Migrants subsahariens, Algérois malgré eux

Publié le 12.11.2012| Mis à jour le 08.12.2021

Plusieurs milliers de migrants subsahariens vivent aujourd’hui dans une Alger devenue hostile. Entre une nouvelle loi de 2008 qui les criminalise et le racisme qui augmente, ils luttent au jour le jour. Malgré le soutien d’Algérois solidaires, la plupart rêvent de tenter leur chance dans un autre pays.


L’Algérie n’est déjà pas un pays facile pour les Algériens, alors pour les migrants !… », soupire Hassen Ferhani, co-réalisateur, avec Nabil Djedouani, en 2010, d’Afric Hotel, un documentaire sur les sans-papiers d’Alger. Partis d’Afrique de l’Ouest ou centrale pour l’Europe, de nombreux migrants se retrouvent aujourd’hui « coincés » dans Alger la blanche, n’ayant plus d’argent pour poursuivre le voyage. En 2005, 40 % des clandestins en Algérie étaient en « long transit » vers l’Europe [[]]. Ce pourcentage a dû augmenter depuis, car la traque policière s’est accrue et il est difficile aux migrants d’approcher une frontière.

En effet, la loi sur l’immigration promulguée en juillet 2008 est un texte répressif qui criminalise les sans-papiers (délit passible de deux à cinq ans de prison) et fait de l’Algérie le partenaire des politiques migratoires de l’Europe-forteresse. Selon le sociologue algérien Saïb Musette, le nombre d’arrestations annuelles de sans-papiers a presque doublé entre le milieu des années 2000 et le début des années 2010. Ces « Algérois malgré eux » sont dans une situation administrative très précaire.

Tout en évitant l’arrestation, les migrants doivent gagner leur vie. Certains sont journaliers sur des chantiers et font « des travaux dont ne veulent pas les Algériens », raconte Le Pape, un professeur d’art et peintre ivoirien de trente-huit ans ayant fui la crise post-électorale de 2011. Quelques migrantes servent les Algériennes au hammam ou leur font des coiffures africaines à domicile, comme Unity, vingt-huit ans, coquillages dans les cheveux, qui tenait un salon au Cameroun. D’autres survivent avec des moyens illégaux, notamment des trafics en tout genre. Les Algériens les accusent en bloc de trafic de drogue et de prostitution.

Les migrants d’Alger sont répartis dans quelques squats, par communauté linguistique. À Bouchbouk, dans la commune de Dely Brahim sur les hauteurs de la capitale, vivent près de trois cents Africains francophones. Dans une « carcasse », un ensemble de pièces dans des bâtiments en brique non achevés, où les portes, tout comme l’électricité, manquent souvent. En se serrant toujours plus, les premiers arrivés accueillent sans cesse de nouveaux venus, ce qui augmente les risques de tensions avec le voisinage. Des femmes vendent de la bière artisanale et de jeunes Algériens font un petit trafic de cannabis, qui contribue à la mauvaise réputation du quartier.

Chaque étape de la vie est ici un combat. Y compris naître, et mourir. Aimée-Chérie, une Camerounaise de trente-quatre ans, a accouché à l’hôpital public de Beni Messous où elle a enduré seule une hémorragie de plusieurs heures. En Algérie, les soins médicaux sont gratuits pour tous. Pourtant, certains médecins réclament les papiers du patient. « C’est le serment d’Hypocrite ! » dénonce Sihem Bourghoud, une infectiologue algérienne bénévole auprès des sans-papiers. D’autres, pourtant, comme Mahfouth, ophtalmologue, s’occupent volontiers des migrants. Enterrer dignement un clandestin est aussi une gageure, comme pour Rose, une Libérienne dont le corps est resté six mois à la morgue avant que la Croix-Rouge de son pays n’intervienne. Des femmes décèdent prématurément, victimes du sida ou de violences infligées pendant la traversée du désert ou par un « protecteur » parmi les migrants.

