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Les personnes migrantes en première ligne dans la crise alimentaire

Publié le 12.06.2020| Mis à jour le 02.01.2022

Dans le contexte de la pandémie, les difficultés d’accès à l’alimentation se sont accentuées pour les plus précaires. Les personnes migrantes, de la Seine-Saint-Denis à l’Inde en passant par la Mauritanie, sont particulièrement concernées.
La crise liée au Covid 19 met clairement en évidence la vulnérabilité des personnes migrantes, mais aussi le rôle majeur qu’elles jouent dans nos systèmes alimentaires dont elles sont devenues des rouages incontournables. Éclairages.

Une crise sanitaire et alimentaire qui touche les plus précaires, dont les personnes migrantes

« Je redoute des émeutes de la faim. Nous comptons entre 15 000 et 20 000 personnes qui, entre les bidonvilles, les hébergements d’urgence et les foyers de travailleurs migrants vont avoir du mal à se nourrir » .

Ces mots, qui rappellent douloureusement l’expression consacrée pour la crise alimentaire mondiale de 2008, qui avait touché de nombreux pays en développement, sont ceux de Georges-François Leclerc, Préfet de Seine-Saint-Denis, en 2020.

Ils attestent que dans l’ombre de la crise sanitaire, une autre crise majeure couve, partout dans le monde.

Crise alimentaire : la dichotomie Nord Sud n’a plus de sens

La situation était déjà, avant la pandémie, particulièrement inquiétante.

Selon un rapport de 5 agences des Nations Unies publié en 2019, 821 millions de personnes souffraient de la faim dans le monde, et 2 milliards étaient touchées par l’insécurité alimentaire.

Une tendance marquée à la hausse puisque l’on assistait à la 4e année consécutive d’augmentation de ces chiffres.

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Lire aussi : Crise alimentaire, les chiffres qui inquiètent (infographie)

Loin des clichés, les enjeux alimentaires ne peuvent plus aujourd’hui se réfléchir selon une dichotomie Nord–Sud.

Car en Europe, 8% de la population est désormais en insécurité alimentaire .

Les personnes touchées partagent un point commun : la pauvreté.
Cette précarité structurelle est une réalité préexistante qui a « simplement » été exacerbée par la pandémie du COVID-19.

Parmi les populations en première ligne, les personnes migrantes.

Compte-tenu des mesures de confinement, beaucoup se sont retrouvées sans emploi et donc sans ressource pour acheter de la nourriture.

En Inde, les travailleurs et travailleuses migrantes internes n’avaient que quelques jours de nourriture à disposition, et très peu d’argent d’avance. Le confinement les a privés du jour au lendemain de toute source de revenus, sans aucun filet de sécurité.

En Mauritanie, le confinement a entraîné la mise à l’arrêt de toutes les activités informelles, en particulier dans le bâtiment et le secteur de la pêche, qui emploient une écrasante majorité de migrants subsahariens.

Conséquence : un peu partout, les populations migrantes se retrouvent sans travail et sont exclues des potentielles aides des Etats.

Le COVID-19, révélateur de la place centrale des personnes migrantes dans nos économies

Cette crise montre clairement le rôle central de nombre de ces personnes en situation de travail précaire, souvent migrantes ou issues de l’immigration, dans nos économies actuelles.

En France, les personnes migrantes occupent des métiers fréquemment délaissés par la population locale mais essentiels à notre société : activités de nettoyage, d’aide à la personne, de l’agriculture, du commerce, de livraison, de caisses des grandes surfaces…

Ces « premières et premiers de corvée » ont été applaudis et remerciés parfois, mais ont payé un lourd tribut sur leur santé : en témoignent les chiffres de la surmortalité en Seine Saint-Denis par exemple.

Le secteur agricole dépendant des travailleuses et travailleurs migrants

Dans le secteur agricole, la fermeture des frontières a fait prendre conscience de la dépendance de la France aux travailleuses et travailleurs migrants saisonniers, puisque près de 80% de la main d’œuvre salariée est d’origine étrangère[[https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Statistiques/Data-migration/Tableaux-des-annees-precedentes/Emploi-2016]].

L’appel du ministre de l’Agriculture à toute la main d’œuvre disponible pour aider notamment aux semis et à la récolte des légumes et fruits de printemps témoigne de cette crainte de « pénurie » d’embauches.

La vision utilitariste des personnes migrantes prime ainsi, puisque ces personnes sont encouragées à rester, mais pour une durée limitée, le temps d’accomplir les tâches utiles au pays d’accueil.

