L’accueil des migrants en Ardèche, une région rebelle et fraternelle
En Ardèche, de nombreux collectifs se sont créés pour venir en aide aux familles de migrants déboutées du droit d’asile. Du plateau de Lamastre en passant par Tournon et Privas, puis en descendant vers l’Ardèche méridionale, nous avons rencontré des homme et des femmes révolté·e·s par le sort réservé à ces personnes migrantes.
Il y a deux ans, dans l’urgence, à l’appel du collectif de la ville voisine de Tournon, une poignée d’habitants du pays de Lamastre se sont mobilisés pour accueillir un couple d’Arméniens d’une soixantaine d’années. Il risquait de se retrouver à la rue à sa sortie du Cada (Centre d’accueil des demandeurs d’asile). Quelques semaines plus tard, l’association Accueil migrants de la vallée du Doux était née.
« Ici, nous sommes en terre protestante et il y a une vraie unité des chrétiens autour de l’accueil des migrants », explique Jacques, 65 ans, militant de longue date du CCFD-Terre Solidaire. Pour n’exclure personne, les militants décident de créer une association laïque. « Des personnes qui se faisaient une fausse idée des migrants nous ont rejoints. À leur contact, elles ont découvert un autre visage. »
« Ici, nous sommes en terre protestante et il y a une vraie unité des chrétiens autour de l’accueil des migrants » – Jacques, 65 ans, militant de longue date du CCFD-Terre Solidaire
Des renforts bienvenus, car l’association suit désormais deux autres familles. Deux d’entre elles ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et doivent se rendre chaque semaine au commissariat. Pour suivre les dossiers de ces déboutés, expulsables à tout moment, il faut de solides compétences juridiques que n’ont pas ces militants. C’est la Cimade et l’Asti (Association de soutien aux immigrés), deux associations spécialisées dans l’accompagnement des migrants, qui les appuient en cas de besoin. Un maillage de terrain entre associations et collectifs locaux, indispensable pour consolider cet engagement citoyen exigeant.
Comme beaucoup de personnes investies auprès des migrants, Jacques, producteur de fromage de chèvre – à la retraite depuis peu –, est en colère : « C’est une honte d’accueillir les gens comme ça. En France, on est soumis au diktat du Front national qui impose ses idées. Et les partis politiques, par populisme, suivent et font de la surenchère. Ce ne sont pas 100 000 demandeurs d’asile qui vont changer la physionomie de la France. On est 8 milliards sur terre, l’argent circule, les paradis fiscaux sont partout, nos enfants voyagent en Europe et ailleurs, mais les pauvres, eux, n’ont pas le droit de circuler. »
L’Ardèche, terre de brassage
En 2010, l’Insee recensait 14 840 immigrés en Ardèche, soit 4,7 % de la population du département : réfugiés arméniens, espagnols, juifs d’Europe de l’Est ; Laotiens, Cambodgiens, Italiens, Polonais, harkis, et migrants économiques venus d’Europe ou d’Afrique. Puis, dans la foulée de mai 68, se sont installés des néoruraux. Des jeunes attirés par le retour à la terre, mais aussi par des envies de vivre et de produire différemment. Un mouvement alternatif qui continue à nourrir le militantisme d’aujourd’hui.
L’Ardèche fut aussi une terre d’exil. Après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, les protestants furent contraints de fuir et de s’exiler [[La révocation de l’édit de Nantes en 1685, par Louis XIV, vise à faire disparaître les Églises réformées et contraint les protestants à la clandestinité ou à l’exil]]. « Une violence qui est restée dans la mémoire collective, explique Anne-Marie de l’Entraide protestante. Nous sommes tous des huguenots résistants. Nous sommes restés méfiants vis-àvis du pouvoir central, et si nous considérons que quelque chose est injuste nous résistons, comme aujourd’hui, pour défendre les droits des migrants. »
Des dynamiques collectives
À Tournon, à trente kilomètres au nord-est de Lamastre, le collectif d’aide aux migrants est plus ancien. Il regroupe des militants du Réseau éducation sans frontières (RESF), du CCFD-Terre Solidaire, de l’Entraide protestante, du Secours Catholique, des Restos du Coeur et des membres de la veille paroissiale.
Aujourd’hui, grâce à l’appui d’une bonne centaine de donateurs, le collectif arrive tant que bien que mal à loger – parfois dans l’illégalité – seize familles. Mais l’accompagnement ne s’arrête pas là : cours de français pour les adultes, aide aux devoirs pour les enfants, sensibilisation dans les écoles, mais aussi rendez-vous chez le médecin, l’avocat ou au tribunal, les militants sont sur tous les fronts. Ils apportent aussi un vrai soutien moral dans les périodes les plus difficiles.
L’espoir pour ces déboutés repose sur la circulaire Valls de 2012. Elle ouvre la possibilité d’une régularisation après cinq années passées en France, à condition d’avoir un enfant scolarisé depuis trois ans. Mais cette circulaire n’a pas force de loi. Et son interprétation, au cas par cas, est laissée à la discrétion de chaque préfecture. Les associations réclament donc avec force que ce texte devienne une loi.
Durant ces cinq années, les migrants n’ont pas le droit de travailler. Ils reçoivent 150 euros par enfant du conseil départemental de l’Ardèche et bénéficient de l’Ame (aide médicale d’État). « De quel droit empêche-t-on les gens de travailler, s’indigne Charles, militant du CCFD-Terre Solidaire. Le travail est un droit fondamental. Le pape François nous l’a rappelé en citant les trois T : Terre, Toit, Travail [[Dans un discours du pape, à la deuxième rencontre mondiale des Mouvements populaires en 2014.]] »
« De quel droit empêche-t-on les gens de travailler, s’indigne Charles, militant du CCFD-Terre Solidaire ? Charles, militant du CCFD-Terre Solidaire »
Toutes les personnes rencontrées dénoncent l’hypocrisie de ces lois qui créent des clandestins, contraints pour survivre de travailler au noir – quand ils trouvent un peu de travail – en acceptant parfois des salaires de misère. Sesily, Albanaise au fin visage, mère de trois enfants, est arrivée en France il y a cinq ans. Comme beaucoup de migrantes rencontrées, elle fait du bénévolat au Secours Catholique et dans une maison de retraite : « Les personnes âgées sont contentes de me voir, elles m’attendent. Cela me donne de la force pour continuer. » Bien intégrée, la jeune femme s’inquiète pour son mari qui, comme de nombreux déboutés, supporte mal de ne pas pouvoir travailler. « Il a perdu son statut de chef de famille. Ne pas pouvoir travailler, ça casse les hommes, explique-t-elle. C’est très difficile de dépendre toujours des autres. »
Les enfants eux s’adaptent vite et parlent français en quelques mois. « Ils sont notre espoir. Ils savent qu’on compte sur eux », disent les mamans, conscientes du poids qu’elles font peser sur les épaules de ces enfants souvent déjà très marqués. « Mon mari, raconte Christina, a été arrêté et envoyé deux fois en centre de rétention. Depuis, chaque fois qu’on frappe à notre porte, ma fille de treize ans se met à trembler. Elle a peur que ce soit les gendarmes. »
A Privas, les militants ne lâchent rien
Lire la suite du reportage dans le n°304 de Faim et Développement, disponible sur abonnement payant.
Hélène Jullien
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