Le FSM est terminé, le travail commence

Publié le 15.04.2013

Cette édition tunisienne considérée comme l’une des mieux organisées et les plus réussies de tous les FSM depuis 2001. Pendant une semaine, Tunis a été animée par les quelque 40 000 étrangers venus assister au Forum social mondial du 26 au 30 mars 2013.


Un moment de légèreté et d’optimisme bien venu pour des militants tunisiens confrontés depuis plusieurs mois à la dégradation de la situation sociale dans un climat politique polarisé à l’extrême. Une fois la caravane du FSM repartie, la réalité tunisienne reprend le dessus, et pour les sociétés civiles, le travail commence.

L’objet du FSM est le renforcement de la société civile, la transformation sociale et la création d’un espace démocratique inclusif dans le contexte d’un pays en transition politique et économique, et fortement divisé. Comment ces défis s’appliquent-ils à la réalité tunisienne ?

1 La société civile

La présence des associations tunisiennes au FSM était à l’image du tsunami associatif qui déferle sur le pays depuis deux ans. Plus de mille organisations sur environ 5000 présentes. Toutefois une grande majorité de ces nouvelles ONG ont besoin de renforcer leurs capacités.

Mais le principal défi de la société civile tunisienne, c’est d’abord d’acquérir une véritable force de proposition. Comme le souligne Alaa Talbi, l’un des organisateurs du FSM 2013, directeur de projet au Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).

« Dans cette période, la société civile à un rôle de contre-pouvoir important à jouer. C’est elle qui prend l’initiative de la mobilisation. Les partis politiques n’ont ni la vision, ni la capacité pour le faire.
On l’a vu lors de deux grandes manifestations, le 20 mars 2012 pour défendre le caractère civil de l’Etat dans la Constitution, puis le 13 août pour refuser la notion de complémentarité entre hommes et femmes dans la Constitution.

Mais le problème, notamment lors de cette dernière mobilisation, c’est que les femmes des milieux ruraux et populaires, les femmes de Kasserine ou de Sidi Bouzid, n’étaient pas là et ne se sentaient pas concernées. Avant de parler d’égalité et de conserver les acquis de 1956, il faut bâtir une citoyenneté.

Les victoires de la société civile sont des victoires à court terme, en trompe l’œil. Il ne suffit pas de mettre beaucoup de monde dans la rue pour devenir un contre-pouvoir efficace. La société civile doit élargir sa base au-delà de Tunis. Ce n’est pas non plus dans les séminaires organisés dans les grands hôtels de la capitale que se refait la Tunisie.

Les propositions doivent émerger des réalités du terrain. Il faut avoir une connaissance des dossiers, élaborer des revendications claires pour négocier. Sans alternative crédible, on perdra la rue, la société civile sera cantonnée au rôle de protestataire impuissant.

Mais je reste optimiste parce qu’il y a beaucoup d’associations locales. Le FTDES a formé des sections dans les différentes régions. Il y a aussi des radios associatives qui permettent d’évoquer les réalités locales. »

2. La transition économique et sociale

Le point de départ de la contestation qui a provoqué la chute du régime est d’abord d’ordre économique et social. Ce que les débats autour de la place de la référence islamique et des normes religieuses dans la société ont tendance à occulter.

Lors d’une rencontre avec le Président de la République Moncef Marzouki en marge du FSM, Gustave Massiah (ancien président du CRID) a évoqué l’expérience de l’Amérique latine pour sortir du modèle néo-libéral qu’il détaille en six points :
– Traiter la question de la dette (par exemple en accélérant le remboursement, en annulant, ou passant par un audit)
– Redistribuer le pouvoir d’achat
– Renforcer le rôle social de l’Etat, dans l’éducation, la santé…
– Soutenir les petits agriculteurs, traiter la question foncière
– Contrôler le financement de l’économie
– l’aménagement urbain (transports, sécurité… ) et la planification territoriale
– l’intégration régionale.

Pour l’instant, ce n’est pas l’orientation prise par le gouvernement qui a refusé ne serait-ce qu’un simple audit de la dette, et cherche auprès des financiers arabes une alternative illusoire aux bailleurs de fonds internationaux.
Pour Alaa Talbi, la question économique est sociale est un chantier de longue haleine.