C’est ainsi qu’en Italie, le gouvernement a annoncé régulariser 200 000 sans-papiers pour une durée de 6 mois, mais uniquement pour celles et ceux qui travaillent dans le secteur agricole ou de l’aide à domicile.

Une forme de régularisation temporaire, mais qui ne permet pas un ancrage dans la durée, et une réelle chance d’insertion dans la société locale.

Cette régularisation précaire ne s’attaque pas non plus aux conditions de travail subies par ces populations.

La spécialisation et l’intensification de l’agriculture européenne ont encouragé le recours à une main d’œuvre issue des migrations dont bien souvent le travail est non déclaré, le salaires plus faible que celui des saisonniers agricoles nationaux.

En Italie, 25% des aliments produits dépendent du travail de plus de 370 000 saisonniers réguliers venant chaque année de l’étranger[[https://www.coldiretti.it/]].

Les conditions de travail peuvent conférer à l’esclavage tant les rémunérations sont parfois ridicules, et les conditions de vie imposées désastreuses.

A l’orée des champs de tomates, ce sont de véritables bidonvilles qui se sont constitués.

En Inde également, les travailleurs et travailleuses issus de la migration interne – plus de 100 millions d’individus – sont une force de travail essentielle dans le secteur agricole, dans la construction et dans un ensemble de services urbains informels (rickshaw, travail domestiques, plomberie, électricité, nettoyage, ramassage des déchets ménagers, jardinage, gardiennage, etc.).

Selon les études[[https://zeenews.india.com/business/news/economy/internal-migrants-contribute-10-to-gdp-unesco_87148.html]], ces personnes migrantes contribuent jusqu’à 10% du PIB indien et l’argent envoyé à leur famille « au village » est une source essentielle de revenus dans des districts marqués par une détresse rurale très profonde.

Dans le contexte de la pandémie, la Banque mondiale prévoit que les sommes envoyées par les travailleuses et travailleurs migrants dans leur pays d’origine, devraient s’établir à 445 milliards de dollars cette année contre 554 milliards en 2019, soit une baisse de 20%.

Selon la même organisation, une part accrue de ces fonds est consacrée à éviter les pénuries alimentaires.

En Inde des millions de migrants internes sont repartis à pied sur les routes, fuyant une mort de faim très probable, abandonnés par l’État et rejetés par les villes. L’Inde urbaine, aisée ou de classe moyenne, s’est finalement rendue compte de sa dépendance à leur égard et a tenté par différents moyens de les « retenir » (en arrêtant les trains censés enfin les ramener chez eux, dignement).

Des réponses des Etats inadaptées, inexistantes ou sécuritaires pour ces populations

« L’Etat a oublié les migrants ».

Ce témoignage résonne chez nos partenaires à travers le monde.

Face à cela, il fallait réagir. La société civile était en première ligne, mais elle n’était pas seule : autorités locales, citoyens et citoyennes, et personnes migrantes se sont organisés pour répondre à un droit fondamental, celui de se nourrir.

Face à cette situation critique, la société civile a réagi par des interpellations, communiqués et prises de position publique mais s’est aussi organisée rapidement pour pallier l’inaction de l’Etat. Les distributions alimentaires se sont multipliées, mises en place par des équipes manquant souvent de gel et de masques pour se protéger elles-mêmes.

C’est ainsi qu’à Nouadhibou, en Mauritanie, alors que les femmes et les enfants se bousculaient à l’entrée de la mission catholique dès 6h du matin pour obtenir des denrées alimentaires de première nécessité, des distributions ont été effectuées auprès de 500 personnes. Mais celles-ci ont dû s’arrêter, faute de moyen financier, laissant craindre pour le sort futur des personnes migrantes.

En Tunisie,
c’est toute une cellule de solidarité qui s’est structurée, réunissant acteurs de la société civile comme des personnes citoyennes engagées dans un fort élan de solidarité, bravant parfois les interdits liés aux mesures de confinement.
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Les colis alimentaires se sont entassés dans les locaux de notre organisation partenaire, l’appel à dons ayant été entendu par la population et des entreprises tunisiennes. Une assistance a pu être portée à plus de 1000 familles subsahariennes.
Les associations ont par ailleurs subi des pressions de la part du gouvernement, empêchant leur action pourtant vitale pour les personnes migrantes.

