Le sens du don : partager ce que l’on a, ce que l’on est

Publié le 01.02.2007

Donner est un acte essentiel, une sortie de soi indispensable à notre vie. Que serait la vie sans don ? Celui qui donne, même peu de chose, se préoccupe des besoins de l’autre et place la dignité de la vie de chaque être humain au plus haut niveau.

Pourquoi donner ?

Désir de partage ? Solidarité ? Nécessité ? Évidence ? Honte des écarts entre riches et pauvres ? Culpabilité ? Indignation ? Pitié ? Quoi qu’il en soit de tous ces sentiments mêlés qui peuvent nous habiter, donner et recevoir, partager, échanger, sont des actes difficiles à vivre que l’on soit du côté de celui qui donne ou de celui qui reçoit.

Dans les sociétés traditionnelles, le don est signe d’alliance, de paix, ou de pouvoir. Les richesses sont, grâce au don, assez bien réparties et distribuées. Le don est un facteur d’équilibre social mais il peut être aussi une humiliation, devenir source de conflit et entraîner de la dépendance s’il y a dette.

La première approche du don prend souvent la forme d’une pièce donnée au mendiant dans le métro ou dans la rue : c’est un geste de compassion ou d’émotion, sans avenir, sans relation, qui ne prétend rien changer, et ne poursuit aucune efficacité particulière. Engagement individuel, rencontre fugitive, regards qui se croisent, on ne se reverra jamais… Parfois une relation s’installe, on passe devant la même personne tous les dimanches à la sortie de l’église, ou tous les jours en allant travailler.

Dans le meilleur des cas on finit par faire un peu connaissance comme avec son voisin. L’aumône devient une « manière de parler » et de se reconnaître de la même humanité… La solidarité nous fait quitter la mentalité d’assistance pour entrer dans un esprit de justice, d’équité, de réciprocité, de partenariat et de fraternité. Dans l’acte de solidarité, chacun reçoit et donne à la fois. Le donateur se met en position de recevoir et d’apprendre des autres, il perd peu à peu de sa suffisance de riche. Le geste du don n’est plus un acte condescendant mais il devient un geste d’égal à égal, une solidarité quasi familiale.

Comment donner ?

Dans ses travaux, l’anthropologue Alain Caillé explique que le don devrait être proportionnel à la demande et conforme aux possibilités du donateur. Il parle de l’inconditionnalité conditionnelle. Dans le cas contraire il serait possible de refuser de donner ou de recevoir…

S’il y a obligation de donner (inconditionnalité), il y a aussi des règles de proportionnalité à respecter : le don doit être proportionnel à la demande. Il faut donc entrer en relation et en confiance. Prendre le temps d’une relation vraie… Prendre le temps de connaître l’autre en lui posant la question : qui es-tu ? Donner de l’argent peut devenir une solution de facilité. Parfois, mieux vaudrait parler, donner de bonnes adresses, offrir un réseau de solidarité…

Par définition un don est gratuit : que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite !, et en même temps on s’interroge sur les conditions dans lesquelles il serait possible ou non de donner, on parle de liens entre partenaires, de suivi et d’évaluation de projets, de responsabilités mutuelles. On se demande aussi combien de temps, encore, les uns vont-ils donner et les autres continuer de recevoir ?

Donner, c’est inventer, le ton juste et trouver le moment opportun. C’est prendre le temps de la rencontre, du dialogue, pour connaître quel est le vrai besoin des personnes. Ce qui les fera le plus grandir. Donner n’est pas une solution durable, il faudra aussi chercher dès le départ comment avancer vers une plus grande autonomie des personnes et des groupes. La dynamique de la relation doit absolument y conduire.

Nous faisons bien souvent l’expérience que donner de l’argent est plus facile que d’entrer en relation… Pour entrer dans une démarche humanisante il faudra que celui qui donne se prépare à partager davantage encore : son pouvoir, son savoir, son temps, ses relations, son honneur…

Et découvrir ainsi le goût de se donner lui-même en se tenant de manière désintéressée aux côtés de celui qui souffre, en donnant maintenant de ses propres forces pour que l’autre puisse vivre et grandir.

Donner de l’argent ne suffit pas ! Il faudrait aussi que justice soit rendue. Le don ne peut se passer de la justice à rendre, pas plus d’ailleurs qu’il ne doit excuser les paresses humaines. Travailler sur les causes structurelles de la pauvreté est une démarche collective et politique qui s’impose souvent.

À qui donner ?

Viser l’autonomie de gestion et de décision des personnes que l’on veut aider est notre objectif au CCFD, et pour cela nous travaillons avec des associations locales plutôt qu’avec des individus isolés. Cela permet de déployer les forces les plus adaptées pour créer, inventer et initier un développement durable. Cette vision nous provoque à entrer en relation de « partenariat » qui implique la disparition progressive de la relation « donateur- bénéficiaire » pour y substituer une logique d’échange.

Ainsi, l’aide n’est plus seulement transfert d’argent, elle peut devenir amitié confiante, féconde et durable. Cet échange de don peut ainsi se faire sans pression, sans obligation de retour. Un échange qui n’est pas réciprocité du « donnant-donnant ». Échange de veut dire que celui qui a donné ne reçoit pas nécessairement l’équivalent, il reçoit autre chose, autrement… C’est donc en définitive le financeur qui porte la responsabilité de ce partenariat au-delà des personnes. Responsabilité qui lui impose de donner avec justice et d’être en mesure de rendre compte de ses choix.

Ainsi, il pourra arriver que, dans certaines circonstances nous trouvions préférable et sage de renoncer purement et simplement à donner, tout comme il pourrait être préférable de refuser de recevoir un don : si le don ne correspond pas à de réels besoins ; si le don oblige (pousse) à improviser une action ; si le don épuise plus qu’il ne met en route ; si le don est déconnecté de toute relation ; si le don est contraignant, aliénant ou humiliant.

Quant au donateur, qui ne sera probablement jamais en relation directe avec le destinataire du don, il n’est pas sans responsabilité. Donner son argent ne le dispense pas de s’intéresser à son tour à la manière dont le financeur va accomplir sa mission : selon quelle politique ? quelles orientations ? quelles priorités ? quelle cohérence d’action ? quel partenariat ?

Finalement, la solidité du lien qui unit les hommes entre eux dans leur vie quotidienne, l’obligation morale qui incite chacun à être responsable de lui-même et des autres, la joie engendrée par l’échange et le partage, le plaisir d’être utile font de la solidarité la manifestation concrète de la fraternité humaine. Il est difficile d’échapper aux exigences de cette fraternité comme il est difficile de vivre sans amour. Cette double exigence donne corps à la notion de solidarité conçue comme acte de raison et comme acte d’amour.

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