Les Evêques du Guatemala expriment leur solidarité avec le mouvement populaire
Depuis deux mois, les scandales de corruption se multiplient : hauts fonctionnaires soupçonnés de fraudes et autres scandales. Des milliers de personnes manifestent pour dénoncer et réclamer la démission du président Otto Perez Molina.
Communiqué de la Conférence Episcopale du Guatemala
Guatemala, 3 juin 2015
1.Nous les Évêques du Guatemala, unis à la clameur populaire « Ça suffit ! Nous voulons un Guatemala différent ! » y ajoutons notre parole dans cette conjoncture historique que traverse notre pays, définie par 2 facteurs : la découverte de la corruption organisée dans des administrations qui a mis en crise l’Etat, et l’horizon électoral, qui définit des temps et des délais constitutionnels, sans que se profilent d’options politiques capables de conduire à la consolidation de la démocratie participative et de l’Etat de droit. Pendant ce temps, l’échéance des élections prévues le 6 septembre se rapproche, où seront choisis le Président, le Vice-Président, les députés du Congrès et du Parlacen (NDT : Parlement d’Amérique centrale), ainsi que les maires et conseils municipaux dans tout le pays.
2.Les premiers processus électoraux de l’époque démocratique étaient marqués par l’existence de quelques partis politiques historiques, avec des principes propres, et une capacité de mobilisation de larges secteurs de l’électorat. Au fil du temps, le système démocratique guatémaltèque s’est profondément détérioré. Les partis politiques apparaissent et disparaissent après de brèves périodes, et se caractérisent plus par la personnalité de ceux qui les organisent et moins par les propositions politiques qui les inspirent, le clientélisme fait partie de leur nature propre, la fidélité de ses militants est minime comme nous pouvons le voir par le nombre chaque fois plus important de transfuges, députés et maires. Les partis manquent d’une base idéologique solide et cohérente avec la réalité pluriculturelle du pays, et de propositions sérieuses, viables et intégrales, qui garantissent la gouvernance et la solution aux problèmes structurels que nous affrontons. Chaque jour s’élargit la brèche entre la citoyenneté et les partis politiques, qui ont cessé depuis longtemps d’être des interlocuteurs légitimes pour la population. Chaque jour croit le scepticisme à leur encontre, car ils font des promesses non tenues, ne montrent pas de transparence dans la gestion de leurs fonds et créent des suspicions sur l’origine illicite de ces financements.
3.Ces caractéristiques de notre système politique ont généré un désenchantement croissant au sein de la population, qui croit de moins en moins aux partis, en leurs leaders, dont le comportement a créé une mentalité où la participation politique serait comme le jeu de la « piñata » : un coup de chance, au hasard, quelques bonbons tombent, et on n’espère guère plus des partis. Cette mentalité montre également la facilité à tromper et à être trompé dans notre pays.
4.Les élections, dont la convocation a déjà été publiée pour remplir les exigences constitutionnelles, ne doivent pas être retardées, sinon cela signifierait rompre l’ordre constitutionnel. Cependant, ces élections auront lieu en pleine crise généralisée, apparue en raison de la découverte de l’énorme fraude fiscale au sein de la Super intendance de l’administration fiscale, dans laquelle ont été mises au jour de claires complicités avec des fonctionnaires du gouvernement, des employés syndiqués des douanes, et avec des entrepreneurs qui recourraient à la corruption pour faciliter l’importation et l’exportation de produits. Après cette crise initiale ont suivi de nouvelles découvertes de corruption multimillionnaire : le contrat pour le « nettoyage » du Lac Amatitlan et le contrat avec l’entreprise pharmaceutique Pisa qui ont, non seulement, signifié des faits de corruption et l’arrestation de personnages importants, mais ont aussi entraîné des dégâts irréparables, allant jusqu’à la mort de malades rénaux graves et soignés de façon frauduleuse. Ceci ne représente qu’une goutte dans l’océan de corruption et d’impunité que nous étouffe, ce tableau représente un péché social immense qui en appelle au Ciel.
