Paradis fiscaux : l’arme de la transparence

Publié le 08.09.2013| Mis à jour le 15.01.2022

Les députés français ont accompli un vote historique en entérinant une obligation de transparence, pays par pays, pour les banques. Elles devront désormais publier leurs chiffres d’affaires et leurs effectifs pour l’ensemble des territoires dans lesquels elles sont présentes. Mais le reste de la loi sur la réforme bancaire est plus que décevant. Mathilde Dupré, chargée de Plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire, était dans les tribunes de l’Assemblée. Elle décrypte pour nous les enjeux du débat.


Le texte initial ne mentionnait même pas les paradis fiscaux. Mais le gouvernement avait annoncé qu’il accepterait des propositions parlementaires, imaginant que les députés s’appuieraient sur la promesse d’interdiction des activités bancaires dans les paradis fiscaux formulée par le candidat François Hollande – une mesure pourtant partiellement mise en œuvre depuis 2009 –. Mais en réponse aux interpellations pressantes de la société civile, des amendements ambitieux en faveur de la transparence pays par pays des comptes des banques (sur les activités, les effectifs, le chiffre d’affaires, les bénéfices et les impôts) ont été déposés simultanément par Dominique Potier (PS de la « gauche durable »), Éric Alauzet (EELV) puis par Jean- Louis Moudenc (UMP).

Ils ont tenu bon pour défendre une transparence sur tous les territoires dans lesquels les banques sont présentes (et pas seulement dans des pays indiqués sur des listes restreintes). En revanche, ils ont cédé devant le ministre de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici, qui a refusé d’inclure certains critères de transparence, comme les bénéfices et les impôts, au prétexte que cela menacerait la compétitivité des banques françaises. Plusieurs exemples montrent pourtant que la transparence ne nuit pas à la santé financière. L’Allemagne demande déjà à ses sociétés cotées de publier leurs bénéfices pour toutes les filiales contrôlées à plus de 20 %. Et certaines banques françaises publient des informations partielles par fi liale (Société Générale, Crédit Agricole et Natixis notamment).

Toutefois, ne boudons pas notre plaisir. C’est une avancée historique dans la lutte contre l’évasion fiscale ! Les banques seront désormais tenues de publier leurs chiffres d’affaires et leurs effectifs, pays par pays. Cela permettra de déceler les territoires dans lesquels se trouvent des filiales fantômes. Par exemple parmi les 22 filiales de BNP Paribas aux îles Caïmans ou les 61 du Luxembourg. Cependant, en l’absence de précision sur les bénéfices, il ne sera pas possible de savoir si ces filiales logent artificiellement des profits générés ailleurs, pour échapper à l’impôt.

Une réforme qui ne change rien

Le cœur du texte de la réforme bancaire présentée au Parlement un peu moins d’un an après le fameux « discours du Bourget » du candidat François Hollande sur la régulation de la finance, est lui très décevant. En apparence, les objectifs restent les mêmes que pendant la campagne : « remettre la finance au service de l’économie » ; lutter « contre la spéculation et pour le financement de l’économie réelle » ; « améliorer la capacité des pouvoirs publics à intervenir dans la résolution des crises (…) pour éviter que les épargnants ou les contribuables ne paient pour les risques pris par d’autres » ou encore « limiter le développement de risques systémiques ». Mais dès la présentation du texte en Conseil des ministres, Finance Watch (le lobby citoyen pour la régulation fi nancière basé à Bruxelles) et ses membres français – dont le CCFD-Terre Solidaire – tiraient la sonnette d’alarme. Non seulement le texte, préparé à la hâte, ne contient aucune mesure concrète et efficace pour atteindre ces objectifs, mais il menace sérieusement la portée des débats européens en cours sur la question.

Sur le sujet central de la séparation des activités commerciales et spéculatives des banques, il aura fallu attendre l’incroyable aveu de Frédéric Oudéa, PDG de la Société Générale auditionné le 30 janvier par les députés, pour comprendre que cette loi ne sépare en rien ces deux activités.Ou en tout cas moins de 1 % pour la Société Générale. Sur les autres points clés, le constat est là aussi très sévère. Le texte voudrait faire croire que les contribuables ne paieront pas les pots cassés en cas de crise. Or, en réalité, ils seront, avec les épargnants, mis à contribution pendant que certains créanciers privilégiés seront préservés. Par ailleurs, la spéculation sur les produits dérivés agricoles n’est pas interdite (seulement une infime partie).

La lutte contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale est finalement le seul sujet sur lequel les députés sont parvenus à faire plier le gouvernement, marquant une étape décisive qui inscrit dans la loi le principe de la transparence pays par pays et permet de contourner l’impasse des listes toujours trop vides des paradis fiscaux. Sur ce point, les députés ont déployé des argumentaires affutés et précis. Cette qualité renforcée du débat parlementaire sur les paradis fiscaux est en partie le résultat des efforts collectifs déployés par l’ensemble des organisations de la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires depuis plus de six ans pour rendre ces questions réputées trop techniques, accessibles au plus grand nombre. Et aussi du travail de fond accompli, notamment par les équipes bénévoles du CCFD-Terre Solidaire, d’abord dans les régions françaises et plus récemment auprès des députés, pendant la campagne législative et depuis le début du mandat.

Les eurodéputés vont plus loin

Dans la foulée du vote à l’Assemblée nationale, les eurodéputés ont bataillé pour introduire une mesure de transparence pays par pays, incluant les bénéfices et les impôts dans un texte européen de régulation bancaire. Et, contre toute attente, ils ont arraché un accord historique avec le Conseil (qui devra encore être formellement adopté).

Il appartient désormais aux sénateurs d’emboîter le pas, avec à l’esprit quatre priorités : inclure les bénéfices et les impôts dans l’obligation de transparence pays par pays ; ne pas laisser au seul ministre la responsabilité de juger si une activité est spéculative ou pas ; obliger tous les créanciers à éponger les éventuelles pertes des banques avant les épargnants et les contribuables ; interdire les activités spéculatives sur les marchés dérivés agricoles. Les conditions de vie de centaines de millions de personnes dans les pays en développement dépendent de notre capacité à mettre fin à la volatilité des prix des denrées alimentaires et à l’évasion fiscale qui grève les ressources publiques.

Mathilde Dupré

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