Multinationales et droits humains : les entreprises du CAC 40 s’expriment

Publié le 05.06.2014| Mis à jour le 10.09.2021

Interrogées par des organisations de la société civile, en association avec des investisseurs responsables, 30 entreprises* ont répondu à un questionnaire sur les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits humains. Un an après l’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, il s’agit de la première expression publique des entreprises françaises sur le sujet. Bien qu’une grande partie d’entre elles déclare adhérer aux principes (devoir des Etats de protéger les populations des atteintes à leurs droits fondamentaux, devoir des entreprises de respecter ces droits, et l’accès des victimes à la réparation, le cas échéant) elles se montrent majoritairement défavorables à une évolution du droit qui permettrait leur application effective. Pour ce qui relève du droit des victimes à la justice, elles privilégient les mécanismes extra-judiciaires non contraignants au recours judiciaire.

Questionnaire « Entreprises et droits humains » Analyse des réponses Ce questionnaire a été adressé le 25 mars dernier par le CCFD-Terre Solidaire, le Collectif Ethique sur l’étiquette, Peuples Solidaires/ActionAid France et Sherpa, associations membres du Forum citoyen pour la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) en association avec l’Association Ethique et Investissement ainsi que Meeschaert Asset Management. Nos organisations se félicitent du taux de réponses : 30 entreprises* sur les 40 interrogées ont en effet accepté de répondre précisément aux questions posées. Les réponses** indiquent que les entreprises accordent un soutien unanime aux Principes directeurs des Nations Unies, et quasi-unanime aux obligations faites aux Etats de protéger les droits de l’Homme et aux entreprises de les respecter dans le cadre de leurs activités. Elles adhérent également à 80% à la proposition d’un assortiment de mesures contraignantes et volontaires. Pourtant, ces déclarations entrent en contradiction avec le détail des réponses faites aux questions relatives à l’accès des victimes à la justice et l’adoption par les Etats de mesures contraignantes visant à mettre en œuvre ces principes. Ainsi, seule une moitié d’entre elles s’exprime en faveur de l’accès des victimes à la justice ; l’autre ne se prononce pas. Et les précisions apportées dans les commentaires marquent en réalité une forte opposition à une évolution du cadre juridique qui permettrait pourtant de lever les obstacles existants en matière d’accès des victimes à la justice dans le pays d’origine de l’entreprise. Au total, 70% n’y est pas favorable. Pour une partie des entreprises, l’existence même d’obstacles relatifs à l’accès à la justice est contestée (notamment Pernod Ricard, GDF Suez ou Alstom). Les mécanismes de médiation extra-judiciaires non contraignants sont clairement privilégiés par les entreprises au détriment de la justiciabilité (accès à un tribunal). Ainsi, GDF-Suez, L’Oréal ou encore Pernod-Ricard soulignent l’intérêt des points de contacts nationaux (PCN) de l’OCDE, tandis que Renault, Michelin, Kering mettent en avant le manque d’efficacité des procédures judiciaires supposément coûteuses et longues. Enfin, certaines entreprises, à l’instar de Schneider Electric ou Safran, invoquent le respect du droit international privé pour défendre le principe d’autonomie des maisons-mères vis-à-vis de leurs filiales. Reconnaissant l’obligation qui incombe à l’Etat de protéger les populations des atteintes à leurs droits fondamentaux pouvant découler de l’activité économique, une majorité d’entreprises s’oppose pourtant à l’instauration de mesures contraignantes. Le Groupe Alstom met en avant la difficulté de leur application, tandis qu’Orange évoque le risque « de freiner le développement économique ». Les entreprises semblent ainsi attachées à une vision d’une RSE fondée uniquement sur des mesures volontaires et dont elles seraient les seules garantes. Les réponses à ce questionnaire interviennent en pleine actualité législative. 4 groupes parlementaires (PS, EELV, PC, PRG) viennent de déposer une proposition de loi introduisant un devoir de vigilance en matière de droits humains pour les multinationales vis-à-vis de l’ensemble de leurs relations d’affaires***. Ce texte ouvre la voie en cas de manquement à des poursuites judiciaires, pénales comme civiles, permettant ainsi l’accès des victimes à la justice du pays d’origine de l’entreprise. Les réponses d’une majorité des plus grandes entreprises françaises au questionnaire, mettent en lumière leur opposition au contenu d’une telle loi. Nos organisations rappellent :
  • l’inefficacité trop souvent avérée des seules initiatives volontaires pour prévenir de futures atteintes aux droits humains et à l’environnement causées par l’activité des multinationales ; l’actualité nous en offre des exemples fréquents,
  • l’inadéquation trop souvent constatée des mécanismes extra-judiciaires pour permettre aux victimes de violations de leurs droits fondamentaux d’obtenir réparation.
Elles demandent au gouvernement :
  • la levée du voile juridique qui permet aujourd’hui de maintenir l’impunité des multinationales lorsque leurs activités se traduisent par des atteintes aux droits fondamentaux et à l’environnement en dehors du territoire, en soutenant notamment la proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales et son inscription à l’ordre du jour dans les plus brefs délais,
  • de s’engager à traduire dans sa législation nationale les principes auxquels elle a adhéré au niveau international,
  • de soutenir l’instauration d’un processus intergouvernemental aboutissant à la mise en place d’un instrument contraignant, lors de la prochaine session du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies.

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