Le G20 travaille-t-il encore sur les paradis fiscaux ?

Publié le 05.10.2011

2009 : La lutte contre les paradis fiscaux constitue l’une des principales réponses du G20 à la crise et la France prend la tête de cette offensive. 2011 : Contrairement à toute attente, le sujet est à peine audible dans l’agenda de la présidence française du G20 depuis le début de l’année.


Ce que le CCFD-Terre Solidaire attend de la présidence française :
Depuis que le G20 se réunit au niveau des chefs d’État et de gouvernement (novembre 2008), il s’est construit face à la crise financière et s’est affirmé, en particulier, sur le sujet des paradis fiscaux. Impossible pour lui, dans ces conditions, de ne pas en assurer le suivi, même a minima. Même si la légitimité du G20 est contestable, car il s’organise selon un principe d’exclusion de 172 États dans la prise de décisions qui ont des impacts sur tous les pays, il est bien de la responsabilité des principales économies du monde de mettre fin aux trous noirs de la finance. Sa crédibilité comme instance naissante de gouvernance économique mondiale est donc en jeu. Sauf à faire, à peine créé, l’étalage de son impuissance, le G20 devra s’engager en priorité et avec détermination sur deux fronts pour l’heure inexplorés du combat contre les paradis fiscaux :

– Mettre un terme au siphonnage des ressources des pays en développement vers les paradis fiscaux et judiciaires.

– Faire payer l’impôt aux entreprises multinationales là où elles créent de la valeur.

Agenda de travail sous la présidence française

Si du côté français, le gouvernement répète à l’envie que le sujet reste une priorité et que des résultats concrets sont attendus à l’occasion du sommet des chefs d’États des 3 et 4 novembre prochain, force est de constater que les rangs de la lutte contre les paradis fiscaux au sein du G20 se sont éclaircis. Et les alliés de 2009, notamment l’Allemagne et les États-Unis semblent aujourd’hui concentrer leur attention sur d’autres sujets ou préférer des mesures unilatérales ou bilatérales. Ce qui expliquerait la difficulté pour la présidence française de faire franchir au G20 de nouvelles étapes pour réduire l’opacité financière.

Au-delà du suivi des engagements passés, les rares avancées se font dans l’ombre, au niveau de groupes de travail techniques. Dans ces conditions, impossible pour la présidence française de mobiliser le capital politique nécessaire pour obtenir des changements et renforcer la stratégie des pays du G20 en ne ciblant plus seulement les pays et territoires opaques mais également leurs principaux utilisateurs.

Ainsi pas de mention directe des paradis fiscaux dans les 6 priorités rendues publiques par la France au début de l’année 2011, malgré de nouvelles annonces de Nicolas Sarkozy en décembre 2010 à l’égard des paradis fiscaux blanchis trop vite, qui laissaient présager du contraire.

Finalement, les discussions les plus riches concernant l’évasion fiscale et l’opacité financière ont eu lieu au sein du groupe de travail développement. Preuve supplémentaire de l’aveuglement ou de la suffisance des pays du Nord qui ne se considèrent pas eux-mêmes victimes des mêmes pratiques ? Un comble à l’heure où la crise de la dette s’installe en Europe et aux États-Unis.

Il est certain que dans les pays du Sud l’évasion fiscale pose des défis bien plus graves et urgents à résoudre. Dans un contexte de pénurie de financements publics, les conséquences du manque à gagner en recettes fiscales se comptent en vies humaines. Et les pays en développement se retrouvent particulièrement isolés et démunis dans le bras de fer qui les oppose aux paradis fiscaux et aux entreprises multinationales.
Mais les pays riches ne sont pas épargnés non plus : on parle de 100 milliards de dollars rien que pour la fraude fiscale aux USA et 250 milliards pour l’Europe. Sans accord sur ce diagnostic préalable complet et sans compréhension des intérêts respectifs partagés, comment obtenir la promotion de nouvelles règles de transparence qui seraient exigées des entreprises multinationales ?

Le G20 est-il capable d’aller plus loin ?

