Le co-développement, ligne Maginot des migrations internationales ?

Publié le 19.06.2007| Mis à jour le 08.12.2021

Alors que le nouveau ministre chargé de l’immigration souhaite dialoguer avec les associations (dont la nôtre) et se proclame le ministre du « vivre ensemble », nous restons perplexe devant l’apparition du « co-développement » dans le champ d’action du ministère de l’immigration : va-t-on placer les moyens d’action de la France en matière de coopération internationale sous la responsabilité d’une administration dont l’objectif est de dissuader les Africains, les Asiatiques (pauvres) de venir « chez nous » ?

Est-ce désormais à l’aune de la réduction des flux migratoires que l’on évaluera l’efficacité de notre aide au développement ? Est-ce à la docilité des gouvernements des pays d’émigration ou de transit, à leur diligence à mettre en œuvre nos injonctions en matière de lutte contre l’immigration clandestine, que l’on doit conditionner notre solidarité ?

Penser le co-développement comme un moyen de réduire les flux migratoires repose sur l’idée naïve que l’on peut dissuader les gens de partir de chez eux en les fixant avec des « projets de développement ». L’expérience prouve le contraire : c’est grâce à leur capacité à se déplacer facilement que les migrants peuvent faire bénéficier leur région ou les pays d’origine des ressources qu’ils mobilisent ailleurs. Qui plus est, le développement n’est qu’une solution à long terme qui ne dissuade pas, bien au contraire, de chercher à s’insérer dans la vie économique, sociale ou culturelle du reste du monde.

Donner d’une main pour le « co-développement » et restreindre la liberté de circulation d’une poigne de fer de l’autre, est donc contradictoire et irréaliste. Il est d’autant plus indécent qu’une charité intéressée puisse servir à se dédouaner des conséquences humaines tragiques provoquées par le déploiement d’un arsenal quasi-militaire, comme c’est le cas aujourd’hui au large des côtes européennes ou dans les pays de transit, pour contenir les migrants pauvres à l’écart de l’Europe, et par une traque policière aux méthodes discutables visant à remplir coûte que coûte des quotas d’expulsion.

Assigner les étrangers pauvres à un espace lointain
Jean-François Bayart, dans un récent article (1) décrit le co-développement comme le moyen d’assigner les étrangers pauvres à un espace lointain « celui du “développement” de leur “village”, en leur interdisant d’autres espaces, ceux de la citoyenneté dans leur société d’accueil et de l’accumulation dans l’économie globale ». Nous souscrivons à cette vision critique, même s’il est vrai qu’il est urgent de proposer des alternatives aux candidats à l’émigration sans perspective.

Par ailleurs, le rapprochement immigration, co-développement, intégration et identité nationale, trahit une vision crispée de la société française, qui rendrait les immigrés responsables du malaise identitaire de notre pays. Les risques sont grands de stigmatisation des étrangers, présentés comme source de corruption de l’identité nationale. Une situation évidemment incompatible avec l’objectif proclamé d’intégration.

L’esprit général qui préside à la constitution de ce ministère — fermeté intraitable pour les clandestins, intégration pour les autres et développement pour l’Afrique, le tout dans une optique utilitariste à notre seul profit – nous semble un leurre.

Il est temps de changer d’échelle dans l’appréhension des migrations internationales. Face à un phénomène lié aux fractures économiques mondiales, aux périls écologiques, aux incertitudes politiques d’un certain nombre de régions du monde, la France croit pouvoir protéger une conception idéalisée de son identité, la sécurité de ses quartiers pauvres et son marché du travail derrière des Lignes Maginot : de vains obstacles inspirés par une vision étroite et défensive du problème.

Offrir un autre choix que celui de risquer sa vie
L’horizon de la politique française de coopération pour le développement doit être une politique de développement durable à l’échelle de la planète, indissociable d’une meilleure répartition des richesses et d’un accès aux droits fondamentaux.

Le développement ne peut se réduire au co-développement. Il nous paraît donc essentiel de conserver entre les mains d’un ministère doté d’une vision globale des enjeux internationaux, les moyens de la coopération pour le développement dont la finalité (faut-il le rappeler ?) doit être d’abord l’amélioration du sort des populations des pays pauvres.

Cette politique s’élabore aussi dans les instances internationales où la France est représentée telles que l’ONU, l’Organisation mondiale du Commerce, et l’Union européenne. S’attacher dans ces lieux de décision à une défense égoïste de nos intérêts, serait tout aussi contre-productif si l’on veut offrir aux habitants des pays pauvres un autre choix que celui risquer leur vie dans des tentatives quasi-suicidaires de passer outre les barrières que nous ne cessons de dresser autour de notre prospérité.

S’il faut donner du contenu à un ministère du Co-développement, alors il faut passer d’une politique anti-migratoire à une politique migratoire élaborée en lien avec les migrants, au service d’objectifs définis avec eux. Valoriser leur position dans la société française pour renforcer leur statut dans leur pays d’origine, ne pas les exposer à la suspicion permanente d’être clandestin, faciliter leur mobilité en leur accordant des visas permettant les allers-retours.

Renforcer les courants porteurs de l’exigence démocratique dans les pays d’émigration. Accorder à leur gouvernement un droit de regard sur la manière dont leurs ressortissants sont traités (jusque dans nos centres de rétentions où sont entassés, dans des conditions régulièrement dénoncées, les étrangers en attente d’expulsion). Traiter enfin ces États, non en vassaux chargés de contenir les « barbares » au-delà des marches de l’Europe, mais en partenaires égaux dans la définition des objectifs et des moyens du développement.

Joël Thomas
Président du CCFD

Jean-Marie Fardeau
Secrétaire général du CCFD

(1) En finir avec le « co-développement », Jean-François Bayart, Alternatives économiques, avril 2007. Jean-François Bayart est directeur de recherche au Centre d’études des Relations internationales.

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