L’immigration en Thaïlande n’est pas prête d’être stoppée

Publié le 10.06.2011| Mis à jour le 08.12.2021

Htoo Chit : « L’immigration en Thaïlande n’est pas prête d’être stoppée » Près de 4 millions de Birmans vivent aujourd’hui en Thaïlande, dont la majorité de façon illégale. Htoo Chit, directeur de la Fondation pour l’éducation et le développement, une ONG birmane installée en Thaïlande et partenaire du CCFD-Terre Solidaire, revient sur les conditions de vie des plus fragiles d’entre eux, les femmes. Quelle est le sort des femmes qui vivent à la frontière birmano-thaïlandaise ou en Thaïlande ?


Il y a trois scénarios possibles. Soit ces femmes sont des « déplacées internes » et dans ce cas, elles sont toujours en Birmanie, soit elles se retrouvent comme réfugiées dans des camps, à la frontière, soit elles font partie des migrants installés en Thaïlande, légalement ou non. Les déplacées sont de loin les plus vulnérables, celles dont la situation est la pire.

C’est-à-dire ?

La plupart viennent de petits villages qu’elles ont dû quitter pour fuir la guerre civile. Certaines ont perdu leur mari, d’autres ont vu les hommes se faire réquisitionner manu militari par les troupes birmanes pour du travail forcé. Aujourd’hui, ces femmes vivent dans la jungle, dans des camps de fortune. Essayant de trouver de quoi survivre au jour le jour. Toujours sur le qui-vive. Changeant régulièrement de places. Effrayées à l’idée de rencontrer des soldats birmans. Les viols sont monnaie courante. Et cela fait des années que cela dure.

La situation des réfugiées semble beaucoup plus enviable…

Même si elles sont cantonnées dans des camps, elles sont sous la protection du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugies et du gouvernement thaïlandais. On leur distribue de la nourriture, elles ont accès aux soins et les plus jeunes peuvent recevoir un peu d’éducation. Mais cela est loin d’être suffisant.

D’autre part, même si quelques ONG proposent bien des programmes de formation, rien n’est fait pour les aider sur plan psychologique. Or, beaucoup d’entre elles souffrent de dépression chronique car elles n’ont rien à faire de la journée. Cette inaction, qui pèse aussi sur les hommes, est responsable de nombreux cas de violences domestiques et il y a régulièrement des suicides.

Quid des migrants ? A-t-on une idée exacte de leur nombre en Thaïlande ?

Les différentes agences des Nations Unies ou du gouvernement thaïlandais estiment qu’il y aurait actuellement plus de deux millions de migrants d’origine birmane en Thaïlande. Mais  nous pensons qu’ils seraient environ quatre millions. De nombreux migrants vivent en effet sans papiers, de manière illégale. C’est une population assez jeune, entre 18 et 40 ans, venue en Thaïlande pour y chercher du travail. Il y a environ 30 % de femmes.

Comment vivent-elles ?

Beaucoup travaillent dans la confection, l’industrie agroalimentaire, notamment les conserveries de produits de la mer, ou dans des emplois domestiques. Mais la situation est bien différente selon qu’elles sont là légalement ou pas. Les premières bénéficient à peu près des mêmes droits que les Thaïlandais, même si leur salaire reste inférieur à celui des hommes. Mais, en principe, elles ne travaillent pas plus de 8 heures par jour, ont un salaire minimum, une assurance maladie, peuvent changer d’employeur librement et contacter les organismes de défense des travailleurs en cas de problème. Pour les autres, les illégales, la situation est moins bonne. Elles triment parfois jusqu’à 14 heures par jour, souvent sans couverture sociale, pour un salaire de misère. Et certaines endurent un quasi esclavage. D’autres tombent aussi entre les mains d’intermédiaires plus ou moins honnêtes et finissent dans l’industrie du sexe.

Que fait la FED pour répondre à toutes ces urgences ?

Notre travail se focalise uniquement sur la question des migrants. Nous nous attachons à les sensibiliser sur les questions relatives au droit du travail et leur proposons des formations sur leurs droits économiques, sociaux et culturels. Nous leur apportons également une aide légale en cas de besoin et faisons régulièrement des visites dans les prisons où sont détenus des migrants. Nous disposons aussi d’un foyer d’accueil temporaire pour ceux et celles qui rencontrent des difficultés passagères, qui ont été licenciés ou qui sont victimes d’accident du travail. Nous avons également mis en place une école qui reçoit environ 700 enfants de migrants et nous en envoyons une centaine dans des écoles thaïlandaises.

L’arrivée d’un nouveau gouvernement en Birmanie peut-elle changer les choses ?

Si nous voulons que cette émigration massive cesse, il faut tout d’abord trouver une solution politique durable et que cette guerre civile qui dure depuis plusieurs décennies s’arrête enfin. Or, rien n’indique que ce nouveau gouvernement ait l’intention de mettre fin à ce conflit ni qu’il ait envie d’établir un véritable système démocratique en Birmanie. Ce qui veut dire que l’immigration en Thaïlande n’est pas prête d’être stoppée.

Propos recueillis par Patrick Chesnet

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