Les mouvements sociaux africains
Les récentes affirmations de l’avocat français Robert Bourgi révélant avoir livré – à la demande de Présidents africains – des sommes d’argents importantes à plusieurs responsables politiques français, remettent en lumière l’impérieuse nécessité de rénover et assainir les relations franco-africaines. Depuis plusieurs années, le CCFD-Terre Solidaire, avec d’autres organisations françaises mais aussi africaines appellent à un renouveau dans les relations entre la France et l’Afrique. Le CCFD-Terre Solidaire demande aux autorités françaises qu’une politique de la France en Afrique véritablement responsable et transparente soit mise en œuvre.
Coïncidant avec l’apparition de nouvelles formes de militantisme au début des années 2000 en Europe (comme la création en 1998 en France de L’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC) un changement s’est opéré à la même période dans la manière dont les associations africaines ont abordé les enjeux politiques de développement et dans la façon dont les alliances entre acteurs africains ont évolué. Les mobilisations internationales contre les Institutions Financières Internationales de la fin des années 90 (comme Seattle en nov. 1999), les enjeux de taxations financières soulevés par ATTAC, les campagnes pour l’annulation de la dette (Jubilee 2000), le processus du Forum Social Mondial (FSM) démarré en 2001 et la campagne « Publiez ce que vous payez » ont agi en toile de fond comme une onde de transformation des pratiques d’engagement du milieu associatif africain qui se propage – lentement mais sûrement – depuis une décennie. Ce processus FSM et ces campagnes internationales ont motivé l’engagement de militants africains sur des sujets complexes et jusqu’alors peu abordés comme ceux liés à la gouvernance économique et politique. Mais ils ont surtout permis une créativité dans les alliances Sud-Sud et Nord- Sud. Les acteurs associatifs sont sortis de leurs familles habituelles pour aller vers d’autres. L’alliance initialement perçue comme facteur de coordination et de mutualisation de moyens est devenue une alliance pluri-acteurs avec une force de mobilisation sociale sans précédent. Ce bouillonnement mondial du début des années 2000 a été sans aucun doute inspirateur des mobilisations africaines comme celles pour une meilleure transparence financière dans la gestion des Etats (comme Dynamique Citoyenne au Cameroun sur le mécanisme français de reconversion de dette (C2D) ou sur un regard citoyen quant à l’élaboration du budget de l’Etat camerounais, mais aussi sur les Biens Mal Acquis, etc.). Citons aussi les mobilisations dans une vingtaine de pays (comme le Mali, la Zambie ou bien encore l’Ethiopie) contre les Accords de Partenariat Economique prévus avec l’Union Européenne. Mentionnons également la mobilisation au Niger, au Bénin, en Guinée Conakry et dans 6 autres pays d’Afrique de l’Ouest en faveur de la défense de la biodiversité africaine et contre l’introduction des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) présentés comme solution aux enjeux agricoles africains. Cette coalition s’est également investie pour alerter les gouvernements africains sur les risques liés à la privatisation (via des brevets), par des firmes occidentales, du patrimoine végétal africain (comme l’oignon Violet de Galmi au Niger, le piment jaune du Burkina, la pastèque de Kaolack). Ce dynamisme associatif a aussi été rendu possible par un contexte politique favorable :- Le processus de démocratisation post-guerre froide des années 90 a créé des opportunités et des espaces de parole,
- la montée en puissances des pays émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil, le Nigeria et l’Afrique du Sud ont modifié (et dans certains cas fragilisé) les jeux d’alliance entre les pouvoirs en place et les puissances occidentales comme la France ;
- Des régimes autocratiques africains vieillissants et n’arrivant pas à évoluer.
- Une asphyxie sociale des populations de plus en plus importante comme en témoignent les émeutes de 2008 (dites « de la faim » mais qui sont d’abord des émeutes sociales sur fonds de revendications politiques comme par exemple les émeutes à Douala (Cameroun) en 2008). Impasse sociale qui ne peut que susciter un sentiment de révolte et de volonté de changement de la part des populations.
