Maroc : Doha, 15 ans, révoltée contre les mariages précoces
Doha El Kouit a le verbe facile et les convictions ancrées d’une jeune fille de 15 ans qui n’a pas peur de grand-chose. Même au cours d’un entretien mené par téléphone – restrictions dues à l’épidémie de Covid-19 obligent – on l’imagine s’adressant à un auditoire de camarades de son collège, les passionnant, les convainquant, les faisant réfléchir. Elle s’appuie sur un jeu interactif inventé par l’ONG Quartiers du Monde, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, pour promouvoir l’égalité. Grâce à des cartes, les jeunes découvrent les femmes qui ont compté dans l’histoire marocaine. L’objectif est de rendre visible le rôle des femmes dans la sphère publique.
Le collège, à Salé, ville jumelle de la capitale Rabat, a été baptisé en 2010 Sayyida El Hourra, régente de Tétouan au 15e siècle, alliée du pirate Barberousse pour combattre sur les mers les Espagnols. L’élève Doha trouve dans son établissement une équipe pédagogique sensible à ses préoccupations. « Dans mon entourage, plusieurs preuves des inégalités entre femmes et hommes m’ont choquées », explique la jeune fille. Ces cas, par exemple, de mariages précoces de jeunes filles, bien avant 18 ans, l’âge légal.
« Au collège, une fille de 11 ans a dû arrêter ses études parce que ses parents voulaient la marier, et dans ma famille élargie, c’est une adolescente de 15 ans. Elle pleurait sans arrêt quand ses parents l’ont enlevée de l’école. Mon père et ma mère ont essayé de les convaincre de la laisser poursuivre sa scolarité, mais ils ont échoué », raconte Doha. L’adolescente ne peut que s’identifier à ces gamines, même si elle même ne risque rien. Sa mère a obtenu une licence d’études islamiques et son père est officier de police.
Des jeunes filles cantonnées à un cadre strict
À 15 ans, Doha ne souffre pas encore de ces restrictions. « La seule chose qu’un garçon peut faire et qui m’est interdite, c’est de sortir seule le soir, affirme-t-elle. Car cela peut être dangereux, pour une fille. » Elle souffre cependant déjà du regard de certains hommes dans la rue : « Ils considèrent les femmes comme des objets. C’est, avec les mariages précoces, une des choses les plus importantes à changer. » Et sensibiliser les élèves de son âge ne lui suffit pas : « Il faut aussi éduquer les petits garçons et les parents. Car ce sont les parents qui transmettent les valeurs à leurs enfants. » L’adolescente possède déjà un sacré bon sens : « le plus efficace, c’est le partage des tâches domestiques. Si je fais la vaisselle, mon frère doit la faire aussi. »
Intégrer les hommes pour faire progresser l’égalité
Wafa Lakhlifi, aînée de Doha dans le combat féministe, assure-elle aussi qu’il faut intégrer les hommes pour faire progresser l’égalité. « Le patriarcat est trop fort, reconnaît-elle. Il ne suffit pas de travailler auprès des femmes. Il faut aussi agir auprès des pères, des frères, des profs, des voisins. Nous en avons pris conscience et avons changé notre angle d’attaque. »
La jeune femme de 38 ans connaît les ravages de la société patriarcale. Elle a souffert de violences et de discriminations dans son enfance de la part d’un père polygame qui préférait sa deuxième épouse à la mère de Wafa. Puis a vécu une histoire d’amour qui s’est terminée par un mariage et un désastre. « Les hommes dans ma famille sont très attachés aux privilèges masculins de notre société. Ils ont toujours un mot à dire. Je devais négocier en permanence mes droits, dit-elle. C’était en contradiction complète avec ma vie et ce que je prône dans mon activité professionnelle. » Divorcée, elle doit repousser les intrusions permanentes de ses frères et sœurs dans sa vie.
Aujourd’hui, Wafa se dit que la vie de Doha ne sera pas forcément plus facile que la sienne. La société reste très conservatrice. Mais, ajoute-elle, « c’est bien si nous réussissons à ancrer l’idée d’une société juste et égalitaire dans ces esprits de 15 ans. » Optimiste, Doha voit déjà de petites évolutions chez ses camarades masculins : « Ils sont de plus en plus nombreux à trouver normal de partager le travail domestique avec leur mère et leurs sœurs. » Et nul ne la critique quand elle proclame qu’une de ses figures tutélaires est : Touria Chaoui, la première femme pilote du monde arabe. Une Marocaine.
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