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Palestine : les femmes journalistes à l’assaut d’une société conservatrice

Publié le 20.01.2021| Mis à jour le 02.01.2022

Depuis sa création, en 2005, Filastinyat, association partenaire du CCFD-Terre Solidaire, a fait de l’appui aux femmes journalistes palestiniennes son principal combat. Un moyen de promouvoir une autre vision dans les médias, principalement aux mains des hommes, mais aussi de faire bouger les lignes d’une société conservatrice.


Journaliste depuis six ans à Gaza, Marah Elwadiya, n’est pas du genre à se laisser décontenancée. Sa vie de free-lance n’est pourtant pas un long fleuve tranquille : « Sur la dizaine de propositions d’articles et de vidéos que je fais aux médias avec lesquels je collabore, seul une à deux sont retenues chaque mois », soupire-t-elle. La concurrence sévère, l’est encore plus avec la crise de Covid-19 qui se double d’une crise économique. « Mais cela n’explique pas tout. C’est très difficile pour une femme de se battre dans cet environnement encore essentiellement masculin, ajoute-t-elle. Nous ne bénéficions pas, comme les hommes, de l’appui d’organisations professionnelles puissantes qui nous représenteraient. »

Pour Marah, comme pour nombre de femmes journalistes, les défis sont de taille : Ils sont d’abord financiers, car vendre deux productions par mois, ne suffit pas pour faire vivre une famille. Mais derrière cette volonté de se battre, il y a aussi une envie d’émancipation et un besoin de bousculer une société palestinienne encore très patriarcale.

« Dans les territoires palestiniens, la voix des femmes mais aussi des jeunes est très peu entendues. Quand il est question d’une femme, dans les médias, elle est toujours vue et traitée comme la mère, la fille, la sœur de héros masculins », confirme Wafa Abdel Rahman, qui en 2005, a créé l’association Filastinyat pour lutter contre cette représentation. « Au départ, nous avions fait tout un travail de sensibilisation auprès de la population à travers des ateliers de décryptage des médias. Mais rapidement, nous nous sommes rendu compte que cette approche n’était pas suffisante et qu’il fallait donner aux femmes elles-mêmes les moyens d’influencer l’opinion pour changer cette image. Nous sommes passées d’une position de chargées de plaidoyer à un rôle d’accompagnement des volontaires dans l’affirmation de leur capacité à prendre leur destin en main. »

Du plaidoyer à l’action

Cette mutation s’est faite par étape. Dès 2009, l’idée d’organiser des formations, des ateliers et des conférences à l’attention des femmes journalistes fait son chemin. Un an plus tard, des « clubs » rassemblant les femmes journalistes leur permettent d’échanger sur la manière dont les unes et les autres ont réussi à modifier la place des femmes dans les médias. Depuis une décennie, 400 journalistes femmes, des jeunes diplômées, mais aussi des professionnelles confirmées, ont répondu à l’appel à Gaza et 150 en Cisjordanie. Près de la moitié sont toujours très actives, car elles y trouvent une force collective et des conseils avisés sur des questions techniques, comme par exemple pour réaliser un reportage audio. « C’est aussi un moyen de se faire un réseau, de s’entraider, de pouvoir échanger des idées mais aussi des contacts avec d’autres femmes journalistes », apprécie Marah.

« Ces échanges sont d’autant plus stimulants qu’il y a un regard journalistique féminin particulier, pointe Wafa. Une attention aux aspects humains, à l’impact des décisions ou des événements sur le quotidien des gens ». C’est vrai pour les articles sociaux mais aussi pour les articles politiques. Aux grands discours et théories, les femmes préfèrent des approches plus concrètes. Derrière le nombre de morts des conflits, les journalistes féminines vont, par exemple, s’intéresser à la manière dont la guerre s’insinue dans la vie quotidienne. L’occupation palestinienne est traitée à travers son impact sur les habitants de la bande de Gaza qui se retrouvent séparés de leur famille. Sur la crise économique, même prisme : les hommes parlent de ses conséquences chiffrées et désincarnées quand les femmes vont mettre l’accent sur le ressenti d’une mère de famille qui doit se soucier du bien-être des membres de son foyer.

Grâce à cet accompagnement et cette bienveillance, les femmes journalistes prennent confiance en elles et impriment leur marque. Petit à petit, les patrons de presse commencent à considérer leur travail autrement car leurs articles font grimper l’audience de leur média, le public étant avide de cette façon de traiter l’information. « C’est notre chance car si personne ne regardait ou ne lisait leurs productions, notre influence serait bien maigre ! », reconnaît Wafa.

Le combat continue

Mais avec la crise sanitaire, la situation économique se tend et les jeunes femmes diplômées ont bien du mal à trouver un emploi. C’est pourquoi, en plus des activités traditionnelles, l’association a renforcé ses programmes destinés aux jeunes journalistes femmes, obligées de devenir free-lance quand rien ne les y a vraiment préparé. L’association s’est ainsi équipée de matériels dernier cri. A Gaza et bientôt à Ramallah, les participantes aux différentes activités, ont la possibilité de s’initier à la création de contenus pour les médias en ligne. « Nous avons aussi créé une agence de presse interne, NAWA, qui achète certaines de leurs productions. Nous les diffusons sur notre propre réseau, ce qui accroit la visibilité de leurs auteures. Nous les aidons aussi à vendre leurs productions à des médias extérieurs. »

Les contacts noués dans le cadre des « clubs » s’avèrent, eux aussi, de véritables sésames. En raison du confinement, les rencontres en présentiel ont dû être supprimées, et ont été remplacées par des sessions de formation en visio-conférence qui ont démultiplié les opportunités de mises en relation. Les manifestations organisées par Filastinyat, ne sont plus seulement réservées aux femmes des territoires palestiniens, et sont de plus en plus regardées par un public international, dans les pays arabes mais aussi en Europe. Une dimension très enrichissante, reconnaît Wafa : « Nous devons poursuivre cette internationalisation après cette crise qui met aujourd’hui à mal nos finances. En espérant que nous pourrons reprendre nos activités quand tout sera fini. Car rien n’est acquis et les clubs de femmes restent sans doute un des meilleurs moyens d’aider leurs membres à faire bouger les lignes par rapport aux médias mais aussi par rapport à l’ensemble de la société. »

Par Laurence Estival

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