La voix des communautés en Casamance
Dans le cadre de la recherche de la paix au sud Sénégal, l’ONG américaine World Education a mis en place le «Réseau de radios communautaires pour la paix et le développement en Casamance». Douze stations sont aujourd’hui opérationnelles.
Radio Pkumel – «le pilier central» en langue mancagne – 106.0 sur la bande FM, à Goudomp, en brousse, entre fleuve Casamance et frontière bissau-guinéenne. Un doux foutoir règne dans le studio d’enregistrement, avec des fils électriques partout. Fenêtres ouvertes, volets battants. Le matériel se couvre petit à petit de poussière poisseuse. Punaisés aux murs du local technique, les consignes, le règlement intérieur, la grille du jour, et surtout, le programme «paix, réconciliation et pardon », initié par l’ONG américaine World Education (WE), qui a justifié la création de cette radio communautaire. Ainsi que des onze autres radios du réseau de Basse et Moyenne Casamance, région du sud du Sénégal où le conflit entre les rebelles du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) et l’armée sénégalaise s’éternise.
Reconstruire un tissu social détérioré par la guerre civile
« Paix, réconciliation et pardon » : pour Abdulaye Gassama, directeur de Fogny FM à Sindian, un village en pleine forêt, situé à proximité de la frontière gambienne, une des zones les plus instables de la région, « la paix, ce n’est pas uniquement le silence des armes. C’est vivre en harmonie entre confréries, religions, communautés. La station contribue à reconstruire le tissu social profondément détérioré par la guerre civile. Il a laissé des traces, dans les corps, dans les âmes. La paix est en outre indispensable pour créer des activités économiques génératrices de revenus. »
Une vision partagée par Abdulaye Keita, journaliste à radio Kaïraba FM – « la grande paix » en langue diola – à Diouloulou, à quelques encablures de la Gambie, côté océan. « Diouloulou est un village à forte représentation mandingue, entouré de villages diolas. Au coeur de la crise, ces deux communautés étaient comme chiens et chats. Grâce aux débats radiophoniques, les tensions se sont apaisées et les socio-cultures [qui regroupent les différentes composantes ethniques de la population casamançaise : ndlr] , même minoritaires, se sentent valorisées. » Car ici, comme dans toutes les radios, les émissions se font dans les huit langues locales pour toucher tout le monde.
Pas de paix ni de développement sans implication des communautés de base, souvent exclues des sphères de décisions locales, tout simplement parce qu’elles ne sont pas informées. «Le développement local ne peut être réel que s’il est participatif, commente Moussa Drame, le directeur de Gabou FM, la radio de Sédhiou, l’ancienne capitale de la Casamance, isolée au bout de sa presqu’île, où est né le MFDC en 1947. Les populations doivent savoir à quoi on leur demande de participer. Le dialogue est donc fondamental.» C’est pour cela que ce journaliste professionnel, en lien avec l’association de développement local Gabou qu’il préside, a souhaité lancer la station qui émet depuis le 6 novembre 2009. « Dounia, une radio régionale, diffusait des émissions à partir de Sédhiou, avant de cesser ses activités. Nous ne pouvions laisser l’espace vide sur le plan de la communication. »
Mais on ne s’improvise pas journaliste, technicien ou directeur des programmes. D’où une formation approfondie, assurée par WE. Au programme : techniques journalistiques et d’animation, gestion, utlisation des nouvelles technologies. Mais aussi différents modules pour informer sur le conflit et un volet incontournable « éthique et la déontologie » qui assure la crédibilité des stations. Quant à la formation continue, elle ouvre aux questions du genre, de la citoyenneté, de la bonne gouvernance, de la démocratie, du plaidoyer…
Ces radios, ce sont des femmes de l’association Union régionale Santa Yalla – « rendre grâce à Dieu » en diola – qui en ont été le déclencheur. Elles cherchaient un moyen d’informer les populations sur les lieux de commercialisation du poisson en Casamance. Immédiatement, elles ont songé au média radiophonique. Intéressé, World Education les réoriente vers un contenu tourné vers la paix et le développement. Kassoumaye FM – « comment ça va ? » en langue diola – naît le 4 avril 2005. C’est le début de l’aventure du réseau.
Pour World Education, la place des femmes est au coeur des débats. Kaïraba FM compte dans son équipe de permanents neuf femmes pour huit hommes. « La paix repose à 80 % sur leurs épaules, est convaincu Adama Thiam, chef de la station, économiste de formation. Elles sont partout, dans le commerce informel, dans les champs, à la maison. Beaucoup sont vecteurs d’opinion car leaders d’associations. Elles doivent donc relever le défi. » Une exception Kaïraba ? Un peu. Car les femmes sont encore timides pour se lancer.
Régulièrement, il faut re-motiver les équipes. « Les maîtres-mots d’une radio communautaire sont «bénévolat, engagement, responsabilité », commente Moussa Drame. Parfois, il y a du relâchement, des absences injustifiées. On ne peut se permettre de faire de l’amateurisme. Mais le bénévolat a parfois ses limites, surtout quand on n’a aucun moyen de subvenir aux besoins de sa famille.
Un noyau d’irréductibles qui assurent un rôle éducatif
Pour d’autres, pas question de quitter la radio. « On n’a pas de salaire, mais travailler à la radio est une bouffée d’oxygène, une ouverture d’esprit, confirme Laye Diallo, journaliste à Pkumel FM qui gagne sa vie comme il peut comme chauffeur. Je comprends mieux la réalité de vie des populations et leurs réactions face au conflit. Du coup, je suis plus tolérant. » « Nous assumons en outre un rôle éducatif, c’est passionnant, renchérit Cheick Oumar Diallo. »
Une radio un peu en perte de vitesse cependant, comme Kassoumaye FM, où le turn-over est fréquent. Ce qui semble ne choquer personne. Pas même Oulimata Ndiaye, assistante aux programmes, chargée des radios communautaires au sein de WE : « l’engagement communautaire est une volonté. On ne peut forcer une personne à rester si elle trouve mieux ailleurs. Nous savions qu’il y aurait de la mobilité et des chasseurs de prime. Mais il existe dans chaque radio un noyau dur de personnes fondamentalement engagées. » Celles-là ont souvent un métier, beaucoup enseignent. Mais pour ces irréductibles, pas question de lâcher prise.
Car les résultats, ils les voient : « Les grèves d’élèves sont moins fréquentes et moins violentes, assure Robert Mingou, un vrai militant, directeur de Pkumel FM. Les femmes, mieux informées, ont compris l’intérêt des visites prénatales. Les autorités locales font passer leurs messages sur nos ondes. A Goudomp, grâce à nos émissions « dialogue transfrontalier », les vols de bétail diminuent. Cela a amené la création de comités de vigilance à la frontière. Ainsi que la création d’un réseau avec les radios guinéennes. Et dès que l’on parle de paix, non seulement les gens sont à l’écoute, mais interviennent, y compris les combattants. Etre dans l’écoute active montre leur implication. »
Santé, sécurité routière, éducation, agriculture, culture, religion, littérature, sport, citoyenneté… tous les sujets sont abordés de manière à favoriser le débat et pour aborder la politique ou le conflit, le maître mot reste « la neutralité totale ». Au niveau de chaque station, mais aussi du réseau de différentes stations ce qui permet un échange d’informations et de faire face aux soucis quotidiens – manque d’argent, matériel qui tombe en panne… -, et surtout de créer ce sentiment d’appartenance à la défense d’une cause commune, la paix.
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