« Migrer est un droit, inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme »

Publié le 18.12.2014| Mis à jour le 08.12.2021

Thérèse Collinet, chargée de mission au CFFD-Terre Solidaire, a accompagné au Forum social mondial des migrations (FSM), qui s’est tenu du 5 au 8 décembre à Johannesburg, une délégation de neuf bénévoles du réseau thématique “Migrations”. L’enjeu : se nourrir des expériences d’autres associations, parmi les 186 mouvements sociaux venus de 57 pays, pour impulser de nouvelles dynamiques au sein du CCFD-Terre Solidaire. Bilan.

Quel était votre objectif en partant au FSM ?

Chercher des idées neuves, pour changer le regard et faire autrement sur la question des migrations. La France est dans un repli et une logique sécuritaire tellement installée qu’on a du mal à penser autrement la migration. L’enjeu fort pour le CCFD-Terre Solidaire était surtout d’être à l’écoute.

Renée Gaude, du réseau thématique migrations, a bien résumé l’esprit de cette rencontre en rentrant du FSM : « Les migrations sont toujours perçues comme un drame humain, une menace ou un problème. Migrer est pourtant un droit, inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Les participants du FSM ont souligné que les migrants ne sont pas des marchandises, qu’ils sont des êtres humains et qu’aucun être humain n’est illégal…»

Quelles sont les expériences qui vous ont le plus marqué ?

L’exemple du Brésil a été abordé dans un atelier sur le rôle des collectivités locales. La ville de Sao Paulo a créé un bureau spécial des migrations, intégré à son département des droits humains. Ce bureau veut permettre aux migrants de mieux comprendre leurs droits et leur fournir des lieux d’accueil, des solutions rapides pour un hébergement d’une capacité de 600 à 700 personnes. Ce qui reste faible à l’échelle d’une mégalopole telle que Sao Paulo.

L’approche est très ouverte et montre une volonté d’accueil. Les migrants sont plutôt perçus comme un atout. Au Brésil, même les sans papiers ne sont pas criminalisés… Le secrétaire de ce bureau des migrations mis en place à Sao Paulo est issu de la société civile. En tant qu’ancien directeur de l’association Espacio Sin Fronteras (Espace sans frontières), il fait le même travail dans le cadre d’une autorité locale publique. Ce qui lui donne une autre envergure.

Qu’avez-vous appris, du côté des migrations africaines ?

Le CCFD-Terre Solidaire a remis l’accent au FSM sur les routes migratoires. Le CCFD-terre Solidaire a fait ces dernières années un travail important avec ses partenaires pour sécuriser ce parcours et faire des points d’étapes. Il s’agit de créer des points d’accueils pour ces migrants parfois perdus et livrés à eux-mêmes.

La Maison du migrant de Gao, au nord du Mali, a fermé pendant la crise. Le père Anselme, de Caritas Gao, s’est replié sur Niamey (Niger) parce que la zone était devenue trop dangereuse. La maison a été rouverte, mais le CCFD-Terre Solidaire a pris conscience d’une situation de plus en plus difficile au Niger.

Le dispositif européen Frontex fait pression sur les contrôles migratoires partout en Afrique, et de plus en plus de migrants se retrouvent piégés à Niamey. Dans l’atelier sur les routes migratoires dans l’espace Sahel-Sahara, organisé avec Caritas Gao, Caritas Nouadhibou et Alternative Espace Citoyen, une association basée au Niger, le groupe thématique « migrations » s’est rendu compte que nos politiques migratoires vont à l’encontre des valeurs d’accueil de pays comme le Niger ou le Mali. Avant, ils ne se posaient pas la question d’accueillir ou non des étrangers…

Le dispositif Frontex n’a-t-il aucun impact sur les migrations ?

La pauvreté est telle que beaucoup continuent de migrer, au péril de leur vie, ce qui commence à se savoir dans les sociétés d’où ils partent, mais ne les empêche pas de tenter la traversée vers l’Europe. Vivre dans la précarité totale dans des enclaves comme Ceuta paraît préférable à certains que survivre chez soi sans perspectives d’avenir.

La politique du CCFD-Terre Solidaire consiste à donner toutes les informations aux migrants pour qu’ils fassent leur choix en connaissance de cause – sans leur faire la morale. La mise en réseau de différents partenaires a permis, avec des moyens qui restent très faibles, de sécuriser leur parcours avec une réponse citoyenne.

Nous revenons tous renforcés dans cette conviction, portée par le CCFD-Terre Solidaire et ses partenaires, qu’une gouvernance internationale des migrations s’impose, et que le modèle sécuritaire imposé par l’Europe n’est pas, ne doit pas être la seule réponse possible à la question des migrations.

Quelles autres thématiques retenez-vous du FSM ?

Nous avons été marqués par un atelier sur le travailleur migrant et notamment sur les conditions de travail des pêcheurs de la région du Mékong (Thaïlande, Cambodge et Vietnam), qui relèvent du trafic humain et de l’esclavage.

Trois associations de la région du Mékong qui travaillent sur cette problématique ont développé des liens avec les consommateurs en Europe, pour dénoncer les conditions dans lesquelles sont pêchés les poissons. Des migrants venus de Birmanie, de Thaïlande et du Cambodge cherchent à tout pris à s’en sortir. Des agences de recrutement leur font miroiter des salaires et ils se retrouvent embarqués, parfois pendant des années, à bord de navires où ils ne sont pas payés, sans possibilité de se syndiquer.

La même problématique se pose dans l’industrie textile : on ne sait plus qui sont les responsables, tant les intermédiaires se multiplient. Ces migrants passent de bateaux en bateaux, et quand un navire est arrêté, c’est impossible de remonter vers le principal responsable.

Qu’avez-vous retenu du côté sud-africain du FSM, qui s’est tenu à Johannesburg ?
Le FSM s’est tenu sous l’égide de Nelson Mandela, au premier anniversaire de sa mort, ce qui était émouvant. Il s’est déroulé à Constitution Hill, sur l’ancien site d’une prison. Nous avions l’impression d’être dans la réalité de l’enfermement des migrants, avec ces murs, ces barreaux… Un symbole fort.

Ces quelques jours nous ont permis de déconstruire certaines idées sur la « nation arc-en-ciel », avec une réalité plus complexe que tout ce qu’on pouvait imaginer, et une démocratie qui reste jeune et fragile. Les droits humains restent une conquête de tous les jours !

Recueilli par Sabine Cessou

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