Liban : Tisser du lien avec les réfugiés syriens

Publié le 20.06.2019| Mis à jour le 08.12.2021

La crise syrienne a entraîné l’exil de plus d’un million de réfugiés au Liban. Cet afflux massif exacerbe les tensions entre population hôte et réfugiés. Afin de faciliter les relations entre les deux communautés, une initiative soutenue par le CCFD-Terre Solidaire a été proposée à six villes. Du Sud-Liban à la plaine de la Bekaa en passant par l’Akkar, premier bilan d’un projet modeste par sa taille, mais ambitieux dans sa philosophie.


Un youyou a fusé, repris par une douzaine de femmes. C’est Rokaïa, une réfugiée syrienne originaire de Damas, qui la première a lancé le cri de joie pour fêter Myriam, Libanaise et toute jeune épousée. Nous sommes dans le Sud-Liban, à Kfar Tebnit, une petite ville agricole chiite, de 13 500 habitants accueillant 1 457 Syriens chassés par la guerre. Il y a encore six mois, Rokaïa, traumatisée par une précédente expérience d’installation à Beyrouth, n’osait s’adresser aux gens de la ville. Depuis, elle participe aux ateliers de transformations alimentaires de Kfar Tebnit avec les membres de la coopérative féminine dans le cadre du projet soutenu par le CCFD-Terre Solidaire.

« Je loue une pièce humide en rez-de-chaussée avec mes quatre enfants et mon mari. C’est difficile, mais au moins maintenant je me sens mieux intégrée. À Beyrouth, les gens me regardaient comme si j’allais importer la guerre dans leurs familles », confie-t-elle en exhibant ses « nuits du Liban ».

Sur ce dessert chocolaté, les membres de la coopérative ont dessiné leur futur logo en poudre de cacao : une marmite fumante ! Initialement, les femmes de Kfar Tebnit devaient intégrer la coopérative des hommes mais pressentant qu’elles n’y feraient que de la figuration, elles ont créé la leur. « Une petite révolution sociale ! », souligne Feyrouz Salameh, la secrétaire générale du Mouvement social libanais (MSL), partenaire local du projet [[Créé en 1961, le Mouvement social libanais est expert en formations professionnelles, développement social, médiation interculturelle et lutte contre le décrochage scolaire..]]

Ce jour-là, la tête couverte d’une charlotte en plastique et les mains gantées conformément aux dispositions d’hygiène qu’elles ont apprises en formation, les femmes de Kfar Tebnit ont préparé un gargantuesque mezze : salades d’olives, manaïches, muhammara pimenté. Les deux Syriennes du groupe expliquent comment elles écrasent les ingrédients, tandis que les Libanaises les coupent ! « Au début du projet, les Libanaises adoptaient une attitude un peu condescendante, se souvient une observatrice. Jusqu’au jour où les Syriennes ont livré un secret culinaire pour éviter que les makdous (aubergines farcies) ne moisissent. »

Identifier les différences pour éviter les malentendus

Ce partage de savoir-faire autour de la cuisine, une activité essentielle dans les deux cultures, a fait fondre la glace. « Toutes, en amont, avaient participé à des réunions de médiation interculturelle. À partir de jeux de rôle, on travaille sur le regard, le ton, l’attitude pour faire prendre conscience des territoires de chacun.

Mieux identifier les différences respectives permet d’éviter les malentendus », explique Charlotte Tanios, trente cinq ans, assistante sociale du MSL, formatrice et médiatrice au sein du projet. Des maris ont bien manifesté quelques résistances à cette coopérative féminine mais les démarches de porte-à-porte ont réussi à en convaincre certains. Pas tous.

En première ligne face à l’afflux de réfugiés syriens, les municipalités des six communes sélectionnés pour le projet doivent jouer le jeu. « Ce n’est pas toujours évident car un maire comprend mieux quand on lui parle d’infrastructures que de développement social », soupire Feyrouz Salameh. Un peu hésitant au départ, celui de Kfar Tebnit est désormais convaincu. Il prête même l’espace de la cuisine collective, équipée depuis peu d’un four offert par le mari d’une Libanaise de la coopérative.

Mêler la formation professionnelle à la médiation

Si l’atelier cuisine résonne de rires et de cris, une atmosphère studieuse règne dans la pièce à côté. « Attention à ne pas faire saigner la cliente, prévient la formatrice en esthétique et coiffure. N’enlevez pas toute la peau, il faut que l’ongle respire. » Trois fois par semaine pendant six mois, de neuf heures à midi, elle enseigne la manucure, le soin du visage ou le brushing à vingt-cinq Syriennes et Libanaises, âgées de seize et vingt-trois ans. Chacune a participé auparavant à une initiation à la communication et au dialogue. Mêler ainsi la formation professionnelle à la médiation est l’une des forces du projet.

Pour favoriser l’émulation, les apprenties esthéticiennes sont réparties en deux groupes, les tabliers verts et les tabliers roses.

« Moi, je ne me faisais jamais les ongles, ça ne m’intéressait pas du tout. Mais j’ai pris goût aux cours, c’est un lieu de rencontres », explique une jeune Libanaise de Kfar Tebnit.

Époque oblige, les stagiaires ont vite formé un groupe sur Facebook pour communiquer entre elles. Quand elles auront terminé leur formation, la plupart d’entre elles comptent travailler à domicile plutôt qu’en institut. Une façon pour ces femmes de se faire un peu d’argent sans rompre brutalement avec les coutumes locales.

À peine sortie du cours d’esthétique, Hadil, une réfugiée syrienne, a rejoint les autres membres du « comité territorial mixte ». Un groupe de onze personnes où se retrouvent jeunes et adultes, femmes et hommes, Libanais et Syriens, élus et citoyens. Leur rôle : dialoguer pour atténuer les tensions et proposer des projets de développement au conseil municipal.

Les idées foisonnent : stage de photo, centre aéré, fresque réalisée par des artistes locaux… « OK, mais il faudra évaluer leur talent », précise la « greffière » du comité avec humour. Ne reste qu’à budgéter l’ensemble avant de le proposer au maire. « Profitons-en, les élections municipales ont lieu en 2016. » Éclats de rire.

La séance est presque terminée lorsque la jeune Hadil prend la parole pour proposer un atelier d’alphabétisation. « C’est moi qui prendrai le premier cours. » Derrière l’autodérision perce le courage de cette étrangère dévoilant au groupe, devant des hommes, cette faille si intime.

L’assistante sociale est bluffée : « Il y a quelques semaines encore, Hadil était très négative, agressive. » Son compatriote, membre du comité, reste silencieux pendant toute la séance, sauf lorsque l’on aborde la question du chômage local. Un problème qui dépasse largement les compétences du petit groupe. La séance est levée.

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Vous y trouverez aussi les autres articles du dossier : Diversité et Vivre ensemble au cœur des défis du Moyen-Orient dont est extrait ce reportage.

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