Les sociétés civiles, fers de lance de la démocratie
Depuis une vingtaine d’années, grâce à des processus démocratiques – pourtant erratiques – et aux Forums sociaux, des coalitions rassemblant syndicats, ONG, associations de droits de l’homme, de femmes… se sont organisées en Afrique en contre-pouvoir des États. Décryptage d’un phénomène porteur d’espoir.
Jusque dans les années 1990, il existait peu d’opportunités de participer à la vie des pays ; c’était l’affaire des élites urbaines (intellectuels, militants politiques, étudiants…) et des cadres du développement. Face à des États forts, aux partis uniques, avec des syndicats et des médias sous contrôle, et une répression massive des opposants, c’est dans le milieu chrétien que vont se former plusieurs générations de militants sociaux.
Lorsque le FMI et la Banque mondiale mettent en place les plans d’ajustement structurel dans les années 1980, des milliers de cadres de l’État limogés vont créer une multitude d’organisations de développement dans tous les secteurs : production agricole, commercialisation, formation et emploi des jeunes, santé, sida, genre, microfinance… C’est le début de l’âge d’or des ONG locales. Et cela arrange tout le monde ! Les États fragilisés laissent faire et les Institutions multilatérales les considèrent comme une alternative aux États défaillants et corrompus. Les ONG, alliées du libéralisme ? Sans aller jusque-là, elles sont régulièrement pointées du doigt : en compétition dans la recherche de financements, gouvernance peu transparente et sans réelle légitimité… Mais aujourd’hui, de multiples coalitions se sont organisées en contre-pouvoir. On ne parle plus de programmes de développement, mais de politiques publiques. On ne se définit plus seulement comme un acteur de développement mais aussi comme un acteur citoyen, militant pour un État de droit au service des peuples. Les syndicats, de retour au sein des
sociétés civiles, ont remis les questions sociales (droits des travailleurs, système de protection sociale…) au coeur du débat public. Les sociétés civiles s’intéressent et se mêlent de tout. Rien ne leur échappe, ni les politiques agricoles ni le budget de l’État, ni les réformes foncières, ni les élections, ni la corruption… Elles s’allient avec les puissants bailleurs de fonds qui veulent réformer la gouvernance publique, ainsi qu’avec les dirigeants réformateurs lorsque cela est possible. Au Cameroun, par exemple, elle s’intéresse à la politique fiscale de l’État, à son niveau de réendettement et à ses orientations budgétaires. Elle s’est alliée avec la société civile française pour vérifier que les fonds issus de l’annulation de la dette bilatérale française sont bien utilisés pour le développement.
Elles restent pourtant pleines de contradictions. Toute une génération de militants associatifs, notamment de défenseurs des droits de l’homme, a émergé après la conférence de La Baule* et s’est mobilisée pour une alternance politique, afin de faire tomber les dictatures. Il leur est parfois difficile d’accepter l’évolution du paysage politique avec des oppositions discréditées sans programme, et encore plus de dialoguer avec les pouvoirs en place.
Elles ne sont pas non plus exemptes des critiques qu’elles portent envers le pouvoir : tensions ethniques, régionalisme, pouvoir autoritaire… Au Tchad, ce sont les organisations chrétiennes « sudistes » qui ont été le tremplin de l’action civique dès 1991. Très marquées par l’antagonisme Nord/Sud, elles ont développé une identité victimaire qui a débouché sur le refus de dialoguer avec les pouvoirs publics « nordistes » et de considérer les acteurs associatifs musulmans comme des interlocuteurs ou des alliés.
Mais les sociétés civiles pèsent chaque jour davantage dans les rapports de force politiques. Les communautés à la base suivent la même voie, plus lentement certes, mais elles commencent aussi à agir directement auprès des pouvoirs publics. Peut-être les élections locales leur donneront-elles de nouveaux pouvoirs ? Jusqu’où aller ? Les sociétés civiles doivent-elles chercher à influencer des hommes politiques peu crédibles ou doivent-elles envoyer des représentants dans l’arène politique ? Ce
qui est sûr, c’est que beaucoup des prochains leaders africains en seront issus. –
Bruno Angsthelm
Chargé de mission Afrique
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