Paradis Fiscaux et judiciaires

Publié le 15.01.2009

Il n’existe pas dans la législation ou dans la jurisprudence de définition précise d’un paradis fiscal. Certes, plusieurs organisations internationales ont proposé des critères d’identification, mais toujours partiels. La définition de l’OCDE, par exemple, trop focalisée sur la question fiscale, sert pourtant de référence depuis le G20 d’avril 2009.


Il est plus juste de parler de paradis fiscaux (ils sont des territoires qui offrent un régime fiscal faible ou inexistant),  judiciaires (la justice n’y applique pas des règles aussi strictes qu’ailleurs) et réglementaires (le secteur financier n’y est pas soumis aux règles de prudence financière existant dans les autres pays).

Les paradis fiscaux et judiciaires (PFJ) posent trois types de problèmes à l’économie mondiale et, de façon plus aigüe, aux pays du Sud.

  • Ils siphonnent les ressources mondiales et en particulier celles des pays en développement – pour lesquels la perte liée à la fuite illicite des capitaux est estimée à 800 milliards d’euros par an (GFI, 2008). Le manque à gagner en recettes fiscales se chiffre chaque année au moins à 250 milliards d’euros pour les pays du Sud. Cette situation se traduit par une dépendance accrue envers l’aide internationale et le report de la charge fiscale sur les plus pauvres et les PME.
  • une soixantaine de territoires opaques : leur nombre a doublé depuis les années 1970.
  • Plus de la moitié des flux financiers et commerciaux transitent par les paradis fiscaux
  • Les cinquante premières entreprises européennes y logent en moyenne 117 filiales chacune.
  • Sur les 800 milliards annuels en moyenne de flux financiers illicites qui quittent les pays en développement, 3 à 5% du montant correspondent à la corruption, 30 à 35% aux activités criminelles et 60 à 65% à l’évasion fiscale.

L’impact budgétaire de ces pratiques commence aussi à être mieux évalué. Glencore, un des leaders du commerce des matières premières, aurait fait perdre à la Zambie dont il exploite le cuivre, près de 132 millions d’euros de recettes fiscales pour une seule année [[Eurodad, “A la recherche des milliards perdus. Ou comment la transparence financière des entreprises peut contribuer au développement”, avril 2012]]. Et l’Associated British Food, propriétaire d’une sucrerie locale, aurait aussi privé Lusaka de 20 millions d’euros depuis 2007 [[Action Aid, “Sweet nothing. The human cost of a British sugar giant avoiding tax in southern Africa”, Février 2013]]. SAB Miller, l’une des principales brasseries de bière du monde, aurait économisé quant à elle autour de 21,5 millions d’euros d’impôts sur l’ensemble du continent africain, soit environ un cinquième des impôts dus ou une somme qui aurait permis de scolariser 250 000 enfants supplémentaires [[Action Aid « Calling time. Why SABMiller should stop dodging taxes in Africa. » Novembre 2010]].

Au total, la seule évasion fiscale des entreprises multinationales priverait les pays en développement d’au moins 125 milliards d’euros par an [[Christian Aid « Death and taxes: The true toll of tax dodging. », Mai 2008]]. Des pertes à ajouter aux impôts non perçus sur les fortunes accumulées offshore par les riches particuliers de ces mêmes pays, estimés entre 90 et 125 milliards d’euros par an [[James Henry, “The price of offshore revisited”, Tax Justice Network, Juillet 2012]]. Au total ce seraient entre 215 et 250 milliards d’euros par an évaporés dans les paradis fiscaux au lieu de financer des hôpitaux, des salaires d’enseignants ou des investissements dans l’agriculture. Soit plus de deux fois l’aide publique au développement déclarée par les pays riches et plus de six fois le montant de financements nécessaires par an (50 milliards de dollars) pour lutter contre la faim dans le monde d’ici 2025 selon la FAO [[Rapport de la Food and Agriculture Organization, « The state of food and agriculture », 2012]].

  • Ils affaiblissent la souveraineté des Etats et annihilent les efforts de coopération en matière de réglementation internationale. En facilitant le contournement des règles fiscales, judiciaires et prudentielles, ils facilitent la fraude fiscale, abritent et protègent l’argent du crime organisé (trafics humains, de drogue, d’armes, pillage des matières premières…) et de la corruption. Ils offrent également un espace dérégulé aux investisseurs financiers, source d’instabilité financière.

Exemples :
37% des fonds spéculatifs du monde sont installés aux Caïmans, 27% Delaware et 7% aux BVI, même si la majorité des fonds installés dans les îles sont en réalité gérés depuis la côte Est américaine (Chavagneux et Palan, 2012).

