de paix du 24 novembre 2016 signés entre le gouvernement et l’armée des Forces révolutionnaires de Colombie (Farc), plus de 80 responsables d’organisations sociales et de défenseurs des droits humains ont été assassinés en 2017.

Lire aussi : Édito : La paix demeure l’espérance de millions de Colombiens

L’une des régions les plus touchées ? Urabá et ses quelque 560 000 habitants, majoritairement des afro-colombiens et des indigènes, répartis sur un territoire de 12 000 kilomètres carrés. Juan-Pablo Guerrero du Cinep/PPP rappelle :

« Dans cette région, des milliers de paysans et leur famille ont été déplacés de force dans un climat de violence extrême ».

Si le motif était officiellement la lutte contre la guérilla, « les paramilitaires ont agi selon une stratégie d’entreprises locales et multinationales d’accaparement des terres pour y développer des cultures à grande échelle comme la banane et la palme africaine, mais aussi de l’élevage extensif et de l’exploitation forestière », explique-t-il. Autant d’activités lucratives qui ne les incitent pas à rendre ces territoires.

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Les lois pour la restitution de la terre sont rarement appliquées

Juan Sebastian Ospina, chargé au sein du Cinep/PPP de former et d’accompagner dans leurs démarches juridiques, les leaders communautaires des départements du Chocó et d’Antioquia précise :

« Les restitutions des terres sont pourtant prévues et encadrées par deux textes de loi, adoptés bien avant la signature des accords de paix. »

L’objectif de cet arsenal juridique ? Rendre à leurs propriétaires légitimes les plus de 3 200 000 hectares, soit 5 % des terres agricoles colombiennes, spoliés ou abandonnés pendant le conflit [[Source : Consultoría para los derechos humanos y el desplazamiento (Codhes), 2009.]]. Le membre du Cinep/PPP poursuit :

« Même lorsque les titres de propriété, individuels ou collectifs, sont accordés, l’absence de l’État pour les faire reconnaître et appliquer facilite les menaces et les violences. Les paysans doivent être courageux pour retourner sur leurs terres et faire valoir leurs droits. »

Lire aussi : En Colombie, une commission pour faire la vérité sur le conflit – Entretien avec Francisco De Roux

Issu d’un petit village du Chocó, Juan Viloria Rodriguez, 52 ans, est arrivé très jeune dans la région.

« La terre était recouverte de forêt et nous avons travaillé dur pour planter des bananes, du manioc et du riz. Mais à la fin des années 1980, les Farc ont commencé à tuer des paysans et des leaders communautaires, car personne ne voulait s’engager à leurs côtés ».

A partir de 1996, les paramilitaires ont semé la terreur :

« Ils tuaient des familles entières qu’ils accusaient de collaborer avec la guérilla. »

Pris entre deux feux, Juan Viloria Rodriguez s’enfuit à la ville :

« Ma famille et moi avons souffert. Il n’y avait pas de travail et nous ne mangions souvent qu’une fois par jour. Cette vie a duré 16 ans. »

En 2012, Juan Viloria rentre enfin chez lui. Mais, lui aussi, retrouve sa terre occupée par un tiers. Il saisit la justice… et attend toujours son verdict :

« À ce jour, nous occupons 20 % de nos terres. Le reste est occupé par un homme qui dit ne jamais vouloir en partir. En plus, il me menace de représailles. Il y a quelques mois, il a même envoyé son bétail détruire mes récoltes. »

Alors quand on lui demande si les accords de paix ont changé la donne, Juan soupire :

« S’il n’y a plus la guerre, ici c’est loin d’être la paix. »

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Territoire stratégique pour le narcotrafic

Mgr Hugo Alberto Torres Marín, l’évêque d’Apartadó partage ce point de vue. Depuis sa nomination en 2014, il sillonne son diocèse. Pour lui, le climat général ne s’est pas beaucoup amélioré avec les accords de paix :

« Globalement, on entend moins les armes. Et beaucoup de familles sont retournées dans leurs anciennes fermes ou parcelles. Mais nombre d’entre elles continuent à vivre dans la peur. »

En particulier dans des zones situées à l’ouest du fleuve Atrato, quittées il y a quelques mois par les Farc, mais tout de suite investies par l’Armée de libération nationale (ELN). De violents et fréquents affrontements opposent les hommes de l’ELN aux paramilitaires et aux bandes criminelles selon l’évêque d’Apartadó. L’objectif ? Contrôler un territoire stratégique pour le narcotrafic, à la fois proche de l’océan Pacifique et de la mer des Caraïbes.

« Là-bas, la signature des accords de paix n’a rien changé. Les populations civiles les plus pauvres sont toujours au milieu des échanges de tirs et souffrent. »

Selon Mgr Hugo Alberto Torres Marín, ces familles fuient à nouveau leurs terres et les combats pour aller se réfugier en ville.

Généralement, les déplacés viennent trouver refuge à Riosucio, au bord du fleuve Atrato, à moins d’une centaine de kilomètres au sud-ouest d’Apartadó. Pablo Antonio Lopez Moreno, représentant légal du Conseil communautaire des rivières La Larga et Tumaradó indique :

« Sur les 28 000 habitants environ, au moins 2 000 à 3 000 ont été déplacés. La plupart survivent dans des maisons en planches de bois sur pilotis, construites au dessus de mares d’eau croupie. »

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Pour cet homme menacé de mort à plusieurs reprises et accompagné en permanence par deux gardes du corps armés :

« si les personnes déplacées ont tant de difficultés à récupérer leurs terres, c’est d’abord par manque de volonté du gouvernement de faire appliquer la loi. Il y a aussi un déficit d’information des populations sur leurs droits. Nous nous chargeons d’informer les paysans et non le gouvernement, malgré son engagement. Sans oublier son devoir d’assurer la sécurité des populations civiles et la souveraineté de l’État dans les territoires libérés par les Farc ».

Zénaïda Edyth Martin Martinez, représentante légale de l’Association paysanne de l’ouest d’Antioquia (Ascoa) dont le siège se trouve également à Riosucio, tempête : « On en est loin ! »

Protégée par deux gardes du corps, cette quadragénaire a le regard durci par les années de lutte sociale en plein conflit armé.

Lire aussi : Toujours victimes de violences, les Colombiennes reprennent leur destin en main

Double préjudice : être paysans pauvres et noirs

Zénaïda Edyth Martin Martinez espère cependant que le processus de restitution des terres constituera une opportunité pour mettre un terme au double préjudice vécu par les populations locales : être des paysans pauvres et être noirs.

Juan Viloria Rodriguez souhaite qu’avec la paix, le gouvernement colombien se concentre sur le développement économique et productif du monde rural:

« Cela passe par l’accès au crédit afin de mécaniser notre production à travers l’achat de tracteurs ou de machines pour décortiquer et trier le riz, par exemple. L’État doit aussi investir dans les infrastructures, notamment les routes souvent impraticables dans la région lors des grosses pluies. »

Adolfo Antonio Ramos, lui, ne se projette pas si loin :

« Si nous voulons voir la paix s’installer vraiment en Colombie, il faudra d’abord rendre toutes les terres aux paysans. Et cela va prendre encore beaucoup de temps. »

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(Ré)écouter sur RCF l’émission spéciale « Colombie – Les accords de paix, et après ? »

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