Lima, justice fiscale et droits humains

Publié le 30.06.2015| Mis à jour le 08.12.2021

La Déclaration de Lima est née de la réunion stratégique internationale, « Faire progresser la justice fiscale à travers les droits de l’homme », tenue à Lima, au Pérou, en 2015, et convoquée par le Center for Economic and Social Rights, la Global Alliance for Tax Justice, Oxfam, Red Latinoamericana sobre Deuda, Desarrollo y Derechos (LatinDADD), Red de Justicia Fiscal de América Latina y el Caribe et le Tax Justice Network.

Les recettes fiscales sont le moyen le plus important, le plus fiable et le plus durable d’allouer à la promotion des droits humains des ressources suffisantes, équitables et soumises à une reddition des comptes. La réalisation de l’ensemble des droits humains est l’une des principales raisons d’être de l’acte de gouverner. C’est du respect, de la protection et de la concrétisation des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux que l’État tire sa légitime à lever l’impôt. L’imposition joue également un rôle fondamental dans la redistribution des ressources, dans la mesure où elle aide à prévenir et à réparer les inégalités de genre, économiques et d’autre nature, ainsi qu’à réduire les disparités qui en découlent en matière de réalisation des droits humains. De plus, un système d’imposition juste peut renforcer l’obligation de l’État à rendre des comptes à ses citoyens, en encourageant les pouvoirs publics à répondre aux demandes et mettre en œuvre les droits de leurs citoyens. De même, les politiques fiscales peuvent compenser les échecs flagrants du marché et protéger les biens communs mondiaux – au premier rang duquel se trouve notre environnement. Pourtant, de nombreux pays éprouvent des difficultés à percevoir des recettes fiscales suffisantes à la réalisation des droits humains, qui nécessite un investissement financier de l’État. Parallèlement, des systèmes fiscaux nationaux et internationaux injustes continuent de creuser les inégalités et d’accentuer les disparités en ce qui concerne la jouissance des droits humains. Ils transfèrent le fardeau du financement des services publics aux plus démunis de la société, tout en affaiblissant l’offre des services publics existants et en concentrant les richesses entre les mains d’une minorité privilégiée. Les politiques fiscales régressives menées par de nombreux pays tant au Nord qu’au Sud constituent une menace sérieuse envers les droits économiques et sociaux de groupes déjà désavantagés. Cette injustice fondamentale contribue à l’aggravation des inégalités économiques, politiques et de genre. Elle ébranle la confiance accordée aux institutions, qui sont perçues comme étant davantage à l’écoute de l’élite économique transnationale qu’à celle de leurs propres citoyens. Les politiques fiscales relèvent du domaine public et, en ce sens, ne doivent plus être traitées comme une simple question relevant d’experts techniques ou être abandonnées à la discrétion des pouvoirs publics, qui ne pratiquent souvent aucune reddition de comptes. Au lieu de cela, nous appelons les administrations publiques à nouer des pactes sociaux et fiscaux transformateurs et à laisser davantage d’espace aux organisations de la société civile. Ces dernières se sont fixées comme objectif d’exercer un contrôle des politiques fiscales au travers des normes rigoureuses en matière de transparence, de participation publique et de responsabilité, répondant aux principes des droits humains reconnus à l’échelle internationale. Les normes existantes en matière de droits humains fournissent une justification normative à la mobilisation des ressources par un État compétent et bien doté du point de vue financier. Afin de remplir leurs obligations de protéger et de progressivement mettre en œuvre les droits sociaux et économiques, les États doivent utiliser et générer un maximum de ressources financières (particulièrement en appliquant une imposition suffisante et durable) de manière équitable et non discriminatoire. Les lois, politiques et pratiques fiscales doivent viser à mettre fin à la discrimination structurelle plutôt que renforcer les inégalités croissantes de toutes sortes, notamment les disparités de genre, ethniques et économiques. En effet, l’imposition constitue un instrument important dans la lutte contre la discrimination envers les femmes et contre les inégalités de genre. Les mesures régressives de 2/3 collecte des recettes fiscales, notamment celles qui imposent un fardeau fiscal disproportionné aux foyers les plus désavantagés et ne tiennent pas compte de la capacité contributive de chacun, vont à l’encontre des principes des droits humains de non-discrimination et d’égalité. Il en va de même pour les incitations fiscales accordées aux entreprises et aux riches, qui sont inutiles sur le plan social et ont pour effet de transférer le fardeau fiscal à celles et ceux qui sont le moins en mesure de le payer, tout en soulageant les plus aisés. Nous appelons les pouvoirs publics à effectuer des études d’impact afin d’estimer les répercussions de leurs politiques fiscales sur les droits humains et sur les inégalités. Nous exhortons également ces mêmes pouvoirs publics et les agences de statistiques à recueillir des données sur les individus, les ménages et les entreprises qui permettront aux décisionnaires d’évaluer avec exactitude les répercussions de toutes les politiques fiscales sur les droits humains et l’égalité. À l’heure actuelle, le système international d’imposition des sociétés – établi alors que la nature et la composition de l’économie mondiale étaient fondamentalement différentes – est complètement obsolète. Il privilégie les intérêts des entreprises multinationales, ainsi que les intérêts financiers mondiaux et ceux de quelques pays à l’économie développée, tout en empêchant les États de lever des recettes suffisantes de manière équitable et transparente. Un examen rigoureux, fondé sur des données précises, des répercussions que les lois, politiques et pratiques fiscales de certains pays ont sur les droits humains et les inégalités à l’extérieur de leurs frontières devrait supplanter les hypothèses, trop souvent infondées, relatives aux supposés avantages économiques offerts par le système d’imposition international actuel. En nous appuyant sur les obligations juridiques des États à prendre des mesures (individuellement et à