Mais à Alger, c’est aussi du racisme dont souffrent les Subsahariens. La loi de 2008 a rendu plus ardu l’accès au travail et à la sociabilité. L’Algérie reçoit aussi moins d’étudiants africains depuis vingt ans et la présence de Noirs est redevenue une curiosité, ajoute le sociologue Saïb Musette. « Des civils jettent des pierres à un “kahlouch“ (nègre), d’autres jouent les policiers pour nous contrôler ou nous racketter », relate Thérèse, trente ans. « Lorsque je me promène avec Kader, qui est ivoirien, les hommes me demandent pourquoi je préfère un Noir », raconte Rim, jeune et jolie algéroise. Moins intégrés qu’auparavant, même ceux qui avaient choisi d’y venir, souhaitent maintenant quitter l’Algérie. « Ils sont tous racistes ! s’énerve Okosha, un jeune intermédiaire entre hommes d’affaires africains de vingt-quatre ans, en costume-cravate, qui vit parmi des anglophones à Fort-de-l’Eau, à l’est de la baie d’Alger. « On n’a jamais vécu cela, on est très choqués », s’attriste Le Pape.

Et la culture algéroise est aussi un choc pour les Subsahariens : absence de vie nocturne, relations hommes-femmes différentes… La religion également, est souvent une pierre d’achoppement. Un jeune chrétien Dayan, vingt-six ans, veste en cuir et chapeau griffé Michael Jackson, a trouvé la parade : « À Alger, je dis que je suis musulman, cela m’attire plus de sympathies ».

Pourtant, les rencontres sont toujours possibles. Toufik, de la commune de Zeralda, donne un peu d’argent pour la douche publique à Olivier, un Ivoirien qui n’a pas pu ici reprendre le football professionnel. L’existence d’une association comme Rencontre et développement (R&D), partenaire du CCFD-Terre Solidaire, prouve que la solidarité existe. Créée en 1974, cette structure œcuménique installée dans un discret petit local près de la place du 1er Mai reçoit entre vingt-cinq et trente personnes chaque jour, Algériens démunis et migrants. Elle les oriente juridiquement, les dépanne pour certains frais ou scolarise quelques dizaines d’enfants. « Avant, je ne faisais confiance qu’à ceux de ma couleur », reconnaît le farouche Boa, cicatrice sur la joue, qui salue maintenant le travail de R&D.

Si le président – Jan Heuft – est un père blanc hollandais, et Stanislas (responsable de l’accueil des migrants et de leur suivi administratif) est un Tchadien chrétien, les trois autres salariés : Hamid, Sihem et Rim sont de jeunes Algériens musulmans. Les enfants des Africains les voient comme des grands frères. La loi de 2008, elle, les voit comme des criminels : aider les clandestins peut les mener en prison. Les « Algérois malgré eux » ont trouvé des Algérois solidaires. Mais les associations aidant les migrants sont extrêmement rares car elles sont de plus en plus surveillées. Les Églises chrétiennes, de leur côté, sont frileuses face à un État qui ne fait que les tolérer.

Quel est alors l’avenir des migrants en Algérie ? La régularisation par le travail ou après des années de présence n’existe pas. Pourtant, beaucoup refusent de repartir. « Ma vie est en Europe, c’est clair et net. Qu’est-ce qui m’attend au pays après huit ans ? » demande Boa, Malien amoureux d’une Algérienne. Okosha, lui, se verrait bien repartir au Nigeria. « Et de là, je me préparerai pour migrer en Europe… légalement ! » Après tout, l’Algérie est proche de cette Europe rêvée. Elle offre une certaine sécurité et a permis, par exemple, à Dayan de soigner gratuitement une maladie qui l’aurait emporté au Cameroun.

Et pour les enfants ? En grandissant, ils peuvent être arrêtés et expulsés. Darcy et Prince, des pré-adolescents congolais nés en Algérie, parlent parfaitement l’argot algérois. Mais sans papiers, l’aîné n’a pas pu aller jouer avec son club de foot en Tunisie. « Les enfants ne devraient pas payer pour les choix de leurs parents », estime le père Jan qui évoque, avec la mère des deux garçons, la possibilité d’un retour au pays . À la question « Qu’est-ce que tu te vois faire plus tard ? » posée à l’Ivoirienne Tatiana, douze ans, son ami Kader répond cyniquement à sa place : « Migrante professionnelle ».

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