Monsanto accablé par un tribunal citoyen
Une spectaculaire audience symbolique a été conduite à La Haye mi-octobre pour déterminer si Monsanto a enfreint le droit international. Santé, environnement, biodiversité, pressions, manipulations… Les témoignages sont dévastateurs pour la firme.
Lorsque Percy Schmeiser, quatre-vingt cinq ans, s’avance à la barre du « Tribunal Monsanto » , le silence respectueux du public s’appesantit : l’audience s’achève avec la déposition du pionnier. Monsanto a attaqué le fermier canadien en 1998 pour l’utilisation frauduleuse de son colza transgénique. « Je n’en ai jamais acheté, clame Percy Schmeiser. On ne savait même pas ce qu’était un OGM ! » Il est le premier à faire plier la multinationale. En 2004, la Cour suprême juge plausible que ses champs aient été contaminés par une parcelle voisine semée en colza OGM.
« Avec ses moyens considérables, la firme menace en permanence, investigue vos champs à sa guise. Monsanto a instauré une culture de la peur ! »
Douze années plus tard, plus de 600 personnes assistaient à l’événement, organisé à La Haye (Pays-Bas) les 15 et 16 octobre 2016 par un collectif international de citoyens résolus à dénoncer « les violations des droits humains, les crimes contre l’humanité et l’écocide » perpétrés par la firme biotechnologique.
Pour symbolique que soit cette cour, les magistrats qui y siègent sont des professionnels réputés. Entourée de Dior Fall Sow (Sénégal), Jorge Fernández Souza (Mexique), Eleonora Lamm (Argentine) et Steven Shrybman (Canada), la présidente Françoise Tulkens (Belgique salue le « courage des témoins » dans ce prétoire un peu particulier où défi lent les dépositions à charge.
Paysans surendettés, démocratie bafouée
Les représentants du Sud parlent au nom de dizaines de milliers de victimes de la stratégie d’intrusion brutale de la firme. Au Burkina Faso, Monsanto est parvenue un temps à imposer sa variété Bt sur les deux tiers des champs de coton. Un fiasco économique, doublé de sérieuses inquiétudes sanitaires, développe Ousmane Tiendrébéogo, cultivateur :
« Cette technologie dépasse la connaissance des paysans. »
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Le cas de l’Inde, où la variété OGM a conquis 95 % des surfaces en une décennie, est encore plus dramatique. Des milliers de paysans se seraient suicidés, noyés sous les dettes consenties pour se convertir au coton Bt. « Monsanto a établi illégalement un monopole », dénonce Krishan Bir Chaudhary, à la tête de Bharatiya Krishak Samaj, première organisation paysanne du pays. « Nous sommes ficelés, la démocratie est bafouée par ce néo-impérialisme ! » L’État, qui n’a mesuré l’ampleur du problème que tardivement, tente de sauver ce qu’il reste des variétés paysannes de coton.
Une disparition similaire d’un savoir-faire ancestral est à l’œuvre au Bangladesh, clame l’analyste Farida Akther. Les 248 variétés d’aubergines locales sélectionnées au cours du temps par le travail paysan sont menacées de disparition.
«Par un accord secret avec Monsanto, le gouvernement promeut neuf variétés Bt de ce légume très populaire, alors que personne n’a rien demandé. »
Comme ailleurs, la primauté des intérêts économiques a conduit en 2012 les autorités mexicaines à autoriser la culture massive de soja OGM de Monsanto dans le Yucatan. Conséquence : la principale ressource des Mayas, le miel local, majoritairement bio, est contaminé par du pollen transgénique. En 2014, la justice mexicaine finit par interdire la culture du soja transgénique sur 250 000 hectares.
Une victoire, mais très partielle, tempère l’avocate Maria Colin, obtenue
«au seul titre du droit international qui oblige à consulter des peuples indigènes pour les projets les affectant. Il n’a pas été question d’indemnisation… »
Pas plus que d’atteinte à la santé ou de pollution des eaux.
En effet : ce soja est « Roundup ready », manipulé pour résister au Roundup, l’herbicide vedette de Monsanto, dont l’application est associée à la culture de la plante [[La plante cultivée reste intacte alors que les autres plantes sont tuées]]. Angelica El Canche, productrice de miel s’insurge
« Ils traitent par avionnette sans précaution, on en retrouve partout, jusque dans les urines, et les malaises sont courants »
Un scandale sanitaire planétaire
Les pesticides : l’autre spécialité de Monsanto. De très préoccupantes études montrent une rémanence dans les sols et l’eau de glyphosate, molécule active du Roundup, ou encore la multiplication des malformations animales dans les zones exposées aux aspersions. Les témoignages de victimes sanitaires sont poignants, et les dépositions venues du Nord soulignent les ramifications planétaires de l’affaire Monsanto.