On a des raisons d’en douter :

– Le G7-G8 s’était jusqu’alors emparé du sujet de façon cyclique. Tous les dix ans, la pression semble monter, avant que le soufflet ne retombe (voir question 1). Certains observateurs voient dans les paradis fiscaux un sujet brandi pour faire diversion. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?

– Le fait que le G20 ait fermé les yeux en avril 2009 devant ces enjeux majeurs de régulation économique et de financement du développement, préférant centrer son attention sur les territoires, ne doit rien au hasard. Les entreprises multinationales, les grandes banques et les riches particuliers savent faire entendre leurs intérêts auprès de la plupart des leaders du G20 – dans les pays occidentaux comme dans les pays émergents.

– Certains États, à l’instar du Royaume-Uni qui doit une part de sa prospérité à l’envergure de la place financière londonienne, avancent à reculons sur la question.

– Malgré les annonces de Nicolas Sarkozy en décembre 2010, la France n’a pas retenu le sujet au rang de ses priorités. Était-ce le signe d’une disparition progressive du sujet de l’agenda du G20 ?

– Les accords Rubik* que le Royaume-Uni et l’Allemagne ont signés avec la Suisse portent un coup fatal aux efforts de coopération internationaux et européens dans la lutte contre les paradis fiscaux.

– Les récentes avancées les plus marquantes telles que FATCA* ou Dodd-Frank* sont le fruit d’efforts unilatéraux de la part des États-Unis, qui ne semblent d’ailleurs même pas pousser vraiment pour que ces solutions efficaces soient reprises par les États du G20. Serait-ce un constat d’échec de la dynamique collective ?

– Le Mexique qui assurera la prochaine présidence du G20, n’est pas très engagé sur l’évasion fiscale et l’opacité financière. En l’absence d’un calendrier de travail clair pour l’année à venir, le sujet pourrait tomber encore un peu plus aux oubliettes.

Pourtant, il y a aussi des raisons de penser que le G20 n’en restera pas là :

– L’exaspération des opinions publiques face aux conséquences de la crise financière et aux inégalités est loin de s’être estompée, et nombreux sont ceux qui aspirent à revenir à une certaine vérité de l’économie, non seulement dans la finance mais aussi dans les rémunérations et les comptes des entreprises. Et cela ne peut pas aller en diminuant.

– En cette période budgétaire très délicate, les pays riches ont besoin plus que jamais de renflouer les caisses de l’État et certains éprouvent des difficultés à tenir leurs engagements d’aide au développement. Combattre l’évasion fiscale des multinationales, y compris dans les pays en développement, pourrait être perçu comme une réponse à ces deux défis.

– L’Union européenne monte en puissance sur ces sujets : après avoir multiplié les rapports d’initiative sur le reporting pays par pays*, le Parlement européen a obtenu de la Commission qu’elle ouvre le débat sur la question. Cette démarche devrait aboutir à des propositions concrètes de législation cet automne. Reste à savoir comment réagiront les pays membres alors que les anciens champions de la lutte contre l’évasion fiscale semblent avoir aujourd’hui d’autres préoccupations.

– Certaines idées gagnent du terrain, dont notre proposition de reporting pays par pays pour lutter contre l’évasion fiscale. Même si les mentions qui y sont faites dans les rapports officiels restent timides, c’est déjà implicitement la reconnaissance de la responsabilité des utilisateurs des paradis fiscaux.

– Parmi les pays émergents l’Argentine, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud ont clairement engagé leur administration dans le combat contre la fraude et l’évasion fiscales afin de financer leurs politiques publiques, et exprimé leur volonté de lutter fermement contre les paradis fiscaux et la manipulation des prix de transfert*.

– en reconnaissant dans leur déclaration finale l’enjeu que représente le respect des
règles fiscales par les entreprises multinationales et l’importance d’exiger d’elles plus
de transparence, les États du G20 à Cannes pourraient mandater les organisations
internationales pour amorcer un programme de travail plus ambitieux notamment sur le problème de l’évasion fiscale des entreprises (au moins dans les pays du Sud). Ce qui constituerait une grande victoire !

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