5.Les faits mettent en évidence la saleté de la corruption que l’Etat guatémaltèque est devenu et constitue le comble du culot, ce qui a provoqué des manifestations de masse qui expriment l’indignation et la colère de grandes quantités de citoyens, qui peut représenter une fenêtre pour l’espérance, mais aussi un risque d’entrer dans des processus chaotiques et troublés, si on ne répond pas de toute urgence aux demandes légitimes qui sont exprimées dans les rues et sur les places de notre patrie.
6.Les mobilisations suivent, et en elles nous découvrons autant l’authentique indignation populaire face à tant de corruption et de vols que les agendas de groupes variés, qui veulent pêcher dans les eaux tourmentées de la corruption actuelle, et qui avancent des propositions d’importance diverse, et avec des biais qui montrent des velléités pas toujours réalisables et garants du bien commun.
7.Le processus électoral est important mais il est aussi évident que l’incapacité – que ce soit par inaptitude ou malice – du Congrès de la République pour changer la Loi Electorale et des Partis Politiques fait que les citoyens doivent faire face à des élections dans lesquelles pas grand-chose de la situation ne change, voire même devient pire. Ce que nous avons vu et entendu jusqu’à présent ressemble plus à un ravalement, des messages sans substance et plus de maquillage pour le grand marché électoral.
8.Nous devons renforcer la démocratie existante pour la rendre plus expressive de la défense du bien commun et de la promotion de la dignité humaine, qui garantit le règne de la loi pour tous les secteurs sans discrimination. Nous avons besoin que le processus se réalise avec de nouvelles règles, et les plus urgentes doivent être approuvées immédiatement pour qu’elles fassent effet dans les prochaines élections ; il est urgent que des personnes intègres et honnêtes participent comme telles dans la gestion de l’Etat à tous ses niveaux et institutions. Nous avons besoin de citoyens et de fonctionnaires honnêtes, avec une conscience éthique et le sens de la responsabilité morale dans la gestion des affaires publiques et privées.
9.Participer aux élections est important pour tous, sachant que les marges de manœuvre que nous pouvons choisir sont insuffisantes. Dans la majorité des cas, il faudra choisir non pas le meilleur mais le moins mauvais. Nous demandons aux citoyens responsables de poursuivre la pression sur le Congrès de la République pour qu’il fasse les changements attendus dans la Loi électorale et les partis politiques. Le Congrès actuel, comme le prochain, devront redéfinir leur ordre du jour pour établir des mécanismes de réforme de leurs mandats et de la normativité institutionnelle du pays.
10.Nous ne pouvons oublier que dans notre pays la moitié des enfants vit en état de dénutrition chronique, les jeunes voient qu’on leur nie un futur digne, plus de la moitié de la population vit en situation de pauvreté, le flux migratoire ne cesse pas, sept travailleurs sur 10 travaillent dans le secteur informel, la violence s’exprime dans tous les secteurs et le crime organisé est très probablement le plus grand employeur du pays.
11.Face à ce panorama, nous voulons crier aussi avec indignation : ça suffit ! Nous devons rompre le cycle de corruption, d’impunité et de conflit pour nous proposer d’être un Guatemala distinct, qui n’a pas peur de la vérité mais qui ne cherche pas non plus à imposer comme absolues des vérités partiales, qui promeut la justice et le droit, qui rompt avec les cycles d’exclusion et qui ne mette pas en place de nouvelles discriminations pour corriger les précédentes et perpétuer la conflit. C’est le moment d’ouvrir grand les yeux, de raisonner avec clarté, pour réaliser une élection responsable et consciente. C’est le moment d’exiger des candidats, vérité, transparence et honnêteté.
12.Nous voulons un Guatemala différent, et nous nous engageons pour que la vérité de l’Evangile, celle qui libère intégralement, soit notre plus grande contribution au changement social et éthique dont nous avons besoin en tant que pays.
Rodolfo Valenzuela Nuñez, Evêque du Diocèse de Verapaz, Président de la CEG
Domingo Buezo Leiva, Evêque du Vicariat Apostolique d’Izabal, Secrétaire général de la CEG
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