Quelques repères chronologiques sur ce dynamisme associatif africain
Nous le savons, le dynamisme associatif africain a une longue antériorité comme en témoignent les fortes mobilisations sociales, culturelles et même politiques entre la seconde guerre mondiale et les indépendances. Sans remonter aussi loin dans l’histoire, voici quelques repères chronologiques (post indépendance) permettant de mettre en regard enjeux politiques et mobilisation des organisations de la société civile africaine.Années 60- 70 : Indépendances des pays africains et restrictions des libertés publiques
Au lendemain des indépendances, les élites africaines s’emparent des rênes de l’Etat. Afin de consolider leur pouvoir fragile, elles font de l’unité nationale leur préoccupation affichée majeure. Elles cherchent à légitimer leur pouvoir en se portant garantes de l’unité nationale et éviter ainsi l’éclatement de l’Etat nouvellement indépendant. Au nom de cette unité nationale s’engage une lutte contre les revendications identitaires. C’est au nom de la construction de l’Etat-nation que l’instauration du parti unique est justifiée, entraînant ainsi la suppression des libertés et la restriction des droits fondamentaux, notamment ceux liés à la libre expression et à la liberté d’association et de réunion. Le contrôle de la parole publique interdit l’accès des citoyens à la prise de décision, malgré l’existence d’une Assemblée nationale et la tenue d’élections. Les régimes post-coloniaux confisquent la démocratie et donc la souveraineté du peuple, pourtant promise à l’indépendance. Les Etats africains sont intégrés dans un monde en pleine Guerre froide. Ils doivent se positionner par rapport aux deux blocs : certains optent pour le socialisme à l’image de la Guinée de Sékou Touré, d’autres au contraire fortifient leurs liens étroits avec des pays occidentaux à l’instar de la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny, enfin certains rejoignent le camp des non alignés à la suite de la conférence de Bandung (1955) tel que le Ghana. L’Afrique devient le lieu des conflits interposés entre les blocs communiste et occidentaux. Les anciennes puissances coloniales s’ingèrent alors dans les questions politiques internes pour soutenir ou déstabiliser des régimes. Certains régimes, victimes de déstabilisations venant de l’extérieur, se durcissent face à la menace. D’autres profitent de leur alliance à l’Occident pour s’affirmer et renforcer leur pouvoir au détriment de la démocratie et des droits de l’homme. Par le jeu des alliances, la Guerre froide a renforcé des régimes dictatoriaux et a permis leur maintien. Le fait associatif est de fait limité par ces restrictions démocratiques et se cantonne aux organisations traditionnelles et d’entraide (autour des obsèques, des mariages, etc.), à des associations de quartiers ou de villages (culturelles, sportives, etc.) et bien sûr à des projets de développement qui restent assez limités dans leur rayonnement géographique et assez faibles dans leur capacité de transformation sociale. Le rôle des Eglises chrétiennes est alors important au cours de cette période. Leurs influences et leurs implantations territoriales leur permettent de développer des actions sociales, culturelles, caritatives et de développement, mais aussi de maintenir des marges de manœuvre vis-à-vis des gouvernements pour créer des espaces de conscientisation citoyenne (via les mouvements d’action catholique par exemple).Années 80 : Démantèlement de la puissance étatique (services publics, etc.) et montée en puissance des ONG
Les années 80 marquent l’échec des modèles économiques et politiques issus des indépendances. Il n’y a pas eu rupture profonde avec le modèle économique développé par les puissances coloniales (France, Belgique, …). Les spécialisations en matière d’industries extractives ou de productions agricoles sont toujours celles développées durant l’époque coloniale. L’objectif est d’abord de produire pour exporter et répondre aux besoins du marché international (en priorité l’ancienne métropole). Du fait de l’explosion de la demande (Trente Glorieuses dans les pays développés), les pays africains s’endettent pour développer leurs appareils productifs. Mais le ralentissement de l’économie mondiale au cours de la décennie 1970-1980 casse cette dynamique. Les états africains entrent dans des situations économiques difficiles. La spirale de la dette commence. Les Etats africains et leurs créanciers font alors appel aux Institutions Financières Internationales (Fond Monétaire International et Banque Mondiale) pour renflouer les Etats. En contrepartie ceux-ci sont obligés de se mettre sous la tutelle de ces IFI et de mettre en œuvre des plans de rigueur et de