La situation a été particulièrement choquante à Calais et Grande Synthe, en France, où les bénévoles munis de l’attestation de déplacement dérogatoire pour « assistance aux personnes vulnérables » ont été verbalisés. Par ailleurs, les forces de l’ordre ont passé à tabac des personnes se rendant aux points de distribution.

Au Maroc, à Nador, la situation est la même. Les associations habituellement actives auprès des personnes isolées dans la forêt se sont vues interdire toute action. Si les distributions alimentaires continuent dans d’autres régions, une liste avec les noms et coordonnées des personnes visitées doit être au préalable établie, et un rapport envoyé au gouvernement marocain.

Les réponses sont donc soit inexistantes, parfois sécuritaires, en tout cas insuffisantes.

La réponse humanitaire apportée par les associations n’est qu’une réponse de court terme, et les régularisations partielles et temporaires proposées par les gouvernements portugais ou italien ne sont que provisoires.

Un échelon doit toutefois pouvoir être mobilisé : celui des autorités locales. Car face à l’inaction du gouvernement, sociétés civiles et autorités locales peuvent et doivent agir ensemble.

En Inde, cette crise inédite et le niveau d’impréparation totale a fait que les autorités locales se sont largement appuyées sur les organisations de la société civile pour mettre en œuvre l’aide alimentaire, l’identification des personnes dans le besoin, etc.

Alors même que cette société civile est en temps “normal” souvent poursuivie car défendant les droits des populations et dénonçant les exactions et la corruption.

En France, l’Association Nationale des villes et territoire accueillants (ANVITA) et les Etats Généraux des Migrations (EGM) sont aujourd’hui en tête d’un appel à mobilisation en faveur de la régularisation de tous et toutes, de façon définitive .

En Tunisie, l’appel à la régularisation des personnes migrantes lancé par la société civile a été suivi par plusieurs municipalités.


Nécessité d’agir sur les causes structurelles de la crise alimentaire et de la précarité

La pandémie du COVID-19 et la crise alimentaire mondiale qui est son corollaire démontrent la nécessité d’apporter des réponses structurelles et de moyen terme à ces populations.

Elles questionnent le modèle d’aménagement de nos territoires, la dépendance de nos économies au travail précaire et à la migration, comme c’est le cas par exemple pour l’agriculture européenne.

Elles donnent aussi à voir des situations que l’on a longtemps souhaité ignorer et les inégalités criantes qui traversent nos sociétés.

Face à cela, des réponses d’urgence et de court terme seront largement insuffisantes et ne feront que reproduire les schémas et systèmes générateurs de précarité.

Les causes structurelles de la crise alimentaire et de la précarité qui touchent des millions de personnes dans le monde nécessitent un changement radical de notre système agricole et alimentaire.

Il doit permettre d’assurer la mise en œuvre effective du droit à l’alimentation, et des droits des paysannes et paysans et des travailleuses et travailleurs agricoles (salaires décents, accès à la terre…).

Pour cela il est nécessaire de prioriser des investissements dans les alternatives locales qui favorisent la souveraineté alimentaire : agroécologie, régénération de forêt, relocalisation de notre alimentation, mise en place de marchés locaux.

Comme le souligne un rapport sur les réponses au COVID-19 de Communautés et mouvements d’Asie du Sud Est , le plus haut niveau de résilience et de sécurité alimentaire se trouve dans les terres détenues et gérées collectivement, avec des pratiques de développement durable et agroécologique, des revenus partagés équitablement et des besoins fondamentaux satisfaits.

Cette évolution de notre système alimentaire nécessite des mesures visant spécifiquement les populations migrantes. Leur régularisation – pérenne et sans conditions – est ainsi essentielle.

La crise du COVID-19 a mis en évidence à quel point elles sont indispensables à des secteurs entiers de notre économie.

Mais il serait dangereux, et utilitariste, de ne considérer que cela. L’accès de tous et toutes à la dignité et aux droits fondamentaux ne doit pas être uniquement lié à un contexte, ni servir des intérêts utilitaristes. Cela constitue une exigence non négociable, qui appelle à un changement radical des politiques migratoires.

Solène Bedaux, chargée de mission partenariat migrations
Maureen Jorand, responsable plaidoyer souveraineté alimentaire et justice climatique
Nicola Bullard, responsable du service Asie
Juliette Segard, chargée de mission Inde

– (Re)voir notre appel aux autorités françaises sur la situation des populations migrantes en France, face à la pandémie : Coronavirus et migrants, que fait la France ?
– A lire aussi / Coronavirus : La France reste sourde aux appels des associations et la population migrante est plus que jamais invisible (communiqué)

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