Le discours décapant du Pape aux mouvements populaires

Publié le 18.11.2014| Mis à jour le 10.09.2021

Du 27 au 29 octobre, le Vatican accueillait la rencontre mondiale des mouvements populaires pour discuter des problèmes de l’exclusion et de la pauvreté dans la société d’aujourd’hui. Le discours final du pape a frappé les esprits par son franc parler et un encouragement sans précédent à la lutte des mouvements populaires

Du 27 au 29 octobre, le Vatican a accueilli pour la première fois une rencontre mondiale des mouvements populaires pour discuter des problèmes de l’exclusion et de la pauvreté dans la société d’aujourd’hui. Pour en parler, ni l’ONU, ni des ONG, mais des représentants de petits paysans, de pêcheurs, de migrants, d’habitants de bidonvilles, de chiffonniers venus du monde entier et de toutes religions. Pour le pape, ils sont les premiers concernés par la pauvreté et c’est en tant qu’acteur qu’il faut les écouter : « Les pauvres ne subissent pas seulement l’injustice mais ils luttent aussi contre elle ! » a-t-il souligné. Au total une centaine de mouvements populaires se sont donc rassemblés pour l’occasion. Parmi eux, au moins quatre représentants des partenaires latino américains du CCFD-Terrre solidaire : Victor Hugo Lopez de Frayba au Mexique, Joel Suarez du Centre Martin Luther King à Cuba, Osvaldo León de Agence Latino Amércaine de l’Information (ALAI), et João Pedro Stedile du Mouvement des Sans terre brésilien. Leurs témoignages sur cette rencontre seront à retrouver dans le numéro de FDM à paraitre en avril 2015. 30 évêques qui ont des liens forts avec le travail social et les mouvements populaires dans leur diocèse y assistaient également. Ainsi que le populaire président bolivien Evo Morales, qui vient d’être réélu pour un troisième mandat à la tête de son pays dès le premier tour. C’est la première fois dans l’histoire de l’Eglise qu’un Pape convoque des leaders de mouvements sociaux à une rencontre de trois jours : « Il est intéressant de noter qu’auparavant, les Papes invitaient et convoquaient des chefs d’entreprise, des banquiers, etc… pour discuter de la conjoncture internationale, de la pauvreté ou de la justice sociale. Or le Pape François, conformément à son option préférentielle pour les pauvres, veut écouter leurs représentants, ce qui marque un changement considérable au niveau des interlocuteurs de l’Eglise catholique. «  note un observateur.

Nous voulons que votre voix soit entendue

« Vous avez les pieds dans la boue et les mains dans la chair. Vous sentez le quartier, le peuple, la lutte ! Nous voulons que votre voix qui en général est peu entendue, soit entendue. Peut-être parce qu’elle dérange, peut-être parce que votre cri gêne, peut-être parce qu’on a peur du changement que vous exigez, mais, sans votre présence, (…)les bonnes propositions et les bons plans dont nous entendons souvent parler dans les conférences internationales restent dans le domaine de l’idée », a commencé le pape dans un style percutant. Les pauvres, rappelle François, « ne se contentent pas de promesses illusoires, d’excuses ou d’alibis. Ils n’attendent pas non plus, les bras croisés, l’aide des ONG, des plans d’aide ou des solutions qui ne viennent jamais ou, si elles viennent, arrivent de telle façon qu’elles vont dans un sens qui est d’anesthésier ou de domestiquer, ce qui est plutôt dangereux. ». Pour le pape, les pauvres ont une expérience particulière à apporter, celle de « cette solidarité très spéciale qui existe entre ceux qui souffrent, entre les pauvres, et que notre civilisation semble avoir oubliée, ou au moins a très envie d’oublier. » Pour le pape, la solidarité, entendue dans son sens le plus profond, « est une manière de faire l’histoire, et c’est cela que font les mouvements populaires. »  Sans misérabilisme, il voit dans ces mouvements « le vent de la promesse qui ravive l’espoir d’un monde meilleur. Mon désir est que ce vent se transforme en un ouragan d’espérance. »

Une terre, un toit, un travail

Le pape n’invite pas seulement les mouvements populaires pour les écouter, mais aussi, pour trouver des moyens par lesquels ces mouvements peuvent unir leurs efforts et coordonner leurs luttes pour la justice. Pour lui cette rencontre correspond à la recherche de ce que n’importe quel parent voudrait pour ses enfants : une terre, un toit et un travail. « C’est étrange, mais si j’en parle, certains disent que le Pape est communiste. » ironise-t-il. « Ils ne comprennent pas que l’amour des pauvres est au cœur de l’Evangile. Une terre, un toit et un travail, ce pour quoi vous luttez, sont des droits sacrés. Exiger cela n’est pas du tout étrange, c’est la doctrine sociale de l’Eglise. » défend-il. Non seulement le pape dénonce l’accaparement des terres, la déforestation, l’appropriation de l’eau, les pesticides inadéquats, qui arrachent l’homme à sa terre natale. Mais aussi la spéculation financière « qui conditionne le prix des aliments, en les traitant comme n’importe quelle marchandise, et font que des millions de personnes souffrent et meurent de faim. Par ailleurs, des tonnes de nourriture sont jetées. Ceci est un véritable scandale. La faim est un crime, l’alimentation est un droit inaliénable. » scande-t-il avec une conviction dans laquelle ne manqueront pas de se retrouver tous les militants du CCFD-Terre Solidaire.