rationalisation des dépenses publiques. La dette des pays africains explose et ceux-ci entrent dans une crise économique profonde qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Les années 80 marquent également au niveau mondial la montée en puissance du modèle libéral qui appelle à la dérégulation de l’économie et à l’affaiblissement de la puissance publique, perçue comme contraignante pour le développement des échanges économiques et financiers. Les Etats africains surendettés et soumis aux restrictions des IFI ne sont plus en capacité d’agir pour répondre aux besoins sociaux et économiques des populations. De nombreux pays africains sont confrontés à des crises sociales profondes. Les services autrefois proposés par la puissance publique aux populations (eau, école, santé, etc.) s’écroulent faute de financements ou sont privatisés. Nous assistons alors au passage d’une situation de monopole public (qui ne fonctionnait pas très bien) à une situation de monopole privé excluant les populations les plus pauvres et les zones géographiques isolées (comme les campagnes). Le milieu associatif africain se transforme avec la montée en puissance et la professionnalisation des ONG de développement africaines et internationales. Celles-ci développent des activités de prestation de services pour répondre aux urgences sociales liées au retrait de l’Etat des secteurs sociaux et à l’absence de politiques de développement d’envergure.Années 90 : Fin de la guerre froide, la société civile au cœur des enjeux démocratiques
En réaction à la situation économique dramatique des pays africains, des émeutes sociales apparaissent un peu partout sur le continent (Bénin, Cameroun, Congo, etc.). Ces émeutes se transforment en contestations des régimes politiques en place. Encouragées par les conséquences de la chute du mur de Berlin (Discours de la Baule du Président Mitterrand, la fin de l’apartheid, etc.) une nouvelle ouverture démocratique apparait sur le continent (Conférences nationales comme celle au Zaïre (1990-1992), avènement du multipartisme comme en Côte d’Ivoire (1990), etc.). Ces nouveaux espaces démocratiques encouragent l’engagement citoyen. Emergence de nouvelles organisations de la société civile (OSC) autour des enjeux en matière de Droits de l’Homme, des enjeux syndicaux (avec la fragmentation de ce secteur), des enjeux sociaux, etc. Nous assistons à une radicalisation des mouvements sociaux face aux échecs des transitions politiques dans certains pays (comme le Cameroun) mais également à une dichotomie entre une société civile « politisée » mais qui reste principalement urbaine et intellectuelle et l’explosion d’un milieu associatif plus populaire (en zone rurale et urbaine).Années 2000 : la naissance des mouvements sociaux africains
Les campagnes pour l’annulation de la dette au début des années 2000 et l’apparition du Processus du Forum Social Mondial ont permis :- De nouvelles alliances Nord /Sud, Nord/Nord et Sud/Sud et l’apparition d’une société civile mondialisée.
- Un décloisonnement des familles d’acteurs et un renforcement des mouvements de base.
- Face aux défis de la mondialisation, elles demandent des régulations nationales et mondiales.
- Elles se mobilisent (et sont force de proposition) dans leurs pays en faveur de nouveaux pactes sociaux.
Depuis 2000 : une société civile en dialogue avec les décideurs
La montée en puissance des pays émergents (Brésil, Russie, Inde ou Chine par exemple) modifient les jeux d’influences internationaux vis-à-vis du continent africain ; Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) adoptées en 2000 par les pays membres de l’Organisation des Nations Unies sont un exemple de convergences, de structurations et d’uniformisation des actions et des discours de tous les acteurs de développement (OSC, Etats, IFI, coopérations internationales, etc.). Les normes démocratiques se formalisent et s’universalisent. Tout ceci entraine une évolution au sein des OSC dans leurs discours / leurs approches pratiques / leurs relations avec la puissance publique Nous observons le passage d’un discours revendicatif des OSC à une volonté d’agir et d’être force de proposition (contre pouvoir, diplomatie non gouvernementale, demande de nouveaux modèles de gouvernance, etc.). Citons par exemple la mobilisation en 2002 de plus de 150 associations tchadiennes rassemblées au sein du Comité de Suivi de l’Appel à la paix et à la réconciliation (CSAPR, partenaire du CCFD-Terre Solidaire) et appelant à un véritable processus de paix au Tchad tout en interpellant la France sur son rôle et ses responsabilités dans l’état de crise politique récurrente que connaît le pays depuis son indépendance.Quelles pourraient être les prochaines étapes ?