« Nous vivons un processus de transformation sociale depuis le soulèvement du bassin minier en 2008 dont le départ de Ben Ali, en 2011 n’est qu’une étape. C’est un horizon à long terme. Il faut donc avoir du souffle. Ne pas se focaliser sur la question islamiste, ne pas se lamenter sur le « détournement de la révolution ». Nous sommes dans une situation très difficile, mais c’est normal. Le vrai problème, c’est que nous sommes dans la continuité de l’ancien système. Il faudra mener beaucoup de combats pour en sortir.

L’autre problème, c’est que pour l’instant, les populations concernées ont une priorité, c’est l’emploi. Les jeunes aspirent d’abord à être embauchés par exemple à la Compagnie des phosphates, dans le bassin minier, ou dans l’usine de cellulose à Kasserine. Sans envisager de modèle alternatifs, ni les désastres écologiques de ce type d’industries.

Deux ans après le 14 janvier, les associations et les mouvements sociaux sont toujours dans une logique de contestation, sans alternative.
Pour cette raison, nous sommes aussi en train de lancer un observatoire social et écologique. Les observatoires existants jusqu’à maintenant (au Ministère des Affaires sociales et au syndicat UGTT) ne concernent que le monde des salariés. Alors qu’il faut aussi impliquer les femmes paysannes, les chômeurs, les pêcheurs, les artisans… pour élaborer un modèle de développement à partir des réalités locales et des mouvements locaux, tout en prenant en considération la question écologique. »

3. Une démocratie inclusive

En débarquant dans le monde arabe, le FSM a trouvé un paysage politique traversé de problématiques et de clivages déterminés par un passé et une situation nouvelle. Mais pour les organisateurs tunisiens du Forum social mondial à Tunis, il n’était pas question de transformer le FSM en meeting international de l’opposition, mais bien de contribuer à la construction d’une démocratie inclusive. Donc d’y admettre toutes les sensibilités, y compris des organisations islamistes dès lors qu’elles respectent les principes fondamentaux de la charte du FSM : le respect des libertés, la justice sociale et le refus de la domination économique.

« Le Forum est un espace d’échanges, insiste Alaa Talbi. Nous sommes dans une période où il faut créer des espaces de débat et ne pas répondre aux provocations. »
Le temps du FSM est apparu comme une parenthèse dans un climat où le dialogue politique est quasiment rompu. Le chef du bureau politique d’Ennadha, Ameur Laarayedh, invité à un atelier sur l’islam politique à l’épreuve du pouvoir s’est vu critiqué sur les orientations de son gouvernement. Deux jeunes militantes islamistes venues défendre la notion de complémentarité entre hommes et femmes, ont confronté leurs conceptions aux arguments de deux participants congolais leur expliquant qu’on ne pouvait protéger la famille aux prix de discriminations à l’encontre des femmes. Une association d’anciens détenus politiques islamistes a pu faire entendre ses droits à réparation. Les jeunes islamistes ont été plus assidus aux ateliers qu’aux nombreux petits défilés qui animaient régulièrement les allées du Forum et se réjouissaient de pouvoir débattre dans un espace où les tensions politiques internes étaient neutralisées par la présence étrangère.

Un mélange qui n’allait pas sans frictions. Le stand d’une association iranienne venue défendre l’héritage de l’imam Khomeyni et la révolution islamique a fait polémique, mais les organisateurs ont préféré éviter l’incident dans un contexte qui ne manquait pas de pommes de discordes. Le soutien de nombreux participants, notamment tunisiens, à Bachar el Assad qu’ils estiment victimes d’un complot israélo-américain, a été en effet à l’origine d’altercations entre participants. Tout comme la question sahraouie. Un drapeau israélien a également été disposé de façon à être abondamment piétiné.

Mais globalement, les participants tunisiens se félicitaient d’avoir pu débattre dans un climat de respect. Une trêve de courte durée, mais qui aura permis aussi de commencer à désenclaver des sociétés jusque là confinées par les régimes autoritaires.

Thierry Brésillon

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