L’après « coton Monsanto » au Burkina

Publié le 18.04.2017

L’échec du coton OGM de Monsanto au Burkina Faso a été démontré. Grâce à une mobilisation de la société civile et une enquête de terrain, la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, a joué un rôle décisif pour son abandon par le gouvernement. Yobi Richard Minougou, un de ses membres, met cependant en garde contre le nouveau péril qui menace les agricultures familiales de la région : l’arrivée imminente de variétés transgéniques de Monsanto dans les cultures alimentaires de base pour la population.


Yobi Richard Minougou est secrétaire exécutif de l’Association pour la protection de la nature au Sahel (APN-Sahel), membre de la Copagen, partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Le réseau de la Copagen intervient dans onze des pays de l’Afrique de l’Ouest pour soutenir les droits collectifs des communautés locales et des agriculteurs. Il rejette le génie génétique dans l’alimentation et promeut l’utilisation durable des ressources biologiques africaines.

CCFD-Terre Solidaire : L’an dernier on apprenait que le Burkina Faso faisait brusquement volte-face en annonçant la fin du coton OGM. Ce retour aux pratiques traditionnelles est-il effectif ?

Yobi Richard Minougou : La Copagen a mené sur le terrain une enquête socio-économique importante qui a démontré, chiffres à l’appui, ce que les paysans ressentaient : les bénéfices que Monsanto leur avait fait miroiter n’ont pas été au rendez-vous — et bien au contraire ! Alors que cette variété dite « Bt », qui produit son propre insecticide, nous a été imposée depuis 2008 hors cadre légal, sa rentabilité est…plus faible qu’avec les semences traditionnelles ! Et les conséquences négatives s’accumulent : résistance des insectes prédateurs à la toxine Bt, pollution de l’environnement, décès d’animaux qui ont mangé des résidus de coton…

Le rapport que nous avons produit a déclenché un séminaire avec des représentants du gouvernement, de la recherche nationale et de la principale société cotonnière étatique (Sofitex). Monsanto a dû reconnaître son échec. Tout en proposant, en guise de solution, la mise au point d’une nouvelle génération de coton Bt plus performante ! Mais sous la pression de la société civile et de parlementaires, le gouvernement a été contraint à décréter le retrait total du coton Bt, qui devrait être effectif dès la saison 2017-2018.

Cette année déjà, 80 % des champs sont cultivés en conventionnel. D’ailleurs, les producteurs, de leur propre chef, avaient déjà commencé à limiter sérieusement les surfaces en Bt. En effet, ils ne parvenaient pas à rembourser leurs investissements dans cette filière technologique coûteuse.

La Sofitex, qui achète la production des paysans pour la revendre sur les marchés internationaux, réclame 50 milliards de francs CFA[[environ 74 millions d’euros]] de manque à gagner à Monsanto en raison de la moindre qualité de ce coton Bt. Où en est ce contentieux ?

Tout se passe dans une grande discrétion. À ma connaissance, il n’y a pas encore d’action en justice. Le gouvernement négocierait pour trouver une entente avec le géant de l’agro-industrie. La Copagen, pour son compte, a déposé une plainte symbolique auprès du « Tribunal Monsanto » organisé par les mouvements sociaux et paysans à La Haye en octobre 2016.

Dans l’attente d’éventuelles réparations et condamnations, est-ce le point final de l’épisode calamiteux du coton OGM ?

Absolument pas ! C’est une bataille remportée, mais notre lutte n’est pas terminée. Tout d’abord, il ne suffira pas de quelques mois pour évaluer correctement tous les dégâts potentiels du coton OGM. Nous demandons que soit reconnu un moratoire de dix ans.

Par ailleurs, le Burkina Faso avait valeur, pour Monsanto et les pays voisins, de terrain d’expérimentation en vraie grandeur. Nous poursuivons donc la bataille en interpellant l’échelon des instances régionales de l’Afrique de l’Ouest pour qu’elles prennent position sur le sujet.

Il a été question que Monsanto quitte le Burkina Faso ?

Avec les déboires du coton la firme s’est faite encore plus discrète, mais elle n’a pas pour autant renoncé ! De fait, Monsanto poursuit des recherches au Burkina Faso sur des plantes alimentaires comme le sorgho ou le maïs. Une variété transgénique de niébé, légumineuse majeure pour la sécurité alimentaire de la région, serait déjà prête à la commercialisation pour le Ghana, le Burkina Faso et le Nigéria dès 2018 !

Le risque est à prendre très au sérieux. Notre population est rurale à 90 %, dédiée à une agriculture familiale. Le niébé est une légumineuse centrale dans l’alimentation de la région, tout comme le mil, le sorgho et le sésame, considérées comme des cultures « de souveraineté alimentaire ». Si les États consentent à basculer dans le modèle des OGM, les paysans vont devenir dépendants, pour leur nourriture, de l’achat de semences technologiques, et c’est tout un savoir-faire traditionnel basé sur la reproduction de semences villageoises qui sera en perdition. Sans oublier que cette agro-industrie prospère sur la monoculture en grandes parcelles. On voit déjà au Sénégal, au Ghana, au Togo, des investisseurs, notamment locaux, acheter des centaines d’hectares de terre à vil prix. Ce qui s’accompagne souvent de l’expulsion de petits agriculteurs, par ailleurs en général acquis à l’agro-écologie.

Le risque ne semble pas aujourd’hui clairement perçu au sein de la société…

Car les enjeux sont inédits. Les firmes, pour leur part, veulent convaincre que la sécurité alimentaire est réduite à la seule quête de rendements croissants et de performances technologiques ; alors que nous défendons que les communautés doivent être en capacité de produire ce qu’elles consomment. Ce qui suppose pour les paysans de détenir la souveraineté sur les semences.

La Copagen soutient ainsi une quinzaine de banques de semences villageoises. Bonne nouvelle : la recherche agronomique du pays commence à s’intéresser à cette voie alternative aux OGM. Et nous bataillons actuellement pour obtenir l’étiquetage des variétés commercialisées. Ne serait-ce que pour tenter de contrer l’effet dévastateur de lots distribués gratuitement par des gouvernements subventionnés par les agro-industriels pour faciliter la dissémination de leurs produits ! Dans le Sahel, toute une éducation à la prudence commence à porter ses fruits, les agriculteurs interrogent le syndicat des agro-pasteurs quand ils voient débarquer des semences qu’ils ne connaissent pas. Alors que la saison dure moins de 90 jours au Sahel burkinabè, on y a déjà vu distribuées des semences qui nécessitent 120 jours pour boucler leur cycle végétatif.

Comment comptez-vous mener la nouvelle bataille qui se présente ?

Le grand défi de la Copagen est donc désormais l’adoption d’une stratégie capable d’enrayer la menace d’une percée des OGM dans les cultures alimentaires, qui verrait la déstabilisation de pans entiers de la petite agriculture familiale. Il est d’abord crucial de bien faire comprendre ces enjeux. Pour cela, il va falloir mobiliser la population, comme avec le coton, et réveiller les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest ! Au-delà des réseaux qui nous avons créés sur la résistance aux OGM, nous comptons sur une Ligue des consommateurs très active au Burkina Faso, les coopératives, le collectif des acteurs de l’agro-écologie mais aussi les artistes, qui sont des médiateurs importants dans la divulgation des messages.

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