travers la coopération et l’aide internationales) en faveur de la pleine réalisation des droits humains, nous en appelons à la reformulation des règles d’imposition mondiales sous l’égide d’un organisme fiscal international, légitime, inclusif et démocratique, au sein des Nations Unies. Un pays appliquant des politiques ou des pratiques fiscales qui portent atteinte à la capacité d’autres pays à financer la réalisation des droits humains (que ce soit à travers des mesures fiscales préférentielles, des régimes d’imposition des sociétés préférentiels pour des types de capitaux internationalement mobiles ou par tout autre moyen) contreviendrait à cette obligation juridique internationale de coopérer. De plus, les pays bloquant intentionnellement les échanges de données fiscales, de même que les établissements bancaires et les cabinets juridiques ayant recours à des accords secrets au détriment des deniers publics, privent de toute évidence les autres États des ressources dont ils ont besoin pour répondre à leurs obligations en matière de droits humains. Nous appelons donc tous les États à effectuer une évaluation des impacts afin de mesurer les répercussions de leurs politiques fiscales sur les droits humains dans les autres pays, à agir immédiatement pour mettre fin à toute pratique dommageable et à remédier de manière efficace aux dommages déjà commis. De même, nous exhortons les États à adopter des lois réglementant les pratiques de manipulation de prix de transfert et à endiguer le secret financier et bancaire de manière à ce que les pouvoirs publics puissent effectivement lutter contre la fraude fiscale. Les comportements des entreprises – et de leurs conseillers fiscaux– constituant une menace pour les recettes fiscales risquent bien de priver les pays des ressources nécessaires à la réalisation des droits humains. Par conséquent, le comportement fiscal des entreprises ne peut plus être dissocié de l’obligation de ces dernières à respecter les droits humains. Pour qu’elles remplissent leurs obligations en vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits humains, nous exhortons les gouvernements à adopter des lois et des réglementations protégeant ces droits face aux comportements fiscaux abusifs des entreprises. Nous les invitons également à fournir des mécanismes de recours adéquats pour ces comportements fiscaux préjudiciables. Parallèlement, nous exhortons les entreprises et groupes à identifier la fraude fiscale et à y remédier, par exemple dans leurs déclarations de principes, dans le cadre de leurs contrôles préalables et dans leurs procédures de règlement des différends. Les entreprises devraient commencer par reconnaître clairement les effets néfastes de la fraude et de l’évasion fiscales sur les droits humains, et conclure des accords fiscaux de manière transparente et responsable afin de ne pas compromettre la collecte des recettes publiques, surtout si ces accords, même lorsqu’ils sont techniquement légaux, sont contraires aux principes des droits 3/3 humains. Nous exhortons particulièrement les auteurs de mécanismes menaçant les recettes publiques (notamment les avocats-fiscalistes, les comptables et les intermédiaires financiers) à s’abstenir d’être complices de la fraude et de l’évasion fiscales, à reconnaître leurs responsabilités particulières en matière de droits humains, à faire preuve de diligence raisonnable envers ces mêmes droits et à mettre fin à toute activité dommageable. De plus, dans l’intérêt public, nous appelons toutes les entreprises, quelles qu’elles soient, à s’abstenir d’intervenir dans l’élaboration des politiques fiscales, soit directement à travers des groupes de pression, soit indirectement en encourageant la compétition fiscale. Nous encourageons les institutions internationales à appuyer la réforme d’un système fiscal international défaillant, notamment en intégrant les normes des droits humains dans leurs mesures de lutte contre l’évasion fiscale des entreprises et contre les impacts négatifs des politiques fiscales de certains pays. De même, les institutions financières internationales qui conseillent les gouvernements sur leurs politiques fiscales devraient, avant tout, respecter les obligations en matière de droits humains qui incombent à ces derniers. Plutôt que de constituer un obstacle, les lois devraient être transformées en instruments de justice fiscale. Nous appelons la profession juridique (notamment les avocats des droits humains, les avocats fiscalistes, les juges et le corps judiciaire d’une manière générale) à faire sienne la responsabilité de s’opposer aux politiques fiscales injustes qui entravent la réalisation des droits humains. Un des défis les plus urgents de la communauté des droits humains est de s’assurer que les États rendent des comptes sur les actions qu’ils entreprennent pour trouver les moyens matériels à la réalisation de ces droits. Nous appelons par conséquent la communauté des droits humains dans son ensemble (militants, avocats, universitaires, organisations de défense des droits des femmes, ONG, syndicats, institutions nationales des droits de l’homme, organes créés par des traités, commissions régionales, etc.) à examiner activement la façon dont les pratiques fiscales affectent sa mission, et à s’appliquer à faire progresser les droits humains en surveillant et en analysant de plus près les politiques fiscales. De leur côté, les lanceurs d’alerte et autres défenseurs de la justice fiscale qui s’efforcent, dans l’intérêt public, de dévoiler les violations flagrantes des droits humains liées à la fraude et à l’évasion fiscales, devraient être considérés comme des défenseurs de ces droits et protégés en tant que tels. Enfin, nous appelons l’ensemble de la communauté mobilisée en faveur de la justice fiscale et du développement à intégrer les droits humains dans leur recherche et leur plaidoyer, afin d’exploiter la force de l’invocation de la rhétorique, des normes et des mécanismes de reddition de comptes associés aux droits humains, dans la quête d’une fiscalité juste et du développement durable. Les organismes signataires souscrivent à la présente Déclaration de Lima sur la justice fiscale et les droits humains et s’engagent à continuer de collaborer pour faire progresser la justice fiscale à travers les droits humains. Déclaration de Lima

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