Le CCFD-Terre Solidaire rend hommage à Mgr Ruiz, évêque émérite de San Cristobal de Las Casas.
Le 24 janvier 2011, le CCFD-Terre Solidaire apprend avec peine la mort de Mgr Samuel Ruiz, évêque émérite de San Cristobal de Las Casas, au Mexique. Lui rendre hommage, faire connaître son travail et la situation des populations pour et avec qui il a travaillé s’impose au vu des rapports développés entre le CCFD-Terre solidaire et Don Samuel.
Rappeler l’empreinte de Don Samuel dans l’histoire de l’Eglise et du continent latino-américains, ainsi que la longue histoire de partenariat entre le CCFD-Terre solidaire et les œuvres nées sous l’inspiration de Mgr Ruiz, est une source de motivation supplémentaire pour poursuivre nos engagements, au moment de la célébration de nos 50 ans du CCFD-Terre solidaire.
La présence de Miguel Alvarez, président de SERAPAZ, compagnon de Mgr Samuel Ruiz dans le combat pour la promotion des droits humains et en particulier des droits des peuples indigènes, ayant participé aux côtés de Don Samuel au travail de médiation entre l’Armée zapatiste de libération nationale et le gouvernement mexicain au lendemain du soulèvement de 1994, nous offre une occasion privilégiée pour rendre notre hommage au prophète qu’était Mgr Ruiz.
Mgr Samuel Ruiz et l’éclosion d’une église autochtone, enracinée dans la culture des peuples indigènes
Arrivé en janvier 1960, à 35 ans dans le diocèse de San Cristobal de Las Casas, Mgr Samuel Ruiz ou Tatic Samuel, comme l’appelaient chaleureusement les indigènes, a été confronté à une réalité de pauvreté et de discrimination envers les peuples autochtones qu’il pensait combattre « en leur apprenant l’espagnol et en obtenant des vêtements et des chaussures », comme il aimait rappeler.
Au contact avec leurs réalités, c’est un tout autre projet qui a émergé.
Encouragé par le Concile Vatican II, la Conférence des évêques latino-américains à Medellin (1968) et les pratiques de confrères comme Mgrs Oscar Romero, Sergio Méndez Arceo et Leonidas Proaño, le Chiapas a vu éclore une Eglise autochtone, enracinée dans la vie et la culture des peuples indigènes.
L’organisation d’un congrès national indigène en 1974 au Chiapas, l’accueil des réfugiés guatémaltèques qui fuyaient les massacres contre la population civile pendant le conflit armé, la médiation du dialogue pour la paix entre le gouvernement et les zapatistes ont été parmi les moments les plus forts de son épiscopat.
Une Eglise autochtone
Le diocèse de San Cristobal de las Casas, impulsé par le travail pastoral de Mgr Samuel Ruiz, a été pionnier en matière de reconnaissance et de promotion des peuples indigènes, amenant l’Eglise toute entière à s’engager pour surmonter les discriminations à leur égard et à inculquer le message chrétien au cœur et à partir de la culture Maya.
L’amour que lui ont témoigné les peuples indigènes du Chiapas tout au long de son épiscopat nous apprend beaucoup sur une expérience de l’Eglise qui fait option pour les pauvres et s’ouvre aux « semences du Verbe » présentes dans la réalité.
Don Samuel le rappelait dans ces termes : « J’avais cru être envoyé au Chiapas pour évangéliser les indigènes et voilà que j’ai été évangélisé par eux » (Comment les Indiens m’ont converti).
« Je suis rentré peu à peu dans l’univers indigène pour découvrir que non seulement il y avait un autre monde différent du mien, mais qu’il y avait aussi d’autres valeurs que je ne connaissais pas. Ou que, si j’en avais pris connaissance sur le plan théorique, je ne savais pas comment elles se pratiquaient dans les communautés indigènes » (Entretien accordé au CCFD-Terre Solidaire pendant la Campagne de Carême 1999).
L’accueil des réfugiés indigènes guatémaltèques
Face au flux d’indigènes guatémaltèques qui fuyaient la guerre et les massacres dans le pays voisin et qui cherchaient refuge au Chiapas, Don Samuel Ruiz organise l’accueil et le travail de plaidoyer international pour faire reconnaître leur grave situation humanitaire.
Il s’inscrit dans une démarche de solidarité qui s’inspire et va le rapprocher davantage des populations indigènes Maya : « Aujourd’hui, notre diocèse devient, sans que nous l’ayons cherché, une enclave importante de ce que nous appelons Amérique centrale. Nous nous sentons partie d’elle ».
L’accueil, l’aide d’urgence et la défense des droits des réfugiés guatémaltèques étaient, d’ailleurs, dès 1981, le premier point de convergence entre le CCFD-Terre solidaire et le diocèse de San Cristobal de Las Casas.
Un comité de solidarité transfrontalier s’est mis en place, avec la participation d’organisations guatémaltèques, qui deviendront plus tard, elles aussi, partenaires du CCFD-Terre Solidaire.
Travaillant avec ces refugiés au moment de leur retour au Guatemala, dans la région d’Ixcán, au milieu des années 90, SERJUS (ONG guatémaltèque), va les soutenir dans leur processus d’organisation sociale, politique et économique, afin de faire face à la difficile situation dans laquelle ils se sont alors trouvés : avec leurs terres occupées par une politique de colonisation impulsée par l’armée, des conflits nouveaux avaient vu le jour.
