Libre-échange : pas d’accords sans respect des normes sociales et environnementales!

Publié le 04.02.2021| Mis à jour le 10.12.2021

Ancien rapporteur spécial de l’Onu pour le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, est aujourd’hui rapporteur sur l’extrême pauvreté et aux droits humains. Selon ce juriste, professeur à l’université belge de Louvain, les accords de libre-échange sont, aujourd’hui, plus des freins au développement que des dispositifs au service des objectifs de développement durable (ODD)[[Les ODD : les 17 Objectifs de développement durables fixés par les Nations unies répondent aux défis mondiaux notamment de la pauvreté, des inégalités, du climat, de la dégradation de l’environnement, de la prospérité, de la paix et de la justice. Avec pour objectif d’atteindre chacun d’entre eux, et de leurs cibles, d’ici à 2030.]]. Explications.


Faim et Développement – En juin 2019, vous demandiez au Parlement européen de s’opposer à la ratification du Mercosur. Selon vous, l’échange de viande de bœuf contre des voitures « était une insulte à la jeunesse qui marchait pour le climat ». N’est-ce pas une insulte au bon sens dans la mesure où ses conséquences semblent plus négatives que positives ?

Olivier De Schutter – Bien entendu. Si cet accord était signé, outre les effets des importations de viande en provenance des pays du Mercosur sur les producteurs européens, il entraînerait la croissance des émissions de gaz à effet de serre. Pour le seul secteur agricole, elles devraient atteindre 9 millions de tonnes équivalent CO2,un chiffre comparable aux émissions d’une ville brésilienne, comme Belo Horizonte de 3,9 millions d’habitants ! Le chapitre 14 de ­l’accord UE-Mercosur, qui concerne le développement durable, est très insuffisant, car il est n’est pas doté de mécanismes contraignants de mise en œuvre. Il interdit la déforestation illégale, mais est silencieux sur le soja ou sur l’élevage sur des terres mises en culture ou en pâturage à la suite… de déforestation illégale.

En outre, le principe de précaution ne peut être invoqué par chacune des parties que pour protéger la santé de sa propre population. Par exemple, l’UE ne peut l’invoquer pour reprocher au Brésil l’usage de certains pesticides (y compris ceux qui pourraient menacer les populations locales et sont interdits en Europe), sauf si l’usage de ces pesticides peut affecter les consommateurs européens.

Comme d’autres pays européens, la France a annoncé qu’elle ne signerait pas l’accord en l’état. Est-ce une première victoire pour ses opposants ?

L’accord UE-Mercosur est quasi mort, non seulement parce que la France, les parlements néerlandais et autrichien et les régions belges s’y sont déclarés opposés, mais aussi parce que le Parlement européen a clairement exprimé sa volonté de ne pas le ratifier.

Est-ce un tournant dans le développement depuis vingt ans de ces accords commerciaux bilatéraux ?

La prolifération d’accords bilatéraux n’est guère souhaitable. Les États les plus importants peu­ vent facilement imposer leur volonté aux plus
faibles dans la négociation. Par ­ailleurs, ces accords ont tendance à abaisser les obstacles aux échanges (tarifaires et non tarifaires) et à opérer une convergence des normes, qui se font souvent au détriment des niveaux de protection des travailleuses et travailleurs, de la santé des populations, et de l’environnement.

D’un autre côté, le multilatéralisme est sans doute difficile à ranimer dans le contexte actuel, et l’OMC est en état de quasi-mort clinique.

Mais il existe une troisième voie, celle d’un unilatéralisme des moyens combiné avec un universalisme des fins. Lorsqu’un État ou une entité comme l’Union européenne subordonne les politiques commerciales au respect de normes sociales et environnementales, ils mettent leur poids au service d’un meilleur respect de ces standards internationaux. Cela permet au commerce d’être facteur de développement durable, plutôt qu’un obstacle à la réalisation des objectifs de développement durable.


À lire aussi :  Accord Mercosur : les risques pour le climat et les droits humains (rapport)

N’est-ce pas la position du gouvernement français conditionnant sa signature du Mercosur au respect de règles environnementales ?

Le gouvernement français a longtemps dit que cet accord devait reposer sur l’engagement des quatre pays du Mercosur à respecter l’accord de Paris conclu le 12 décembre 2015. Mais c’est une promesse vide de sens : la seule obligation de cet accord est d’annoncer des « contributions déterminées au niveau national ». Mais le niveau d’ambition de ces « CDNN » peut-être excessivement faible, et il est très en deçà de ce qui permettrait de ne pas dépasser un niveau d’élévation de 2° C d’ici à la fin du siècle.

En d’autres mots, cette approche était un écran de fumée : on se payait de mots. Je suis heureux que la France revienne à plus de réalisme, et que le gouvernement paraisse prendre au sérieux les conclusions de l’économiste Stefan Ambec qui, à juste titre, a pointé l’incompatibilité de l’accord UE-Mercosur avec les objectifs de développement durable.

Sur quelles nouvelles bases faudrait-il axer des négociations pour ces accords commerciaux ?

Ces accords peuvent être un levier au service du développement durable, mais à condition de renverser la logique dominante. Au lieu de se baser sur une reconnaissance mutuelle des normes et sur l’abaissement des obstacles aux échanges (y compris en termes de normes différentes en ce qui concerne la santé ou l’environnement), il faut que ces accords obligent chacune des parties, à respecter des normes internationales, que soit en termes de droit du travail avec les conventions de l’OIT ou avec des les accords environnementaux multilatéraux.

La difficulté, c’est qu’en matière de changement climatique, les conventions en vigueur (la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique et l’accord de Paris qui prolonge le protocole de Kyoto) sont insuffisamment contraignantes.

Dans les pays en développement, peut-on faire un lien entre réduction de la pauvreté et ouverture des échanges ?

Les pays en développement doivent effectivement croître, et le commerce a longtemps été un instrument de recherche de la croissance. Mais au nom de cette croissance, on a parfois commis des erreurs tragiques, par exemple en empêchant ces pays de diversifier leurs économies. Cette division internationale du travail les a enfermés dans des « niches », avec des salaires très bas et des normes environnementales peu exigeantes, considérés comme des avantages comparatifs. C’est dramatique, car cela a conduit ces pays sur une trajectoire de développement non soutenable, épuisant les ressources.

En outre, ces populations sont devenues plus vulnérables au ralentissement de la croissance des pays les plus riches obligés de réfléchir à l’impact de leur mode de consommation sur l’environnement. Partout, l’heure est à la recherche d’autres modèles de prospérité qui ne se traduisent pas par une destruction de la planète. C’est pourquoi il faut réduire le poids des échanges Nord-Sud, et privilégier les marchés régionaux (notamment l’intégration régionale en Afrique) et les rapports Sud-Sud. Ce serait ainsi l’occasion de remettre le commerce au service du développement.

Propos recueillis par Laurence Estival

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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