Le quotidien de Gaza raconté en hébreu par deux passeurs d’humanité
Imaginé par deux jeunes journalistes, le palestinien Ahmed Al-Naouq et l’israélien Yuval Abraham, le site Internet We beyond the wall traduit en hébreu des vies de Gazaouis. Quand plus aucun contact n’est possible avec les habitants de Gaza, leurs récits franchissent mur, blocus, et barrière de la langue dans l’espoir de remettre de l’humanité face à l’inhumanité.
Depuis un an et demi, Yuval, un journaliste israélien de 25 ans, et Ahmed, un journaliste palestinien du même âge, ont décidé de raconter la vie des hommes et des femmes de Gaza aux Israéliens.
Leur projet – « We beyond the wall » (nous, au-delà du mur) – traduit d’arabe en hébreu des récits du quotidien des habitants de la bande de Gaza.
Ces articles sont disponibles sur le site Internet border gone (frontière disparue).
Grâce à leur travail et au web, des centaines de milliers de visiteurs israéliens découvrent ainsi les vies de leurs voisins. Une initiative qui peut paraitre simple mais qui est en réalité extraordinaire dans le contexte israélo-palestinien.
« C’est essentiel pour gagner la paix, car les Israéliens n’ont pas d’outils pour comprendre. Les habitants de Gaza sont vus comme des terroristes, les rares fois où l’on en parle dans les médias. Le quotidien de ces habitants n’est pas abordé. Quand on est Israélien, il est facile d’ignorer Gaza » constate Yuval Abraham.
« L’idée était de faire connaître au monde nos vies »
Ce projet est né d’une tragédie.
En 2014, à Gaza, où il vit, Ahmed Al-Naouq voit l’un de ses frères mourir pendant la guerre avec Israël.
Ce jeune étudiant en littérature britannique raconte alors la vie et la mort de ce frère sur le web.
Cette histoire, écrite en anglais, devient virale.
Ahmed décide de poursuivre l’aventure en construisant le projet « We are not numbers » (nous ne sommes pas des numéros.)
Ahmed raconte : « L’idée était de faire connaître au monde nos vies. Dans leurs quotidiens. Ce n’était pas un message politique que nous voulions transmettre. Simplement un message d’humanité, écrit en anglais ».
En 2019, de l’autre côté du mur, le journaliste Yuval Abraham doit enquêter sur l’état d’esprit des Gazaouis avant les élections en Israël.
Il a lu les portraits d’Ahmed et le contacte par téléphone. Yuval n’a pas l’autorisation de se rendre à Gaza et Ahmed ne peut entrer en Israël.
Ensemble, comme une évidence, ils font naître ce nouveau projet commun « We beyond the wall. »
200 traducteurs volontaires de l’arabe à l’hébreu
Aujourd’hui, la production de contenus pour le site est assurée par une équipe de sept salariés palestiniens et israéliens.
Les histoires de Gaza sont traduites de l’arabe en hébreu par plus de 200 volontaires, Israéliens et Palestiniens citoyens d’Israël.
Elles permettent aux 100 000 visiteurs mensuels israéliens du site border gone.com et aux 8000 followers de la page Facebook de s’informer en hébreu sur la situation à Gaza.
La motivation de Yuval est de faire ainsi pression sur le gouvernement israélien pour « qu’il stoppe son siège. Il contrôle tout à Gaza, l’air comme l’eau. Cet endroit est une prison et cela crée de la violence à côté de chez nous. »
Ce qui l’a surpris dans ce travail en commun – – c’est « combien les jeunes de Gaza sont connectés au reste du monde. J’ai aussi découvert leur extraordinaire sens de l’humour. »
Yuval a commencé à apprendre l’arabe à l’université il y a cinq ans. « Pour être un meilleur journaliste ».
Et sans doute, pour revenir à son histoire familiale. Ses grands-parents étaient membres de la diaspora juive du Yémen et de Libye. « Ils comprenaient l’arabe, mais ma mère a tout oublié pour construire ses racines israéliennes. »
Yuval estime que « 1% des Israéliens parlent l’arabe. Ce sont souvent des militaires qui le pratiquent pour des raisons de sécurité nationale. »
Amplifier la voix des Palestiniens
Pour Ahmed, il s’agit, avec « We beyond the wall » de « mieux se connaître entre voisins, d’amplifier la voix des Palestiniens. »
Mais pas de commencer un dialogue entre Israéliens et Palestiniens. « On ne peut pas avoir un dialogue, quand l’un des deux participants est considéré comme un citoyen de seconde classe. »
Il en appelle aux politiques pour qu’ils aillent vers la seule solution possible à ses yeux, « celle d’un unique Etat, regroupant Palestiniens et Israéliens, sans l’apartheid que nous vivons aujourd’hui. Suivre ainsi le même chemin emprunté naguère par l’Afrique du Sud. »
Aujourd’hui ni Yuval, ni même Ahmed, ne peuvent se rendre à Gaza
Pour l’instant, Ahmed est dans la même situation que Yuval. Il ne peut fouler le sol de Gaza.
Il est bloqué à Londres.
En 2019, l’étudiant de Gaza a décroché une Bourse Chevening qui lui a permis de suivre un master en journalisme à l’université de Leeds.
Mais, depuis, Ahmed ne peut plus rentrer à Gaza et revoir ses huit frères et sœurs, tous restés dans leur bande de terre enfermée.
« J’étais piégé à Gaza. Maintenant, je suis piégé à Londres. Je n’ai pas pu y retourner quand notre mère est morte l’an dernier. »
Pierre Cochez
Retrouvez d’autres portraits et décryptages dans notre dossier Artisanes et artisans de paix
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