Aujourd’hui, dans toute la région, l’implantation de grands projets miniers ou de production énergétique représente un défi nouveau pour ces populations.
Agir pour la paix en défendant les droits humains
La renommée internationale de Mgr Ruiz va se consolider à partir de 1993, avec la publication d’une lettre pastorale : « Dans cette heure de grâce », où il attirait l’attention sur les graves injustices subies par les peuples indigènes.
Le monde regardait ailleurs, tourné vers les efforts de libération de l’économie mexicaine pour réussir son intégration au Traité de Libre Echange de l’Amérique du Nord, au moment du soulèvement zapatiste.
Une mission du CCFD-Terre Solidaire s’est rendu sur place quelques semaines après ce soulèvement et dès le début du travail de médiation pour accompagner et soutenir les efforts du diocèse.
Des jeunes français ont été envoyés par le CCFD-Terre Solidaire dans le cadre de missions internationales d’observation pour la paix. Des programmes d’appui à l’économie sociale et solidaire ont vu le jour pour participer à la reconstruction du tissu social dans des communautés très affectées par le conflit.
Le soutien du CCFD-Terre Solidaire à la construction de la paix au Chiapas se fondait sur la recherche de solutions politiques à un conflit qui prenait origine dans la discrimination historique dont étaient victimes les populations indigènes.
Deux tâches complémentaires et fondamentales s’imposaient selon Don Samuel : assurer la défense des droits humains (en particulier les droits des populations indigènes) et travailler pour la médiation et la résolution pacifique du conflit. C’est ainsi qu’il va inspirer la naissance de deux associations qui deviendront dès lors des partenaires du CCFD-Terre Solidaire : le Centre de Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas et la Commission Nationale d’Intermédiation (CONAI) et puis SERAPAZ (Services pour la Paix), qui à la fin des négociations de paix, va poursuivre le travail pour la résolution non-violente de conflits au Mexique.
Don Samuel au Forum Social Mondial de 2002 : « grand témoin »
Dans les pages plus récentes de cette histoire de rencontre et compagnonnage entre Don Samuel Ruiz et le CCFD-Terre solidaire, nous n’oublierons pas sa participation au Forum Social Mondial de 2003 à Porto Alegre, où il était grand témoin, devant plus de deux mille personnes, et où il a rappelé que la justice est le fondement de la paix. A la fin de son témoignage, autour de plusieurs personnes qui voulaient lui parler ou demander un autographe, il s’excusait poliment, quelque chose de très important l’attendait : un rendez-vous avec des chômeurs et des sans abris de la ville. Il partait à leur rencontre accompagné de la Pastorale Ouvrière brésilienne et du CCFD-Terre Solidaire.
Dans la recherche de nouveaux chemins de solidarité : la réflexion partagée sur le sens de la coopération internationale
C’est avec le monde communautaire indigène que Mgr Ruiz a appris le sens profond du partage. Penser le monde et les relations entre les pays du Nord et du Sud à partir de cette logique, lui a inspiré des réflexions percutantes et novatrices sur la façon de considérer la coopération internationale. Le partenariat était avant tout politique, basé sur le partage de valeurs et un engagement commun.
En 2004, Don Samuel nous honorait de sa présence à la « Commission Diocèses-National Projets » et partageait encore une fois, en compagnie de Miguel Alvarez, ses réflexions sur la coopération internationale, qu’il esquissait déjà lors d’un entretien accordé au CCFD-Terre Solidaire au cours de la Campagne de Carême 1999 :
« Nous avons besoin d’une plus grande unité dans laquelle, malgré les différences, il n’y ait pas de division entre le tiers monde latino-américain et le premier monde du nord. Le défi est de dépasser les différences et de les voir comme des apports complémentaires à une réflexion sur le monde. C’est le défi en Amérique latine, c’est le défi en Europe aussi. Il ne s’agit plus seulement de rendre justice en faisant revenir au tiers monde ce que le système économique lui arrache. Nous sommes des partenaires qui avançons sur une même voie, responsables ensemble de la progression de l’humanité. Nous faisons face à un défi de survie globale qui nous oblige à trouver des modèles de développement respectueux des ressources naturelles. »
Don Samuel et tous ceux et celles qui se reconnaissent dans l’option pour les pauvres
Don Samuel Ruiz a réussi à installer durablement dans le diocèse de San Cristobal de Las Casas un fonctionnement collégial, où les communautés participent activement à la définition des orientations pastorales. Cette culture de participation est encore aujourd’hui très présente au Chiapas, aussi bien au sein de l’Eglise que dans la société civile locale, où un Réseau de constructeurs de paix continue de réunir régulièrement.
D’un autre côté, les menaces et intimidations contre les défenseurs des droits humains se sont accrues au cours des derniers mois. Cet hommage à Don Samuel est une invitation à nous intéresser davantage aux situations vécues par ces défenseurs des droits humains et par les peuples indigènes du Chiapas et de tout le continent latino-américain, aujourd’hui particulièrement concernés par l’expansion d’activités économiques prédatrices des ressources naturelles.
Walter Prysthon Jr
Chargé de mission au CCFD-Terre Solidaire
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50ème anniversaire de l’ordination épiscopale de Mgr Samuel Ruiz
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