Le monde arabe, nouveau territoire du FSM

Publié le 10.10.2013| Mis à jour le 08.12.2021

Jamais la Tunisie n’avait accueilli un événement démocratique international d’une telle ampleur. Ce Forum social mondial a permis notamment de réunir des ONG de tous les pays arabes et de rejoindre de nouvelles formes de mobilisation, issues des mouvements des indignés.


« Revigorant », « l’un des trois meilleurs FSM qui aient eu lieu »… L’édition tunisienne de ce Forum social mondial semble celle des superlatifs. « La plus forte proportion d’organisations locales avec plus d’un millier d’associations tunisiennes sur environ cinq mille représentées », souligne Alaa Talbi, l’un des membres du comité d’organisation du Forum. « Un événement de portée historique avec la réunion inédite d’ONG de tous les pays arabes », ajoute Gus Massiah, l’une des grandes figures de l’altermondialisme français.

Et pourtant, on revenait de loin. Début février, la Tunisie plongeait dans une crise politique majeure avec l’assassinat d’un leader d’extrême gauche, Chokri Belaïd, qui menaçait de tourner au tragique. De plus, les agissements de groupuscules salafistes entretiennent depuis des mois un climat de tension. Finalement, cette édition s’est déroulée sans heurts démontrant que la Tunisie pouvait accueillir un événement démocratique de portée internationale.

De nouveaux réseaux sur l’environnement, le droit des migrants

Au-delà de l’organisation et de la participation, il faut détailler ce bilan jugé unanimement positif. Pour le processus du Forum social lui-même, Chico Whitaker, l’un de ses concepteurs brésiliens évoque « une injection d’espoir et d’énergie ». Pour la première fois depuis sa création à Porto Alegre en 2001, un Espace climat a été ouvert et conformément à la vocation du Forum, des coalitions sont nées, autour de l’énergie nucléaire, un réseau international sur les droits des migrants…

L’un des enjeux était de rejoindre les nouvelles formes de mobilisation : le mouvement des Indignés en Europe, puis celui des Occupy à New York, ou du « Printemps érable » au Québec… Ces mouvements informels, et pour cette raison un peu insaisissables, étaient largement représentés.

« Tenir le Forum à Tunis a permis de ramener dans le processus les acteurs arabes et amazigh [berbères, ndlr] et des problématiques qui étaient jusque-là marginalisées
», relève Kamal Lahbib, coordinateur marocain du Forum social maghrébin. Pour lui, cet événement est une consécration, le Maroc a en effet été l’initiateur de la dynamique des forums maghrébins, notamment avec l’organisation de deux forums nationaux en 2002, puis en 2004 à Monastir sur « le coût social de la mondialisation ». Mais le contexte des régimes autoritaires et des dictatures avait cantonné l’essentiel des activités au Maroc. La transition démocratique a permis une large présence d’organisations arabes, apportant un sang frais dans le processus. (Une partie de la délégation algérienne a néanmoins été empêchée de quitter son territoire.)

La difficile émergence de dynamiques régionales

En revanche, et c’est l’un des bémols dans ce concert de louanges, la dimension maghrébine bute encore sur des obstacles de taille. Le conflit du Sahara occidental tout d’abord, dont la revendication indépendantiste provoque la colère des Marocains, notamment celle des membres d’organisations légitimistes. Même si, à la différence des éditions de Bamako et de Dakar, le différend n’a pas tourné à l’incident, le sujet continue d’empoisonner le débat régional.

Kamal Lahbib mentionne également la tension persistante entre le Maroc et l’Algérie, les désaccords politiques entre Algériens, le caractère encore très marqué par le tribalisme de la société libyenne… pour expliquer la difficulté de faire émerger des dynamiques régionales.

À cela s’est ajouté le clivage profond autour du conflit syrien. Une partie non négligeable des milieux progressistes maghrébins, et notamment tunisiens, soutiennent Bachar el Assad, par réaction à ce qu’ils estiment être un « complot de l’impérialisme américain » pour affaiblir un soutien de la cause palestinienne. Des incidents ont éclaté à plusieurs reprises.

Une forte participation des jeunes

Il est encore un peu tôt pour évaluer la profondeur de l’impact du FSM sur la Tunisie, mais les organisateurs soulignent la forte participation de jeunes, notamment de ceux qui ont pris part à la Révolution. Le comité d’organisation est allé dans les régions défavorisées à Kasserine, dans le bassin minier de Gafsa, pour les mobiliser. Avec l’appui du ministre de l’Éducation nationale, des séances d’information sur le FSM ont été dispensées par les enseignants dans tous les établissements secondaires du pays.

L’autre enjeu national était de renforcer la construction d’un espace de débat démocratique inclusif. Donc, d’ouvrir le FSM à toutes les sensibilités, y compris islamistes. « Il n’était pas dans notre intérêt d’organiser un meeting international contre le gouvernement, insiste Abderrahmane Hedhili, coordinateur du comité d’organisation. Nous ne pouvons pas bâtir une démocratie en excluant une partie de la société. » Un choix qui n’a pas été simple dans le contexte très polarisé de la Tunisie. « À partir du moment où ils respectent la charte du FSM, il n’y a aucune raison de les exclure », précise Gus Massiah.

S’ils ont été assidus aux séances de travail, les participants islamistes n’ont qu’une réflexion embryonnaire sur les sujets clés du FSM, la crise financière, les enjeux écologiques… Ils avancent la certitude que l’islam préconise la justice sociale, mais qu’il faut encore des recherches pour qu’il puisse répondre aux défi s contemporains. Les anciens prisonniers politiques islamistes ont, quant à eux, manifesté pour la reconnaissance de leurs droits à réparation. Les jeunes femmes ont, elles, participé massivement aux ateliers sur les droits des femmes pour y faire entendre leur conception du féminisme. « Pour la première fois, nous pouvons nous exprimer sans le filtre des médias et dans un climat apaisé », se réjouit Khaoula, une jeune journaliste.

On saura dans les prochains mois si les acteurs tunisiens pourront recentrer le débat sur les enjeux économiques, sociaux et écologiques de la transition démocratique. En attendant, le FSM a fait régner à Tunis une atmosphère de légèreté et de bonne humeur que nombre de militants avaient perdu depuis des mois. Ce n’est pas le moindre des acquis.

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