Paraguay : Une entrave au processus démocratique

Publié le 20.12.2013| Mis à jour le 08.12.2021

Marielle Palau, sociologue et membre du centre de recherches sociales Base IS, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, reconnaît que le retour au pouvoir du Parti Colorado pourrait représenter un danger pour la démocratie. Mais estime que les avancées démocratiques et sociales acquises sous Fernando Lugo Mendez pourront difficilement être remises en question.


FDM : Alors que le Paraguay a élu son nouveau président, quel regard portez-vous sur le mandat de son prédécesseur, Fernando Lugo Mendez ?
Marielle Palau : L’élection de Fernando Lugo Mendez, en avril 2008, a constitué un tournant symbolique dans l’histoire du pays puisqu’elle a entraîné la défaite du Parti Colorado et permis une alternance politique après plus de soixante années de parti unique. Cette élection a surtout été marquée par les immenses attentes des milieux populaires dans les domaines sociaux, économiques et politiques. Mais Fernando Lugo Mendez n’a pas disposé d’une majorité au Parlement et a été obligé de gérer le pays avec un gouvernement très hétéroclite, allant de la gauche au Parti libéral.

La réforme agraire constituait la principale promesse de campagne de l’ancien président. Pourquoi n’a-t-elle pas été réalisée ?
C’est effectivement son principal échec. Outre les tiraillements internes au gouvernement, il a dû affronter, dès le début de son mandat, les énormes résistances et pressions exercées par les grandes entreprises de l’agrobusiness, stratégiques pour l’économie du pays. Cette absence de réforme agraire est d’autant plus dommageable que le thème de la terre est central dans ce pays où l’agroindustrie avance chaque année de 250 000 hectares et pousse des dizaines de milliers de petits paysans dans la pauvreté. Très rapidement, les militants favorables à cette réforme ont pris conscience qu’elle serait difficile à réaliser. Malgré certaines mesures, notamment celle limitant le développement des cultures transgéniques, l’ambiguïté du gouvernement quant à sa volonté réelle de l’imposer est vite apparue.

C’est un conflit lié à la terre qui a engendré la destitution de Fernando Lugo Mendez le 22 juin 2012.
Le massacre de dix-sept personnes, dû à des affrontements entre des civils et des
policiers, venus expulser des paysans sans terre installés dans la propriété d’un homme d’affaires, est encore aujourd’hui l’objet de beaucoup d’interrogations concernant ses véritables protagonistes. En attendant, le président a été tenu responsable et destitué de manière très controversée par les deux principales forces politiques, le Parti Colorado et le Parti libéral, dont le leader, vice-président de Fernando Lugo, va assurer l’intérim du pouvoir jusqu’au 15 août, date de l’intronisation d’Horacio Cartes. Il s’agit ni plus ni moins d’un « coup d’État parlementaire », qui a d’ailleurs provoqué l’exclusion du Paraguay pendant près d’un an des instances continentales, comme le Marché commun du Sud (Mercosur) et l’Union sud-américaine des nations (Unasur).

Pourquoi ses opposants n’ont-ils pas attendu la fin de son mandat, sachant qu’il ne pouvait pas, constitutionnellement, en briguer un second ?
Il s’agit d’un coup d’État « préventif » ! Car, si les promesses de campagne n’ont pas été toutes tenues, Fernando Lugo Mendez a tout de même jeté les bases d’une nouvelle pratique démocratique. Il a tenté d’associer le plus possible les organisations sociales dans le cadre d’une politique participative. Il a également ouvert de nombreux droits sociaux aux plus démunis et développé un meilleur accès à l’éducation et à la santé. Même si, pour se maintenir au pouvoir, il est resté au centre de l’échiquier politique, il a quand même incarné une alternative économique et sociale crédible, susceptible de durer. Cela représentait un danger pour le Parti Colorado et le Parti libéral.

Dans ce contexte, que représente le retour du Parti Colorado au pouvoir ?
Cette élection présidentielle a été vécue par beaucoup comme un second coup d’État, car elle a légitimé la destitution arbitraire de Lugo Mendez, élu au suffrage universel. On ne peut pas exclure un risque important de conflits sociaux dans les mois à venir, mais je pense que les avancées démocratiques et sociales acquises sont durablement inscrites dans le temps.

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