La culture du déchet

Refusant tout fatalisme, le pape fustige la société de consommation et sa « culture du déchet » qui sont aussi des choix économiques. « Le chômage des jeunes, le travail informel et le manque de droits des travailleurs ne sont pas inévitables, ils résultent d’une option sociale antérieure, d’un système économique qui place le profit au-dessus de l’homme ; si le profit est économique, le mettre au-dessus de l’humanité ou au-dessus de l’homme, c’est l’effet d’une culture du déchet qui considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qui peut être utilisé et ensuite jeté ». Le pape interroge nos modes de vie et notre urbanité : « Nous vivons dans des villes qui construisent des tours, des centres commerciaux, s’engagent dans des affaires immobilières, mais qui abandonnent une partie d’elles-mêmes en marge, dans les périphéries. » Jusqu’à se faire prophète, car « lorsque la personne est déplacée et qu’arrive à sa place le dieu de l’argent, il y a cette inversion des valeurs.  »

A venir, une encyclique prometteuse sur l’écologie

Remerciant Via Campesina pour sa contribution en vue de son encyclique sur l’écologie, le pape, se référant à Saint François, évoque la « Terre mère » et la nécessité d’élever la voix pour la défendre. Ses mots sont sans concession pour critiquer « Un système économique centré sur le dieu de l’argent, qui a aussi besoin de saccager la nature pour soutenir le rythme effréné de consommation qui lui est inhérent. Il avertit : « Frères et sœurs : la création n’est pas une propriété, dont nous pouvons disposer selon notre plaisir ; et c’est encore moins la propriété de certains, de quelques-uns. La création est un don, elle est un cadeau, un don merveilleux que Dieu nous a fait pour que nous en prenions soin et l’utilisions. »

Un programme d’action révolutionnaire

Si les propos du pape peuvent paraitre détonants, il rappelle qu’il n’invente rien et puise sa source directement dans les Évangiles et la doctrine sociale de l’Eglise : « Nous, chrétiens, avons quelque chose de très beau, une ligne d’action, un programme, nous pourrions dire révolutionnaire. Je vous recommande vivement de le lire, de lire les Béatitudes qui sont dans le chapitre 5 de Saint Matthieu et 6 de Saint Luc 6 (cf. Matthieu 5, 3 et Luc 6,20) et de lire le passage de Matthieu 25. Je l’ai dit aux jeunes à Rio de Janeiro, avec ces deux choses ils ont le programme d’action. » Alors que les mouvements sociaux suscitent encore la méfiance de beaucoup de catholiques, le pape porte sur eux un regard résolument novateur, et les considère comme une chance pour les démocraties : « Les mouvements populaires expriment le besoin urgent de revitaliser nos démocraties, si souvent détournées par d’innombrables facteurs. Il est impossible d’imaginer un avenir pour la société sans la participation active des grandes majorités et qui dépasse les procédures logiques de la démocratie formelle. La perspective d’un monde de paix et de justice durable nous appelle à surmonter l’assistanat paternaliste ; il exige de nous la création de nouvelles formes de participation qui incluent les mouvements populaires et l’animation des structures gouvernementales locales, nationales et internationales avec ce torrent d’énergie morale qui découle de l’implication des exclus dans la construction d’un destin commun. Et ce, avec un esprit constructif, sans ressentiment, avec amour. » Michel Warschawski, fondateur de l’Alternative Information Center en Israël Palestine, que l’on a plus l’habitude d’entendre sur le conflit israélo-palestinien, avait été surpris par l’invitation, à laquelle il a hésité à se joindre. Au final, il n’a pas regretté le déplacement : « Je l’avoue, c’était passionnant et certainement pas moins intéressant que les nombreux Forums Sociaux Mondiaux auxquels j’ai déjà participé. » Avant de conclure malicieusement :  » Un tournant dans l’Eglise Catholique? Pas certain: il suffisait de regarder les visages de certains des cardinaux présents pendant le discours du Pape, apparemment choqués par la radicalité du chef de l’Eglise. « … Anne-Isabelle Barthélémy Lire le discours du pape aux mouvements populaires Lire la lettre de Michel Warschawski à propos de l’événement

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