En 2006, Paul François est gravement intoxiqué au Lasso, autre herbicide de la multinationale. Après neuf ans de procédure, le céréalier charentais, autre lutteur emblématique, évoque une victoire sans joie, arrachée dans une violence judiciaire constante.
La multinationale est reconnue coupable de défaut d’information sur les risques. Sabine Grataloup a des griefs similaires. Alors qu’elle était enceinte, elle a traité au Roundup sa carrière d’équitation dans la Vienne. Son fils est né avec une grave malformation. Tout comme celui de Maria Liz Robledo, en Argentine. À chaque fois, des experts médicaux font le rapprochement avec l’exposition à l’herbicide. Sabine Grataloup affirme
« Il n’y avait aucune mise en garde sur l’étiquette… »
Des études ont mis en évidence des mécanismes délétères d’action du glyphosate sur les cellules vivantes. En 2015, l’Organisation mondiale de la santé a classé la molécule cancérigène probable pour l’homme . Les témoignages, à La Haye, font entrevoir un possible scandale sanitaire à l’échelle planétaire.
Aux États-Unis, l’avocat Timothy Litzenburg rassemble des cas d’affections susceptibles d’avoir été provoquées par une exposition à l’herbicide, afin d’enclencher une action collective en justice contre la firme. Il souligne
« On pourrait compter 5 000 plaignants »
Les pays du sud, massivement touchés
Sans surprise, la situation s’annonce dramatique dans les pays du Sud. Le Brésil, converti aux OGM et d’abord dans le soja, est le premier consommateur mondial de pesticides, Roundup en tête. Dans l’État du Paraná, Marcelo Firpo a établi que 1 dollar de pesticide épandu génère 1,3 dollar de dépenses sanitaires pour les seules intoxications aiguës. Selon ce chercheur en santé publique, le nombre d’intoxications pourraient atteindre les 3 millions sur la période 1999-2009. « Trois des cinq produits Monsanto vendus au Brésil sont interdits en Occident. » Procédé couramment relevé : la firme exploite les « doubles standards » en matière de règlements.
L’Argentine, convertie au soja « Roundup ready » dès 1996, subit l’effet d’expositions chroniques avec des résultats difficilement réfutables, suggère le docteur Damian Verzeñassi. Dans 25 des 27 localités rurales étudiées par le médecin, les avortements spontanés et certaines malformations à la naissance ont doublé en fréquence. Singularité mondiale : après le Salvador en 2013, le Sri Lanka a banni, en 2015, le glyphosate.
Une épidémie de maladies rénales y sévit depuis des années, causant la mort de 25 000 personnes ! Channa Jayasumana, médecin de santé publique, accuse les résidus de Roundup persistant dans l’eau potable. Des études terriblement compromettantes pour la multinationale. Il affirme
« Pour regagner ses positions au Sri Lanka, elle a orchestré une campagne de discrédit de mes travaux».
Paraguay, Colombie, Argentine, Canada, Allemagne… À La Haye, se dessine de la part de Monsanto une stratégie systématique de collusion avec les autorités et de pression sur les administrations, jusque dans les milieux universitaires.
Les témoins l’accusent de promouvoir une science poubelle et de dénigrer la bonne science : les études qui ont étayé les autorisations de ses produits sur le marché sont souvent financées par la multinationale et prises en défaut a posteriori.
Claire Robinson, chercheuse de l’observatoireGMWatch[[Cet observatoire indépendant diffuse les dernières informations sur les OGM afin de contrer la propagande et la puissance de cette industrie.]], a mis à jour le réseau de connivences entre Monsanto et les auteurs de l’assaut en règle subi par l’équipe du français Gilles-Éric Séralini, dont les travaux montraient une toxicité à long terme du Roundup et d’un maïs OGM de la multinationale.
« La justice a beau avoir reconnu la diffamation dont nous avons été victimes, nos financements se sont taris, rapporte Nicolas Defarge, co-auteur des études. Monsanto est parvenu à entraver les recherches sur les effets sanitaires de ses produits… »
Quant aux conclusions du tribunal de La Haye, elles sont attendues au plus tôt le 10 décembre.
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