  • Ils agissent comme un miroir déformant sur l’ensemble de l’économie mondiale, privant les décideurs des indicateurs nécessaires pour opérer des choix éclairés en matière de politique économique. Le recours massif aux paradis fiscaux par les entreprises multinationales fait mentir l’ensemble des statistiques économiques mondiales (épargne, investissement, rentabilité, allocation de la richesse mondiale, etc.). Dans ces conditions, aucun pilotage possible de la mondialisation.

Exemples :
Investissement :
– 71% des investissements directs étrangers en Chine proviennent de 5 petits paradis fiscaux (les BVI, Singapour, Hong-Kong, les Îles Caïmans et l’Île Maurice)
– Sur la dernière décennie, 43% des IDE en Inde proviennent de l’Ile Maurice
Commerce : Le premier exportateur de bananes vers l’UE est l’île de Jersey
Productivité : Le salarié des Bermudes est 46 fois plus rentable par rapport à la moyenne des salariés dans le monde
Dynamisme économique : 34 Sociétés par habitants aux Iles Vierges Britanniques

Dans les pays du Sud, les Etats sont souvent privés de toute marge de manœuvre en termes de politique fiscale: ainsi, le modèle fiscal recommandé par le FMI s’avère régressif (généralisation de la TVA) et les stratégies déployées pour attirer l’investissement étranger  peuvent également devenir coûteuses pour les Etats du Sud (multiplication des zones franches d’exportation et des exonérations fiscales ; signature de contrats miniers ou pétroliers léonins).

Enfin, il n’existe pas encore de fiscalité mondiale, à l’échelle des marchés financiers notamment.

Pourquoi le CCFD-Terre Solidaire se positionne ?

L’engagement du CCFD-Terre Solidaire sur le financement du développement a commencé sur la dette, ponction insupportable sur les maigres budgets des PED, expression d’une injustice dans les rapports Nord-Sud et source d’aliénation. L’engagement sur la fiscalité et la fuite illicite des capitaux en est un prolongement naturel, cohérent avec la vision du CCFD-Terre Solidaire, qui promeut un financement prioritairement endogène du développement et la possibilité pour chaque pays de choisir son propre modèle de développement.

L’impôt est l’instrument privilégié de financement de politiques publiques décidées librement. Il peut aussi avoir une fonction déterminante pour assurer une meilleure répartition des richesses, et un effet correctif sur certains comportements (taxe environnementale, sur l’alcool ou la spéculation financière). Enfin, il est un élément clé de construction démocratique : « no taxation without representation ».

Pour toutes ces raisons, la pensée sociale de l’Eglise accorde une importance prioritaire à la fiscalité comme mode de financement du développement. L’Eglise condamne aussi de plus en plus clairement la corruption et l’argent sale, cancers du développement et de l’Etat de droit.

Les pays du Nord, leurs entreprises et leurs intermédiaires financiers ont une lourde responsabilité dans la fuite illicite des capitaux (évasion fiscale, détournements, argent du crime) : stratégies multiples d’évasion fiscale et de mise en concurrence des fiscalités ; tolérance envers les PFJ et double-discours envers la corruption.

Que défend le CCFD-Terre Solidaire ? Analyse et position générale

Le CCFD-Terre Solidaire cherche depuis plusieurs années à approfondir ses intuitions pour valider et préciser les propositions suivantes :

• le droit pour chaque pays de définir démocratiquement sa politique fiscale à l’égard des résidents
• face à la réalité de la concurrence fiscale entre Etats, le développement d’une coordination et harmonisation fiscale à l’échelle régionale, et mondiale (création d’une organisation fiscale internationale, dans laquelle tous les pays ont voix au chapitre),
• la réforme des règles fiscales internationales notamment pour les entreprises multinationales afin de taxer les richesses dans les territoires où elles sont effectivement produites
• l’échange automatique d’informations entre tous les pays y compris les pays en développement
• la transparence sur les propriétaires réels de toutes les sociétés écrans
le développement d’une fiscalité internationale portant sur les principaux bénéficiaires de la mondialisation (acteurs financiers, firmes multinationales) et pour corriger ses principaux travers (ex. pollution, spéculation financière).

Déjà, en unissant nos forces avec d’autres ONG, grâce aux nombreuses mobilisations citoyennes et aux multiples interpellations de nos élus, nous avons obtenu quelques belles avancées, parmi lesquelles :

– Les pays du G20 ont demandé à l’OCDE de s’attaquer sérieusement à la question de l’évasion fiscale des entreprises multinationales et de faire des recommandations pour réformer les règles du jeu

– En 2013, la France puis l’Union européenne ont adopté des règles pour exiger la transparence pays par pays des activités des banques. La France et le conseil de l’Union européenne proposent désormais d’élargir cette mesure à tous les secteurs d’activités.

– La France est en passe de créer un registre public des trusts et le principe de l’échange automatique d’information et le problème des sociétés écrans sont sur la table des négociations de l’Union Européenne, du G8 et du G20.

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