Luzia Pinheiro, Brésil

Publié le 01.04.2005| Mis à jour le 08.12.2021

Le 12 février dernier, une religieuse engagée auprès des paysans était assassinée par des pistoleiros à la solde de grands propriétaires terriens.

« La mort de Dorothy Stang changera-t-elle quelque chose ? »

Le 12 février 2005, la missionnaire de 73 ans, étasunienne naturalisée brésilienne, était abattue à Anapu, dans L’État amazonien du Pará, par des pistoleros à la solde de grands propriétaires terriens. Luzia la connaissait très bien. Encore bouleversée, elle a fait part de son témoignage le 4 mars, à Paris.

En 2001, Dema, coordinateur du Mouvement pour le développement de la région transamazonienne et du Xingu (MTDX), était abattu. Ici, dans l’État du Pará, l’assassinat de leaders paysans est chose commune. Moi-même, je suis inquiétée, la plupart des présidents de syndicats ruraux ont reçu des menaces de mort, parfois de la part de policiers !
Pourtant, la mort de Dorothy, a provoqué un choc énorme, inaccoutumé, ici mais aussi au sein du gouvernement fédéral, même si tout le monde savait qu’elle était menacée, depuis des années. Mais une femme, et de 73 ans ! Je la connaissais très bien, nous travaillions beaucoup ensemble. Elle défendait depuis plus de 20 ans la cause des plus misérables des petits agriculteurs. Un juge de Marabá venait de donner le feu vert à l’installation de 600 familles sur 120 000 hectares du gouvernement fédéral que s’étaient illégalement appropriés les fazendeiros qui ont envoyé leurs tueurs. Les falsificateurs de titres de propriété, les « grileiros », sont monnaie courante, ici. Il n’y a pas d’État de droit, dans le Pará, ce sont les ambitions personnelles qui font loi. C’est pourquoi nous avons été surpris par le déploiement de force du gouvernement, avec le débarquement de 2 000 militaires pour assurer la sécurité des personnes menacées et rétablir l’ordre.
Si le gouvernement local avait fait son travail, Dorothy serait encore vivante. Cela fait des années que nous protestons contre l’absence de l’État et que nous réclamons une régularisation foncière. Ici, la police met en prison… les travailleurs ruraux, pas les grileiros !
Pourtant, si le gouvernement central se montre surtout préoccupé par les grands équilibres économiques du pays, on ne peut pas dire qu’il ait tout à fait oublié l’Amazonie. Des études ont été menées, le MDTX fait même partie d’un groupe de travail interministériel sur le développement de la région. Lula venait d’annoncer le classement de 13 millions d’hectares de forêt au titre de la préservation environnementale. Bref, le gouvernement sait désormais ce qu’il a à faire en Amazonie.
Cependant, il est trop tôt pour apprécier si la réaction très ferme de Brasília est le signe d’une véritable reprise en main. Nous aimerions tellement qu’il reste sur place un bon millier de soldats fédéraux ! Imaginez que l’Incra, l’institut chargé d’appliquer la réforme agraire, et l’Ibama, l’institut chargé des milieux naturels, n’osent pas entrer sur les terres des grileiros pour faire exécuter les ordonnances d’expropriation… Depuis que l’armée fédérale est arrivée, les expulsions ont pu reprendre.
Les mouvements sociaux ont saisi l’occasion pour faire montrer leur pression d’un cran. Nous avons obtenu une réunion interministérielle pour traiter de nos revendications. Certes, la réalité de la situation y a été clairement exposée, c’est une satisfaction. Mais cela fait plus de six ans que nous répétons les mêmes choses. Nous espérions pouvoir rentrer dans le concret. C’est partie remise.

Propos recueillis par Patrick Piro

Luzia Pinheiro est coordinatrice générale de la Fondation « Vivre, produire, préserver », au sein du Mouvement pour le développement de la région transamazonienne et du Xingu (MDTX, Altamira – Pará).

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