La crise d’un modèle de société basé sur une économie fondée sur l’utilisation d’une énergie quasi gratuite et abondante (le pétrole) et les déséquilibres observés entre l’Humanité et sa biosphère vont obliger les mouvements sociaux africains à se positionner dans les recherches d’alternatives autour d’enjeux comme la relocalisation de l’économie ou le développement d’une agriculture durable, créatrice d’emploi et respectueuse de l’environnement. Comment vont-ils aborder ces enjeux ? Le feront-ils seuls dans une logique panafricaniste ou dans une logique plus universelle (Nord/Sud, Sud/Sud) ? La puissance – excessive – du capitalisme financier qui dépasse celle des Etats (et donc marginalise les représentations citoyennes) a déjà des impacts sur les populations africaines. Par exemple, nous ne pouvons que constater l’impuissance des populations africaines face à l’irresponsabilité sociale et environnementale des nombreuses entreprises extractives (avec la complicité de certains décideurs politiques africains) qui opèrent sur le continent. Ces entreprises contrôlées par des grands groupes internationaux ou des fonds souverains sont juridiquement inatteignables par ces populations du fait de la complexité des ramifications entre la société mère et ses filiales). L’insécurisation foncière des paysans – liée aux accaparements massifs de terre et à l’orientation très forte des usages du foncier vers des productions agricoles destinées aux agrocarburants – n’a jamais été aussi préoccupante. Autre exemple, la spéculation sur les denrées alimentaires au niveau mondial compromet la sécurité alimentaire des mégapoles africaines dépendantes des importations pour se nourrir, et perturbe également le cours des marchés locaux approvisionnés par les producteurs locaux. De quelles manières les mouvements sociaux africains vont-ils se positionner dans l’avenir :- La société civile va-t-elle construire des alliances de circonstances avec les Etats pour lutter contre cet « ennemi commun » que sont les excès des entreprises multinationales ? Comment va-t-elle le faire ? L’exemple des mobilisations contre les OGM (via la COPAGEN) est encourageant. Les mouvements paysans et les ONG d’appui au monde rural ont obtenu des Etats ouest africains un moratoire contre les introductions des OGM par les grande firmes internationales. Moratoire qui s’est réalisé par une alliance avec les parlements locaux).
- Les excès de la mondialisation vont-ils créer dans les sociétés africaines un repli identitaire peu propice aux changements sociaux ? Les OSC sauront-elles re-territorialiser les débats pour construire des alternatives ?
- Les OSC rurales vont-elles rejoindre les mobilisations citoyennes pour peser contre ces nouveaux risques ou resteront-elles marginalisées ?
Quelques exemples de mobilisations sociales en Afrique
Au Mali Ce pays peut être véritablement considéré comme un laboratoire de l’altermondialisme africain. La vivacité de ses mouvements sociaux, leur créativité et leur inventivité dans leurs actions sont à souligner. Citons comme exemple :- Les mobilisations contre la privatisation du rail en 2005 (Collectif citoyen pour la restitution et le développement intégré du rail malien),
- Les mobilisations sur les conditions d’exploitation de la mine d’or de Sadiola,
- L’opposition des paysans depuis 2006 à l’introduction des OGM dans l’agriculture malienne par la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Malien (COPAGEN-Mali, etc.),
- La sensibilisation des paysans sur un sujet aussi complexe que les Accords de Partenariat Economique avec l’Union Européenne, et la mobilisation de la Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP – membre du ROPPA) pour une politique agricole favorable aux agricultures familiales et à la protection des marchés (Loi d’Orientation Agricole)
- C’est en outre au Mali que s’est déroulé pendant neuf années le Forum des Peuples . Ce rassemblement a été organisé en contre point des G8/G20 et a rassemblé des centaines d’organisations populaires d’abord du Mali puis petit à petit de la sous-région. Le Forum des Peuples de par sa philosophie, sa force de mobilisation auprès des organisations de base et sa fréquence a été quasi unique sur le continent. Aucun autre rassemblement aussi populaire (et rassemblant à chaque évènement plusieurs milliers de participants) et abordant des sujets aussi stratégiques (comme la dette, les Accords de Partenariat International, la biodiversité, etc.) n’a été organisé avec la même fréquence en Afrique.
- Le démantèlement du service public de l’enseignement supérieur en 2001,
- la privatisation et l’augmentation des tarifs de l’eau potable en 2002,
- l’invasion de l’Irak en 2003,
- la fiscalisation des produits alimentaires de première nécessité en 2005
- etc.
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