Mgr Denis Jachiet : Changeons de regard sur les migrants
Dans un appel lancé le 10 janvier 2018, quatre jours avant la 104e journée mondiale du migrant et du réfugié, l’Église de France propose quatre pistes concrètes pour mieux accueillir les migrants. Décryptage avec Mgr Denis Jachiet, évêque auxiliaire du diocèse de Paris et membre de la Commission épiscopale pour les migrants.
En septembre 2015, le pape François appelait à ce que « chaque paroisse, chaque communauté religieuse, chaque monastère d’Europe accueille une famille de réfugiés ». Deux ans et demi plus tard, l’Église appelle-t-elle à accueillir tous les migrants ?
Mgr Jachiet : Le message du pape n’était pas de demander l’abolition des frontières et que tout le monde puisse entrer librement en France. Son message appelait la communauté chrétienne à un effort pour accueillir une personne ou une famille et l’accompagner, l’intégrer… En 2018, ce message doit toujours être précisé, réexpliqué, réinterprété car le contexte a changé. Nous ne sommes plus en 2015, lorsqu’il y avait une promesse d’arrivée massive de personnes affluant d’Irak et de Syrie, en raison des méfaits de Daech. Finalement, tous ceux que l’on attendait ne sont pas arrivés en France. Mais ce sont d’autres personnes que l’on voit affluer. Et j’ajoute que la France accueille relativement peu de migrants si l’on compare avec l’Italie, la Grèce, l’Allemagne ou la Suède, alors qu’elle a une grande capacité d’accueil et d’intégration !
Mais cet appel a bien été entendu puisque beaucoup de paroisses se sont engagées à accueillir des migrants. De plus, actuellement, nous sommes dans un programme, conclu avec le gouvernement, de couloir humanitaire dans lequel nous recevons tous les mois des nouvelles familles accueillies, suivies et intégrées grâce aux réseaux des chrétiens [[Le 14 mars 2017 : signature d’un accord pour l’ouverture d’un « couloir humanitaire » permettant d’accueillir en France des réfugiés syriens. L’accord associe le gouvernement à la Conférence des évêques de France, à deux associations catholiques (Communauté de Sant’Edigio et Caritas) et à deux protestantes (Fédération protestante de France et Fédération de l’entraide protestante).]].
« La France accueille relativement peu de migrants si l’on compare avec l’Italie, la Grèce, l’Allemagne ou la Suède, alors qu’elle a une grande capacité d’accueil et d’intégration ! »
Dans votre appel du 10 janvier dernier, aux côtés de Mgrs Pontier et Colomb, vous proposez quatre pistes d’amélioration pour un meilleur accueil des migrants en France…
Elles reposent sur les quatre verbes utilisés par le pape François : « accueillir, protéger, promouvoir et intégrer ». Dans un message adressé aussi bien aux gouvernants qu’à la société civile, nous avons voulu proposer des actions concrètes. Pour mieux « accueillir » et limiter le nombre de personnes en situation irrégulière ou d’attente, nous demandons à ce que les voies d’accès légales soient élargies pour demander l’asile, notamment en octroyant plus de visas humanitaires. Pour mieux « protéger», nous voulons alerter sur la situation des mineurs isolés non accompagnés. La Convention internationale des droits de l’enfant nous donne l’obligation de leur fournir abri, protection, mais la réalité montre que l’on est loin d’y répondre. Un certain nombre d’entre eux ne sont pris en charge ni par les départements, au motif qu’ils ne sont probablement pas mineurs, ni par l’État, au motif que cette prise en charge ne dépend pas de lui. Or, il y a urgence à protéger ces jeunes, dont beaucoup ont subi des sévices notamment en Libye. Ils ont besoin d’un lieu pour se reconstituer et retrouver une situation stable. Tout le monde peut comprendre les conséquences dramatiques que peut avoir une telle vulnérabilité.
Pour mieux « promouvoir », nous demandons aux responsables politiques d’accorder un permis temporaire de travail dès les premiers mois qui suivent la demande d’asile. Le travail permet de se réaliser pour pouvoir vivre décemment.
La dernière action « intégrer » passe-t-elle par un changement de regards ?
Il s’agit d’arrêter de considérer les personnes en migration comme des fauteurs de trouble, des personnes dont on se méfie. Beaucoup de gens sont habités par toutes formes de peurs, pas toujours formulées précisément, pas toujours très rationnelles mais très présentes. Ainsi, la peur, d’une arrivée massive d’étrangers n’est pas corroborée par des chiffres. Sans parler de la peur de l’islam et du terrorisme. Il est donc urgent de poser un nouveau regard sur ces personnes. C’est un message que nous adressons à tous les habitants du pays, chrétiens ou non.
« La rencontre : c’est ce qu’il y a de plus efficace pour un meilleur accueil des migrants aujourd’hui en France. »
Que faire de manière très concrète, pour changer ce regard ?
Déjà par le biais d’outils de communication : le Service national de la Pastorale des migrants produit des témoignages, des vidéos que les paroisses peuvent relayer, pour apporter un autre regard que celui véhiculé par beaucoup de médias grand public. Mais surtout, je pense qu’on devrait offrir la possibilité à toutes les communautés chrétiennes de rencontrer des personnes en situation de migration. Le regard est tout à fait différent lorsqu’on a entendu le témoignage de ces personnes, lorsqu’on a partagé un repas avec elles, lorsqu’on est allés ensemble voir un spectacle ou un match de foot, en échangeant quelques mots de français… Le regard change et s’élargit. La rencontre : c’est ce qu’il y a de plus efficace pour un meilleur accueil des migrants aujourd’hui en France.
Propos recueillis par Clémentine Méténier
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